Читать книгу Contes de Restif de la Bretonne - Restif de La Bretonne - Страница 13

CHAPITRE V
Instructions placées à propos.

Оглавление

Table des matières

Chère enfant, qu'allez-vous devenir, lorsque vous n'aurez plus de père! Si je vous faisais passer ma fortune telle que je l'ai reçue de mes parents, je ne serais pas sans craindre la séduction, quoiqu'il me fût alors facile de vous trouver un asile; mais je ne laisse à ma fille, pour héritage, que ma misère et sa beauté, deux sources d'égarements et de crimes [7]... O Fanchette! c'est pour vous seule que je désirais de vivre, depuis que j'ai perdu celle que j'aimais... trop peut-être; mais qui d'un coup-d'œil et d'un sourire, ramena toujours dans mon cœur l'amour et la tranquillité. Dieu tout-puissant, disais-je dans toutes mes prières, permets que j'élève ma fille; que je sois son guide, jusqu'à ce que je l'aie remise entre les bras de l'époux que tu lui destines!... Le ciel ne le veut pas: dês aujourd'hui peut-être il va terminer une carrière... Hêlas! elle fut longtems heureuse... Je te loue, grand dieu! des biens dont j'ai joui: éloigne, je t'en conjure, de ma chère enfant, les malheurs de sa mère... et ceux que j'éprouvai...

«Fanchette! fille chérie, écoutez un père expirant: Vous êtes belle, vous êtes pauvre; vous êtes innocente: Souvenez-vous de votre beauté, pour être toujours en garde contre les séducteurs: vous les verrez, ma chère fille, attachés sur vos pas, ne vanter vos attraits, que pour vous rendre vile et coupable. Oh! si vous saviez avec quel mépris un homme riche regarde une fille sans bien, lorsqu'il l'a séduite!... Que ne puis-je vous faire passer cette idée comme je la sens!... Comment se trouve-t-il des femmes qui consentent à laisser ravir des faveurs au tyran superbe qui voit leur défaite d'un air insolent et dédaigneux!... Ma fille, la pudeur et l'innocence sont de tendres fleurs, qu'un souffle endommage, qu'un attouchement ternit, et qu'une imprudence détruit irréparablement [8]. Souvenez-vous-en, ma fille, de cette innocence, trésor que vous possédez, pour en connaître le prix inestimable, et trembler au moindre danger d'y donner la plus légère atteinte. Que votre pauvreté n'abaisse point votre âme: conservez, ô ma chère Fanchette, cette noble fierté, qui voit le comble de l'avilissement dans le désordre, et non dans l'indigence. Soyez modeste: prenez des sentimens conformes à votre fortune: ces arts amusans qu'on vous enseigna, ne les oubliez pas: Les talens semblent faits pour donner un nouveau lustre à la vertu comme à la beauté; mais qu'ils n'occupent désormais dans votre esprit que la seconde place; un travail lucratif et dont le produit puisse subvenir à vos besoins, voila maintenant l'essenciel pour vous: vous n'avez plus que cette source, ma chère fille, où vous puissiez vous desaltérer sans deshonneur. Regardez, chère Fanchette, ah! regardez toujours avec horreur, ces femmes élégantes, que le crîme charge de brillans et de colifichets, bandelettes profanes, destinées à parer les victimes qu'on immole à la débauche: ces infortunées n'ont pas un diamant, pas un bijou, qui n'affiche leur encan, et qui ne les avilisse aux yeux même des libertins. Elles passent une vie ignominieuse dans l'apparence des plaisirs, mais dans une calamité réelle. Dites-moi, ma fille, regarderez-vous comme heureuse, celle qui ne paraît nulle part sans exciter le murmure de l'indignation parmi les gens sensés, les mordantes épigrammes des petits-maîtres, et le dédain de son sexe? Quel sort!... Et ce n'est-là qu'une partie des angoisses qu'elles éprouvent, et peut-être la plus légère. Ah ma fille! la possession de tous les biens du monde pourra-t-elle jamais payer l'honneur [9]!...

«Hêlas! ma chère enfant!... le ciel nous a tout enlevé... Votre mère avait un frère, longtems mon premier et mon meilleur ami: ma ruine entraîna la sienne. Il ramassa quelques débris, et quitta sa patrie, avec sa femme et un fils au berceau, pour aller tenter la fortune sous un autre hémisphère. Soit que son malheur, que nous avions causé, l'ait aigri; soit que la mort l'ait enlevé, il ne nous est rien parvenu qui nous instruise de son sort. Si pourtant il vivait, et qu'il revînt un jour ce serait un père que tu recouvrerais... Mais peut-être qu'alors sans azile... O malheur! tes suites sont encore plus cruelles que toi-même: Tu détruis jusques aux liens qui réunissent les sociétés et les familles: Tu jettes l'homme, après la tempête, sur des rives desertes et sauvages, oú personne ne le connaît plus... Chère Fanchette! le ciel y pourvoira sans doute... Il changea son nom de Rosin, pour acquérir un nouveau crédit: c'est ce que j'ai su par hazard; mais ce nom qu'il a pris, je l'ignore... Ma fille, recevez ce bijoux: l'infortune n'a pu m'obliger à le dépouiller des diamans qui l'embellissent: c'est le portrait de votre mère... Joignez-y cet écrit, qu'elle traça pour son frère, lorsqu'elle était prête à rendre le dernier soupir. S'il nous avait haïs, il ne pourra résister aux tendres sentimens que cette lettre renferme; et s'il nous aime encore, vous lui serez plus chère: conservez soigneusement ces dons précieux, les derniers présens d'un père qui vous aime...

«De tant d'amis qui m'accablèrent des témoignages de leur affection dans des tems plus heureux, il ne me reste qu'un homme, qui veut bien s'intéresser à vous. Quoiqu'excessivement riche, il vit sans faste. Je ne lui connais qu'un défaut; c'est d'avoir trop de cette dévotion minucieuse qui se charge de pratiques, bonnes peut-être, mais qui loin d'être essencielles et nécessaires, emportent un tems qu'on pourrait mieux employer: A cela prês, la voix du public lui donne sans partage le tître d'honnête homme. C'est entre ses mains que je vais te remettre, ô toi! chère enfant, le seul bien dont la perte fait en ce moment couler mes larmes. Obéis, ma Fanchette, comme à moi-même, à ce nouveau père que je te donne en mourant.»

Le bon marchand s'arrêta: Fanchette fondait en larmes: Elle couvrit de baisers les mains de son père, qui lui dit d'une voix entrecoupée par les sanglots: «Ma fille, assure-moi que je vivrai dans ton cœur... que mes leçons règleront ta conduite, et...—Cher papa! s'écrie impétueusement la jeune fille: ah! quelle âme me croyez-vous donc, pour demeurer insensible à vos bontés!... Mon père!... jamais... non jamais votre nom chéri, vos avis, votre tendresse ne sortiront de ma mémoire, ni de mon cœur...» Les yeux du moribond s'animèrent; le sourire de la satisfaction vint encore se tracer sur ce visage hideux et décharné: son cœur paternel palpita: il dut à sa fille le bonheur de ses derniers momens. «Bénis-la, mon dieu! dit-il à demi-bas: mon dieu! bénis-la, cette chère enfant, le plus précieux des dons que tu m'as faits; car elle a répandu de la douceur jusque sur les angoisses de la mort.» Ces mouvemens étaient trop vifs et trop doux; des organes débilités, un corps abattu, ne purent les soutenir: une faiblesse survint à Florangis: Celui dont il venait de parler à sa fille entre dans ce moment; il donna quelques secours à son malheureux ami; qui r'ouvrant ses yeux éteints, l'aperçut, et montra de la joie. «Fanchette, ajouta-t-il, d'une voix tombante, voila... celui... qui veut bien... te servir de père...» En achevant ces mots, prononcés avec peine, ses yeux se refermèrent; on n'entendit plus que quelques soupirs, impuissans efforts de la nature qui lute encore contre la destruction... On arracha Fanchette d'auprês du corps de son père, qu'elle arrosait seule de ses larmes: Les yeux de son ami (la jeune fille le remarqua) restèrent toujours secs.

Contes de Restif de la Bretonne

Подняться наверх