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PIED DE FANCHETTE
HISTOIRE INTÉRESSANTE ET MORALE
CHAPITRE PREMIER
PRÉFACE
Parturient montes, nascetur ridiculus mus [1].
Je suis l'historien véridique des conquêtes brillantes du Pied mignon d'une belle. O vous! l'étonnement et la terreur de l'univers, conquérans célèbres, Ninus, Sésostris, Alexandre, César, Charlemagne, Gengiskan, vertueux Henri IV, fougueux Charles XII, et toi-même, le héros de mon pays, immortel Louis XIV, pavillon bas. Vous avez règné sur des hommes que fit trembler votre redoutable puissance; et Fanchette, jeune, sans nom, sans naissance; mais avec un minois séduisant, des yeux pleins de douceur, un pied... ah ciel! un pied... comme on n'en vit jamais, tant il est joli, règne, par l'amour sur tous les cœurs. Son triomphe est bien plus doux que ceux que vous procurèrent tant de victoires: Pour conserver les sujets qu'elle a soumis, il ne lui faut que paraître et faire un pas. Telle autrefois cette fameuse Sémiramis, en montrant aux peuples mutinés ses beaux cheveux épars et sa gorge nue, calma la révolte des séditieux enchantés. Ou plutôt: Telle on voit de nos jours l'aimable L***, chaussée d'une mule mignone, attirer sur son petit pied [2] les yeux d'une foule d'admirateurs: Il n'est pas un jeune-homme qui n'envie le sort de son heureux époux: Si d'un sourire, cette belle encourageait ceux qu'elle a charmés, du militaire, elle ferait un CONDÉ; du poète, un Voltaire; du prosateur, un Rousseau; du musicien, un Rameau; du peintre, un Boucher; de tous les artistes, de grands hommes; et de tous les hommes, des amans.
Quelle emphâse, après un tel tître, dira-t-on?... Mais, cher lecteur, c'est l'usage, lorsqu'on écrit l'histoire de personnes vivantes, ou dont la famille est en crédit: on emploie de grands mots, de grandes phrases, pour dire de três-petites choses. D'ailleurs, mon sujet n'est pas aussi mince qu'on pourrait se le figurer. L'attention des femmes de nos jours à relever les grâces d'un joli pied, et notre expérience, semblent nous indiquer que seul il peut faire naître des passions. Mais que dis-je? pourquoi me borner à notre siècle, et ne former que des conjectures, tandis que l'histoire nous fournit des exemples? L'éclat de la chaussure de la belle Judith éblouit Holoferne, avant que sa beauté rendît captive l'âme du général assyrien [3]. Le père du farouche Vitellius ne put voir sans émotion le joli pied de l'impératrice Messaline; il obtint la permission de la déchausser, s'empara d'une de ses MULES, qu'il porta toujours avec lui, et que souvent il baisait [4]. Serait-ce parce que dans les femmes, ces êtres charmans destinés à plaire, la nature a voulu que tout fût enchanteur et séduisant? Il le faut bien. Ces magiciennes aimables font de toutes les choses à leur usage un talisman vainqueur: tout devient flèche de l'amour dês qu'elles l'ont touché.