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CHAPITRE II
Très-singulier.

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Table des matières

Sur les quatre heures du soir, un jeudi, je traversais la rue montorgueil pour enfiler celle de la comédie italienne. On donnait la vingt-quatrième représentation des moissonneurs: Une multitude de chars brillans, qui touchaient à peine le pavé, roulans avec fracas, éclaboussaient les filles sages, les hommes à talens, et le reste de cette populace utile, dont (heureusement pour elle) on ne saurait se passer. Moi, pauvre hère, héritier du cynisme de Mézerai [5] (mais non de son avarice), croté jusqu'à l'échine, je me gare sur la porte d'une marchande de modes. Ma figure, hétéroclitement parée, excita dans un essaim de jeunes filles qui la remplissaient, ce rire inextinguible [6] des dieux d'Homère. Je me retournai sans courroux (car j'ai la modestie de me croire ridicule). Je voulais regarder toutes ces jolies rieuses: je n'en vis qu'une, et mon cœur en tressaille encore. On la parait. O dieu! qu'elle était belle! Ses cheveux, plus noirs que l'ébène, contrastaient avec les lis de sa peau: Sa coîfure lui donnait un petit air lutin: Sa vive et noire prunelle lançait les flâmes; son tendre regard demandait les cœurs: les œillets et les roses ont moins d'éclat que le coloris de ses joues: On entrevoyait deux globes d'une blancheur éblouissante, que son corset ne pressait point encore: Une jupe courte laissait à découvert le commencement d'une jambe... à quoi la comparer? à tout ce que l'on peut imaginer de plus séduisant: Son pied, ce pied mignon, qui fera tourner tant de têtes, était chaussé d'un soulier rose, si bien fait, si digne d'enfermer un si joli pied, que mes yeux, une fois fixés sur ce pied charmant, ne purent s'en détourner... Beau pied! dis-je tout bas, tu ne foules pas les tapis de perse et de turquie; un brillant équipage ne te garantit pas de la fatigue de porter un corps, chef-d'œuvre des grâces; tu marches en personne: mais tu vas avoir un trône dans mon cœur.

L'épouvantable vacarme des carosses commençait à cesser; les rues devenaient libres, et je restais immobile. Une des compagnes de la belle aux souliers roses, presqu'aussi jolie qu'elle, et qu'un jeune homme charmant caressait, me donna son attention: J'entendis qu'elle disait: «Ah Fanchette, comme il te regarde!» Ces mots me tirèrent de ma rêverie: je m'écriai, dans un entousiasme plus que poétique: Oui, Fanchette, divine Fanchette, dans les provinces, à la ville, à la cour; ni reines, ni princesses, ni duchesses, ni marquises, ni les fastueuses épouses des héros de finance; aucunes des beautés anciennes, modernes, présentes et futures, ne vous ont valu, ne vous valent, ni ne vous vaudront jamais.

Aprês cette incartade, j'allais m'éloigner, lorsqu'un vieillard de ma connaissance, que depuis longtems j'avais perdu de vue, m'aborda: il me reconnaît: je l'embrasse: il me prend la main; m'entraîne; entre chez la marchande; et la belle Fanchette lui fit l'accueil le plus flateur.

Contes de Restif de la Bretonne

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