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La joie de Jacques fut radieuse. Les choses qu’on a désirées de tout son être, longtemps, semblent, avec le temps, devenir irréalisables comme de beaux rêves; mais, si par hasard elles arrivent, rien n’égale le transport qui les accueille. Pour Jacques, ce n’était pas une bourse qu’on lui avait donnée, mais le talent, le génie, la gloire, tout cela ensemble, et la richesse par-dessus le marché. Paris lui était ouvert: non, Paris l’attendait, qui allait être émerveillé de ses œuvres! Et ces discrets murmures flatteurs, qui entouraient son chevalet, à l’académie de sa petite ville, il croyait déjà les entendre là-bas, considérablement grossis en proportion de l’importance de la capitale, et devenus des ovations, au milieu desquelles il s’avancerait.

Entraîné par son imagination, il ne se rendait plus compte qu’il n’était qu’un lauréat d’école, qu’un élève qui avait encore tout à apprendre: en somme, ni plus ni moins qu’une chrysalide d’artiste; il se sentait des ailes, et croyait qu’il n’avait qu’à les ouvrir pour prendre son essor à travers l’espace. Toutefois, dans ces belles idées d’avenir qui hantaient son cerveau et qu’il était trop réservé pour formuler, il n’y avait pas le plus léger souffle de ridicule orgueil, ou de vanité malsaine; ce n’était qu’un débordement d’enthousiasme juvénile, une montée de sève ardente et généreuse, un de ces nobles appels tout vibrants d’espérance, que l’adolescent jette au bord de la vie, hélas! et auxquels l’écho ne répond pas toujours!

Quant au père La Corrèze, il triomphait. Jamais visage plus satisfait, plus épanoui, ne trôna au-dessus d’une cravate blanche plus solennellement roulée en serviette. Il l’avait bien dit, depuis longtemps, on s’en souvenait, qu’il y avait quelque chose à faire avec ce garçon-là.

«Et je suis maintenant en mesure d’affirmer qu’il sera quelqu’un», ajoutait-il d’un ton d’oracle.

Jacques voulait partir sans attendre; on était en août. On eut toutes les peines du monde à le retenir quelque temps. A ceux qui lui disaient que l’école des Beaux-Arts ne rouvrait qu’au mois d’octobre, il répondait qu’avant de se mettre au travail et d’entrer à l’atelier, il voulait connaître un peu Paris, voir les monuments, visiter les musées et surtout le Louvre, le Louvre qui lui semblait devoir être le centre et comme l’âme même de Paris.

Son impatience eut, au bout d’un mois, raison de toutes les résistances. Un jour il fut appelé à la mairie, et le maire lui remit lui-même une somme de 200 francs représentant le premier trimestre de sa pension, avec une lettre que, comme président du conseil d’administration de l’académie de dessin de Châlons-sur-Marne, il écrivait à «son collègue» le directeur de l’école des Beaux-Arts de Paris.

Jacques alla annoncer la bonne nouvelle, et faire ses adieux au père La Corrèze, qui lui fit un beau discours sur la dignité du grand art, sur l’avenir de la peinture française, sur les dangers qui guettaient dans la Capitale les jeunes gens sans expérience, et lui donna, comme témoignage de satisfaction personnelle, deux billets de cent francs.

Jacques accepta l’argent avec reconnaissance et le discours avec une attention très respectueuse. Mais, quand il fut question des «fameux dangers», il comprit, et secoua la tête d’un air d’assurance, qui voulait dire:

«On peut être tranquille à cet égard, je sais le mal que font les femmes; j’en ai l’expérience, moi, depuis l’histoire de la rue de la Grande-Étape!»

Les dernières visites faites, ses préparatifs terminés, il embrassa sa mère, et le père La Corrèze vint le chercher pour le mener à la gare, en voiture découverte comme de raison; car il voulait, le bonhomme, qu’on vît bien qu’il achevait son œuvre, et qu’après avoir formé ce brillant élève dans sa ville natale, il le conduisait lui-même «à l’entrée du chemin de la fortune».

Ce fut ainsi qu’au mois de septembre de cette année-là, une des locomotives sifflant vers Paris, emmena avec elle un jeune homme qui avait du bonheur plein les yeux, au cœur la confiance la plus naïve, et dans l’âme cet infini qui est l’ambition de l’artiste dont l’enthousiasme est vierge encore.

Ce fut ainsi que Jacques Damery partit pour la grande ville, s’abandonnant, bercé par la trépidation du chemin de fer, à son imagination qui se surexcitait pour deviner ce qu’il allait voir et éprouver là-bas. Il apportait avec lui beaucoup d’ardeur, une volonté arrêtée de parvenir, tout un bagage d’idées généreuses enveloppées dans bien des illusions, et en plus une grosse somme d’argent. Car, pensez donc, il avait quatre cents francs!

Il s’était souvent demandé ce qu’il allait faire d’une telle fortune.

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