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II

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De qui tenait-il ces beaux yeux clairs? J’imagine que c’était de la Providence, qui —quoi que l’on prétende — fait le plus de bien qu’elle peut: car, à coup sûr, ce n’était pas de sa mère, vulgaire marchande de charbon, dans le cerveau de laquelle il faisait aussi noir que dans le fond de ses sacs. Il pouvait moins encore en être redevable à son père: ivrogne de tempérament, fainéant de nature, et journalier de profession; un de ces êtres misérables qui, père et mari de par la loi, sont incapables de l’être jamais par le cœur. Sans avoir publiquement abandonné son ménage, il vagabondait toute l’année, entrant au logis une fois ou deux par mois, lorsqu’il passait devant la porte, ou qu’il avait besoin d’argent; le reste du temps, il vivait de besognes de rencontre, portait des fardeaux, déchargeait des voitures, s’employait aux corvées les plus basses.

Tels étaient ceux qui devaient avoir autorité sur Jacques; tel était le milieu où il fallait qu’il se développât. Quand il eut neuf ans, comme il devait bien en somme travailler, lui aussi, on l’envoya courir les rues, muni d’un tronçon de balai et d’une pelle ébréchée; il guettait le passage des chevaux, et ramassait le crottin qu’il vendait pour quelques sous aux jardiniers de la ville.

Avoir des yeux de pervenche et ramasser du crottin! voilà, n’est-il pas vrai? une de ces anomalies cruelles qui semblent prouver l’aveuglement de la destinée. — Et, cependant, ce fut au charme étrange de sa figure blonde qu’il dut de voir s’ouvrir l’horizon de son existence. Des voisins s’intéressèrent à cet enfant doux, qui, sous ses vêtements en loques, avait l’air d’être travesti; sur leurs conseils réitérés, il fut envoyé à l’école primaire; là, il apprit vite à lire, à écrire, à compter. Il était attiré comme d’instinct vers les choses où sa petite intelligence avait affaire: ça l’amusait d’apprendre; un livre sous les yeux, un crayon ou une plume aux doigts, il se sentait tout content.

Une secrète faculté d’observation qui était en lui l’invitait, sans qu’il s’en rendit compte, à remarquer les formes des objets qu’il voyait. Il s’essayait à les reproduire du bout de sa plume d’écolier, sans avoir d’autre idée que celle de se distraire, et de promener sa main sur le papier. Quand on lui parla de dessiner, il ouvrit les yeux tout grands, étonné, mais flatté au fond d’apprendre que ce qu’il avait fait, c’étaient des dessins. Il continua dès lors avec préméditation ses tentatives tout d’abord inconscientes, y réussit moins pendant quelque temps, ainsi que cela devait être, mais révéla des dispositions réelles dont on parla, et qui furent signalées d’un air d’importance par le brave maître d’école chargé, à la classe du soir, d’apprendre à copier des nez et des oreilles, sans que d’ailleurs il comprît quelque chose à ce que monsieur Ingres a appelé la probité de l’art.

Quoi qu’il en soit, Jacques fut admis à l’académie municipale de dessin. Il avait quinze ans; sa nature expansive, une grande sensibilité d’impression, le faisaient, par échappées soudaines, s’abandonner à des accès de joie, ou se livrer à des plaisirs qui eussent semblé convenir à de plus jeunes que lui.

C’est ainsi que, pendant longtemps, il ne manqua pas d’accompagner les soldats qui jouaient, le soir, la retraite à travers les rues. A vrai dire, ce n’était ni le bruit, ni les éclats retentissants qui l’attiraient, lui, ainsi que les autres: il éprouvait comme une émotion virile aux sons de cette harmonie mâle, et il l’aimait parce que, en l’écoutant, il se croyait devenir plus grand.

Or, quelque temps après être entré à l’académie de dessin, il cessa pour jamais de faire la conduite aux clairons et aux tambours. Était-ce qu’il dédaignât un amusement devenu trop puéril? Non, il y a là toute une grave histoire qu’il faut conter, et qui fera bien connaître le petit Jacques.

Une vie d'artiste

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