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CHAPITRE VI
Aparences trompeuses.

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Table des matières

Belle Fanchette, calmez une douleur trop vive; ces soupirs et ces sanglots ne vous rendront pas votre père: J'aurai pour vous la même tendresse; mes soins, mes attentions à prévenir non-seulement vos besoins, mais vos désirs, surpasseront tout ce qu'il aurait pu faire pour vous. Je ne desire que de vous voir heureuse: comptez sur moi: disposez en maîtresse absolue de ma maison et de moi-même.» C'est ainsi que s'exprimait monsieur Apatéon [10], pour consoler Fanchette, huit jours aprês la mort de son père.

Les effets suivirent les paroles: La jeune Florangis n'était plus mise avec la même élégance que dans ses premières années; son père ne lui donna que des étofes grossières, et conformes à sa fortune: En huit jours elle vit reparaître son ancienne magnificence: outre un deuil parant, elle eut des bijoux, une montre enrichie de brillans, les étofes du meilleur gout, les modes les plus séyantes et les plus nouvelles. Malgré la légèreté de son âge, ces belles choses n'effacèrent pas du cœur de Fanchette la mémoire d'un père qui la chérissait, et n'affaiblirent point les regrets que lui causait sa perte. Elle n'était pas ingrate non plus; elle était pénétrée de respect pour monsieur Apatéon; mais elle se disait quelquefois: «Ah! si je tenais tout cela de mes parens! si c'était mon vertueux père, que je dusse accompagner ce soir à la promenade, sous cet apareil éblouissant, que je serais heureuse!» Et la jeune fille pleurait. Je ne prétens pas nier qu'un petit levain d'orgueil ne contribuât à faire naître ces regrets, peut-être autant que la tendresse: mais l'orgueil est une vertu, s'il élève l'âme, et nous montre de la bassesse à recevoir, lorsqu'il nous est impossible de rendre de la même manière.

Chaque jour monsieur Apatéon procurait à sa pupille de nouveaux amusemens. Il passait auprês d'elle les journées entières. La musique, les instrumens, la danse, la promenade, les spectacles, les soupers fins se succédaient. A la vérité, Fanchette ne voyait d'hommes que ses maîtres; c'était avec monsieur Apatéon qu'elle dansait. Mais l'aimable fille était bien loin de s'en plaindre: elle goutait un genre de vie dont le tumulte était banni, et que des plaisirs innocens variaient. Tout le monde dans la maison baissait les yeux devant elle, et ne lui parlait qu'avec respect. Monsieur Apatéon soupait tête-à-tête avec elle; mais dès qu'on avait quitté la table, il laissait Fanchette en liberté. «Que j'ai de grâces à rendre au ciel, disait quelquefois la jeune Florangis de ce que cet ami de mon père ne l'a pas abandonné! qu'il est digne de mon respect, de mon estime et de ma reconnaissance!»

En se levant le matin, c'est-à-dire à dix heures, monsieur Apatéon, rafraîchi par un sommeil long et paisible, s'informait si sa pupille était habillée: elle ne se faisait pas attendre: ils sortaient tous deux et se rendaient dans un temple, où le dévot personnage donnait l'exemple d'une piété fervente. Il ramenait ensuite Fanchette au logis: l'on déjeûnait; les maîtres de danse et de musique arrivaient: aprês les leçons, on se mettait à table pour dîner: on se promenait ensuite dans un jardin presqu'aussi délicieux que celui d'éden, jusqu'aux vêpres, qu'on allait entendre chez des religieuses: s'il fesait beau, les tuileries, le luxembourg, les boulevards, étaient durant une heure le théâtre des triomphes de Fanchette: ensuite l'on allait au spectacle, ou l'on rentrait.

J'oubliais de faire le portrait de monsieur Apatéon. C'était un petit homme d'environ cinquante ans; ni beau ni laid; d'un embonpoint plus que médiocre; au teint frais et fleuri; aux yeux doux et benins; aux regards en-dessous; fin sans le paraître; aimant la mollesse, la bonne chère; ayant toujours, en parlant, un air de bonhommie qui lui gagnait les cœurs. Il nageait dans la joie, lorsqu'aux promenades publiques, il entendait louer Fanchette de la tête aux pieds: il laissait alors tomber en tapinois ses regards sur le pied mignon de sa pupille, et par distraction il disait tout haut: Qu'il est charmant! Il avait un soin particulier d'orner cette partie des attraits de la jeune Florangis, par la chaussure la plus élégante: il ne trouvait jamais qu'une boucle fût assez galante et d'assez bon gout; aprês avoir couru successivement tous les bijoutiers, il finit par en dessiner lui-même d'une forme nouvelle que tout PARIS admira: Car pour la parure du beau sexe, monsieur Apatéon s'y entendait mieux que personne au monde: On dit que dans sa jeunesse, il avait inventé les mantelets, pour cacher un petit défaut dans la taille d'une jolie maîtresse, dont il était fou: les calèches, dans une autre occasion, furent encore une émanation de son cerveau: la jolie Nic* ayant touché son cœur, il lui fit porter des jupes traînantes, parce que cette belle n'avait pas la jambe fine: et pour Fanchette, il ordonna toujours qu'on les lui fit si courtes, que rien ne dérobât la vue de son joli pied.

Contes de Restif de la Bretonne

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