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CHAPITRE III
Qui n'en imposera pas au lecteur.

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Table des matières

Kathégètes (c'est le nom du vieillard) parla quelque tems à la fille charmante, dont le joli pied m'avait si vivement frapé: Leur entretien me parut court. Tel, nouvellement arrivé de province, un spectateur à l'opéra, devient tout yeux et tout oreilles: tantôt les décorations, les instruments, la musique, les machines: tantôt les acteurs, et surtout les actrices; la légèreté, les gracieuses évolutions, les attitudes voluptueuses, ces mouvemens des danseuses où l'art disparaît, et que le sentiment semble nuancer, l'occupent, l'enlèvent: le spectacle est fini, la toile est baissée, qu'il regarde et qu'il écoute encore: Et moi, ravi d'admiration, je considérais Fanchette et sa jeune compagne, que le vieillard était déjà sorti: je m'en aperçu, et me hâtai de le suivre.

J'allais lui faire des questions: il me prévint. «Vous, me dit-il, qui ne vous repaissez que de chimères, auteur infortuné de romans plus malheureux encore, je veux vous procurer les moyens de dire vrai au moins une fois dans votre vie. Des affaires importantes m'occupent aujourd'hui. Il s'agit de rendre à son amant, à sa famille, à la patrie une jeune personne, que des vœux involontaires ensevelissent toute vive dans un couvent, et de marier mon élève. Dans huit jours venez me trouver. J'ai des mémoires... Vous y verrez une histoire étonnante: des faits... Cela fera du bruit...

—Huit jours! le terme est bien long, intérompis-je, pour l'impatience que vous venez de faire naître.» Le vieillard allait me répliquer: son élève paraît; il me quitte et le joint. Je vais instruire mes lecteurs de ce que c'était, et de l'accident qu'occasionna ce retard.

A peine le huitième jour commençait à poindre, que je sors du lit en tressaillant. Je vole chez monsieur Kathégètes; il n'est pas levé; on l'éveille: j'entre; il s'habille: il cherche le manuscrit, ne le trouve pas, apelle un garçon qui le sert, gros rustaud nouvellement débarqué, lui fait une question, dont la réponse fut pour moi, cher lecteur, un coup de poignard: ce malheureux avait donné notre histoire pour en faire des papillotes! Nous nous écrions tous deux, le vieillard et moi. Le valet de chambre accourt: il avait encore à la main quelques déplorables fragmens de l'ouvrage, triangulairement tailladés. Il est aisé de s'imaginer quelle fut ma douleur, en les lisant. Prétendant me consoler, le vieillard me raconta les faits en gros. Il ne fit qu'accroître ma douleur: c'était l'histoire de la jolie Fanchette!... Mais des détails hâchés, pouvaient-ils remplacer ce que j'avais perdu? J'étais venu rempli des plus hautes espérances: je m'en retournai vide, triste, anéanti.

Quinze jours s'écoulèrent: J'oubliais déjà que j'avais été sur le point de porter le titre glorieux d'historien, et prêt à devenir l'émule des R..., des F..., des V..., et surtout des T..., dont les héros sont plus raprochés de ceux que je devais célébrer; lorsqu'en entrant au CAFÉ où virtus bellica gaudet, j'entendis deux jeunes officiers disputer aussi chaudement que de jeunes bacheliers de la faculté des dépêches [A] sur l'inoculation. Je m'approche: ils parlaient d'un manuscrit. Ce mot est intéressant pour un auteur. J'écoute. L'un en niait l'autenticité, l'autre la défendait: On me prend pour arbitre: Je demande (à l'imitation des gens de loi) qu'on me saisisse de la chose contentieuse, et quelques jours pour donner ma décision.

[A]C'est un nom fort désignatif pour la faculté de médecine.

Cher lecteur, quelle dut être ma surprise, lorsqu'en jetant les yeux sur le manuscrit, je reconnus dês les premières lignes, l'histoire qu'un malheureux valet de chambre mit en lambeaux! l'histoire du pied de Fanchette!

... Le maroufle avait entendu mes regrets et ceux du vieillard, ils lui suggérèrent l'idée d'une friponnerie: il fut adroitement s'emparer de ce qu'il nous avait montré, et dont nous fesions peu de cas, cacha les feuilles encore entières, courut à tous ceux qu'il avait frisés, les dépapillota, rajusta le tout comme il put, et fit copier. Le manuscrit ainsi recompleté, à peu de chose prês, il alla le vendre à l'abbé .. qui, dit-on, achète des ouvrages tout faits, dont il a le front de se donner ensuite pour l'auteur. Suivant sa méthode, ce fameux écrivain avait defiguré celui-ci sous prétexte de le corriger, de manière à le rendre méconnaissable. Un petit-maître entra comme il achevait. «Encore un ouvrage, dit-il d'un ton railleur?—Hom... Hom... c'est une bagatelle.—Voyons... l'on peut voir, mon cher?—Oui, cette note.—L'auteur a ma foi! raison; rien de plus sot et de plus ignare qu'un petit-maître.» Tout en lisant, le petit-maître remarqua les ratures,—qui seules étaient de la main de l'abbé. Certains bruits courans dans le public augmentèrent ses soupçons; la fin de cette note qu'il venait de lire, et d'autres endroits rayés, les confirmèrent; il saisit le moment d'une visite qui survient, s'empare du manuscrit, court le montrer pour perdre de réputation son ami: il a même l'infidèlité d'en faire une nouvelle copie corrigée, mutilée, augmentée, afin de la rendre plus différente de celle de l'auteuromane. Il prêta ce nouvel exemplaire à une femme à vapeurs, qui le lut en entier sans bâiller, le trouva délicieusement écrit, et cependant raya, restitua, embellit, et laissa le manuscrit épuré sur sa toilette, où l'officier le trouva. Celui-ci me le remit, comme je viens de le dire: je lui fis connaître mes droits, qu'il ne disputa pas. C'est ainsi que par un coup du sort, l'ouvrage revint à son légitime propriétaire. Heureux le public et moi-même! si l'absence du vieillard Kathégètes ne l'eût empêché de le revoir.

FIN DE LA PRÉFACE.


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