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CHAPITRE IX
Par hazard.

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«Qui l'aurait pensé, disait en elle-même la vieille gouvernante, le matin en s'habillant! Il y a vingt ans que je suis au service de monsieur Apatéon: Je n'en avais que quarante, lorsque j'entrai chez lui, et cependant jamais il ne m'a dit une parole libre, et fait un attouchement qui répugnât à la pudeur, si ce n'est cette nuit... Comme les hommes changent! et qu'il faut peu de chose pour faire échouer une vertu que, peut-être, les plus rudes épreuves n'avaient point encore ébranlée!... Oh! il n'en est pas où il pense... Le bon monsieur Florangis pensait bien juste: hêlas! il savait que nos meilleurs amis nous trompent... Mais voyez un peu ce monsieur Apatéon, avec sa mine doucerette! Il lui faut une fille de seize ans, au teint de lis et de roses, faite au tour, à la jambe fine, au pied le plus mignon que l'on puisse voir en france!... Il n'en tâtera brin, sur ma foi.»

En s'entretenant ainsi, la vieille se trouve habillée, et Fanchette s'éveille. «Ma bonne, dit la jeune Florangis, vous avez dit tantôt que vous en saviez trop?—Eh-bien, mademoiselle, je me trompais: j'ai voulu dire que j'en savais assez.—Mais! c'est la même chose... Que savez-vous?... dites-moi?—Ce que je sais?... Je sais que, pour vous rassurer, il est absolument nécessaire que je couche toujours ici, et que durant le jour, il ne sera pas mal que votre porte ne soit jamais fermée.—Ah! ma bonne!... Mais vous voyez donc bien, que je n'ai pas de vaines terreurs, et de petites peurs d'enfant? aussi ce ne sont pas des frayeurs que j'éprouve, c'est une inquiétude, un... je-ne-sais-quoi, ma bonne, lorsque monsieur Apatéon est auprês de moi.—L'aimable enfant! c'est son père tout revenu... Tenez, mademoiselle Fanchette, je vous aime cent fois plus que jamais... Oh!... vous me... Tenez, je pleure, mais c'est de joie... Ah! que toutes ces jeunes filles à minois fripon ne lui ressemblent-elles! nous ne verrions pas tant de vauriens et de dévergondées!... Je m'en vais préparer le déjeûner de monsieur; il faut de ces choses qui flatent une sensuelle voracité, et provoquent l'apétit en dépit de la nature. Ne vous habituez pas, ma chère fille, à cette excessive délicatesse; car cela ne durera pas toujours... Et s'il vous parle d'un ton... vous entretienne de fariboles... qu'il vous prenne la main, et veuille se regaillardir; là, ferme, retirez-moi votre main, et le regardez noir: car... il a surement dessein de vous éprouver. Bon-jour, mademoiselle: n'oubliez pas ce que je vous dis, et comptez toujours sur moi.»

La gouvernante, en courant à la cuisine, disait: «Il en aura ma foi! le démenti, le pénard rusé!» et Fanchette réfléchissait. Il est impossible d'exprimer combien il serait divertissant de lire dans l'intérieur d'une fille de seize ans, innocente, vertueuse, mais surtout ignorante: Tout ce qu'enfante son imagination ressemble aux contes des fées; sa confiance s'apuie sur tout; et cependant ses craintes lui font voir des monstres par-tout; un rien les dissipe, et la sérénité renaît sans cause, comme elle s'est évanouie sans raison. Du reste, indécise et timide, elle a tremblé longtems avant de hazarder un pas: elle n'est pourtant pas défiante; elle ne le devient qu'aprês avoir été trompée: elle pense bien de tout le monde qu'elle voit; et si quelquefois elle soupçonne des méchans, elle les supose presque toujours parmi ceux qu'elle ne connaît pas. Oui, les hommes n'aperçoivent, à la vue des attraits d'une jeune personne, que la moitié la plus faible de ce qui devrait les toucher: elle deviendrait bien plus intéressante, si l'on pouvait lire dans son cœur; y découvrir ces trésors d'innocence, de franchise, d'une aimable candeur. Mais cet âge heureux passe vite: Environnée de traîtres et de perfides, sa jeune âme en prend les vices, et parvient quelquefois dês l'adolescence, à ce point de dépravation, qu'elle ne croit pas même la vertu nécessaire. Et voila l'ouvrage des hommes... Que dis-je! ah pardon! Je ne suis point de ces misantropes attrabilaires qui cherchent à dégrader le genre humain: non; je me trompais: les hommes, mes semblables, que je chéris, que je révère, ne sont pas capables de chercher à détruire la vertu dans leurs aimables, leurs charmantes, leurs divines compagnes! c'est l'ouvrage de ces petits-maîtres, de ces agréables qui portent par-tout leur inutilité et leur corruption; de ces poupées, successeurs des galles [14], non moins dérèglés, et plus dangereux; de ces vieillards, qui, l'or à la main, traînent avec eux le dégout et le libertinage; et tous ces misérables sont indignes du nom d'hommes.

L'esprit de Fanchette s'égarait dans un labyrinthe d'idées creuses: Pour s'arracher à cette situation gênante, elle s'aprocha de son clavessin, et lui fit rendre les sons les plus touchans. Quand on est mélancolique, qu'on a beaucoup pensé, l'âme est remplie, et cherche à s'épancher: Fanchette unit sa jolie voix à l'instrument: elle suivit ce que son cœur lui dictait, et ses chants ne respirèrent que la douleur: le nom de ses parens s'y mêlait; des larmes coulaient le long de ses belles joues en le prononçant.

Cette occupation avait des charmes pour la belle Florangis; un rien amuse une jeune fille; Fanchette oubliait l'univers: Et monsieur Apatéon, rempli de l'idée des attraits naissans de sa pupille, fort inquiet cependant sur ceux qu'il avait palpés durant la nuit, se levait. Dês que sa toilette fut achevée, il se rendit dans l'apartement de Fanchette: il la considéra longtems avant de l'intérompre. Elle était en deshabillé galant: jamais sa taille ne fut si bien dessinée: elle avait un soulier blanc comme la neige, bordé d'un cordonnet d'argent; son joli pied batait la mesure, et chaque mouvement qu'il faisait, portait de nouveaux desirs dans l'âme de monsieur Apatéon. Il était hors de lui, lorsqu'il s'aprocha de Fanchette; il la prit dans ses bras, et voulut lui ravir un baiser. La jeune fille détourna la bouche; le vieillard cola la sienne sur les plus beaux cheveux du monde, et crut ne perdre pas beaucoup au change. Le feu de la volupté circulait impétueusement dans ses veines. Il enlève Fanchette, la porte sur une bergère: l'aimable Florangis ne sait ce qu'il prétend; mais elle se défend comme si l'expérience l'eût instruite: Apatéon, vieux routier, la laisse quelque tems se débattre; gagne un poste, puis un autre; enfin... éperdue, respirant à peine, et s'efforçant en vain d'apeler, l'innocente orfeline allait peut-être éprouver un malheur, dont jamais elle ne se fût consolée, lorsque la gouvernante accourut, pour avertir monsieur Apatéon, que le déjeûner courait le plus grand risque du monde de se refroidir. Elle ne le trouve pas dans son apartement: elle cherche la porte ignorée, la découvre, et voit le tartuffe infâme attaché sur sa proie timide. En femme prudente, elle sort; court, plus vite qu'elle n'avait fait depuis trente ans, à la porte de Fanchette, et frape à coups redoublés.

Il était tems. Apatéon presque vainqueur, craint qu'on ne le surprenne; il abandonne Fanchette; lui recommande le secret en menaçant, et s'élance chez lui par la porte dérobée. La jeune fille épuisée et tout en eau cria d'entrer. «Qu'avez-vous, mademoiselle, dit Néné?—Hêlas! repond Fanchette en pleurant...—Ma chère fille, reprend la vieille, dites-moi... expliquez-moi... que s'est-il passé?—Je ne sais ce que me veut monsieur Apatéon; il vient de me tourmenter... Il voulait, ma bonne... Je n'en saurais douter; il n'est pas ce qu'il paraît... Je rougirais trop de vous dire ce qu'il voulait...—Ne l'a-t-il que voulu?...—Si vous n'eussiez frapé...—Ah! ma chère fille!... Et cependant, je ne suis venue que par hazard.»

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