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VII

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Le lendemain, quand il se réveilla, il se sentit plus content. Il aperçut par sa petite fenêtre un beau carré de ciel bleu.

En bas, les halles étaient en plein mouvement. Au milieu du brouhaha des voix, d’où sortaient par instants des cris aigus, ou des appels retentissants, des milliers de voitures qui roulaient sur le pavé, faisaient un grondement sourd, ininterrompu.

Mais, ce n’était déjà plus pour Jacques l’impression ahurissante qu’il avait eue à son arrivée; au-dessus de l’indistincte confusion des bruits, les grelots, les clochettes des chevaux de maraîchers, lançaient leurs notes fines, claires, sonores, et ce tintement faisait comme une joyeuse musique dans la gaieté du matin.

Dès qu’il fut prêt, il descendit. C’était le Louvre qu’il voulait voir, il se promettait d’y passer la journée entière; il allait y courir sans perdre une minute. Mais les halles avaient bien changé depuis la veille; hier, elles étaient de grands bâtiments en fer, tout sombres à l’intérieur, silencieux, vides, et fermés par des grilles; aujourd’hui, la vie y circulait avec une telle intensité, qu’elles semblaient vivantes. La grandeur de leur construction passait inaperçue, et on ne voyait plus que des flots de créatures humaines, se répandant autour des charrettes, submergeant des monceaux de verdure, inondant les trottoirs, envahissant les chaussées, se renouvelant sans cesse, et remuant toujours.

Poussé par la curiosité, il pénétra sous les hangars où la bousculade était moins vive; il parcourut ces couloirs étroits, bordés, à droite et à gauche, d’étalages disposés pour la tentation, et au milieu desquels siègent les vendeuses qui interpellent le passant, s’efforcent de l’arrêter, de triompher de ses résistances ou de sa parcimonie. Mais, d’un coup d’œil, les malignes commères vous pèsent votre homme, et par la mine jugent de la bourse: Jacques fut laissé bien tranquille; il n’était pas un chaland sérieux.

Aussi, put-il tout à son aise donner à ses yeux le plaisir de regarder ces pyramides de beaux fruits veloutés ou lisses, ces montagnes de légumes multicolores, ces rangées de poissons humides, irisés à la surface des écailles, et posés à plat sur les tables de marbre blanc. Dans l’attention qu’il prêtait à tout cela, il n’y avait aucune gourmandise, et même très peu de badauderie: il avait eu plusieurs fois des idées de peintre.

Il s’était souvent arrêté devant des bouquets de couleur d’une magnificence sans pareille, composés par le hasard, avec les produits des potagers de la banlieue. Il avait admiré, au milieu d’un tas de salades d’un vert pâle, doux, presque tendre, des aubergines violacées presque noires, des citrons d’or, et sur un lit de feuilles d’épinards ou d’herbages sombres, de magnifiques tomates luisantes, d’un rouge éclatant, atteignant par le contraste au maximum de la richesse et de la puissance du ton.

«Comme ce serait amusant à peindre!» pensait-il, et il lui semblait tenir une palette au pouce, et des pinceaux aux doigts. Poursuivant la même recherche, il s’arrêtait devant les coins pittoresques, et clignait des yeux pour apercevoir les ensembles dans une plus délicate netteté.

Il était arrivé à la grande allée du milieu; la matinée était splendide sous ce soleil de septembre qui baigne tout de vapeurs diamantées, claires et enveloppantes. Jacques, à l’ombre sous la haute nef, voyait en face de lui l’arc de la toiture entre les lignes noires duquel s’ouvrait l’étincelante perspective de la rue. La circulation s’y faisait toujours active. Mais l’horizon de lumière semblait lointain en raison de la vigoureuse fermeté du premier plan sombre, qui formait cadre.

«Le tableau est tout fait!» se dit-il à lui-même.

A peine eut-il formulé cette remarque, qu’il ne put s’empêcher de réprimer un mouvement instinctif, et de sourire: il pensait au père La Corrèze. Que dirait-il, s’il apprenait que de telles idées avaient pu occuper, même une seconde, la cervelle de son protégé ? Ah! quel sermon il ferait, lui qui discourait si bien sur la peinture noble, proclamait les droits de l’idéal, et voulait qu’on sacrifiât à la majesté du grand art!

Jacques en eut un petit frisson; toutefois il réfléchit qu’il avait eu tort de s’attarder, et qu’il n’était passé par là que pour aller au musée. Ce retour fait sur lui-même, s’exagérant le respect dû aux principes de son éducation, il en vint à s’imaginer naïvement qu’il était inconvenant de rester aux halles quand il pouvait courir au Louvre, et qu’il y avait profanation à admirer des légumes dans un marché, au moment d’aller contempler Raphaël!

Or, il eut beau penser et beau faire, il avait subi une impression, une véritable impression d’artiste, spontanée et vive; il ne devait plus l’oublier de sa vie.

Une vie d'artiste

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