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IX

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Les premières semaines que l’on passe à Paris ne sont pas oisives, si l’on est pressé de tout connaître, ou du moins de tout voir. Jacques employa bien son temps; il passa en revue les différents monuments, visita le Luxembourg, alla jusqu’à Versailles, et retourna souvent au Louvre; chaque fois, il y faisait des découvertes et de nouvelles connaissances.

Son être moral et physique menait une existence fiévreuse. Du matin au soir, il marchait, satisfaisant sa curiosité de provincial lâché dans la capitale. La réalité dépassait le rêve; et ce Paris désiré, convoité, objet de ses aspirations constantes lui appartenait, avec la vie d’artiste qui allait s’ouvrir!

Il se répétait tout cela, étonné qu’il était d’avoir souvent le bonheur si calme, et parfois si triste. L’agitation de la journée faisait rapidement envoler les heures; mais quand il rentrait dans sa chambre, aux approches de la nuit, il se retrouvait seul dans le silence, dans le vide.

«Bonjour, bonsoir, madame Carré !» Voilà tout ce qu’il avait à dire.

Mme Carré était toujours bienveillante, mais si affairée, qu’elle n’avait pas le temps de lui tenir compagnie; d’ailleurs, il ne pouvait causer de l’Antiope avec elle.

Il avait bien pour voisine Mme Coubron, marchande aux halles, qui logeait dans des chambres mitoyennes à la sienne, avec son fils et sa fille, une douce et gracieuse tête blonde. Mais Jacques était trop timide pour entrer en relations; il avait peur d’être indiscret. On se saluait avec cordialité dans l’escalier, et c’était tout.

Décidément, ce Paris était une ville indifférente, égoïste et méchante. Une voiture écrasait un passant: dix pas plus loin, on ne s’en doutait même pas. A Châlons, au moins, on était au courant du bien ou du mal qui arrivait aux autres, et on s’y intéressait.

Souvent, perdu dans le flot des passants, il songeait à ce que l’on faisait là-bas à la même heure, dans sa bonne et tranquille ville. Un tel devait sortir pour aller au café ; celui-ci lisait son journal à la fenêtre; celui-là fermait les volets de sa boutique; l’omnibus revenait du chemin de fer. Bien sûr, le père La Corrèze était à l’académie, parcourant les salles. Pauvre père La Corrèze! il serait content de le revoir ici. Et, avec les figures de connaissance, le train-train régulier et paisible de Châlons lui apparaissait, en images fugitives et consolantes, qui se dissipaient comme elles étaient venues.

Dans cette immensité vivante, il lui manquait, le coin intime qui vous attend, et qu’on retrouve quand on veut, le milieu d’affection où l’on s’épanche, la maison même qui vous connaît bien, et semble vous souhaiter la bienvenue par ses fenêtres, du plus loin qu’elle vous aperçoit. Certes, l’esprit de Jacques était heureux, il avait de quoi se mouvoir, mais son cœur s’ennuyait. Il avait enfin le mal du pays, ce mal qu’on éprouve aussi fort à Paris, quand on vient de la province, qu’à l’étranger quand on a quitté la France.

Puis, une préoccupation plus poignante, étant d’ordre matériel, vint l’étreindre. Jusque-là, il avait mené l’existence la plus simple qui pût être, en garçon à qui le strict nécessaire a toujours suffi. Mais, à Paris, le nécessaire se paye presque comme le superflu dans les petites villes. Les trois premières semaines passées, il s’aperçut que sa bourse était sensiblement allégée, et qu’elle serait bientôt vide, s’il ne devenait plus économe. Le trimestre suivant, comment ferait-il alors qu’il n’aurait plus les subsides extraordinaires donnés par le père La Corrèze?

Il voyait d’une saisissante façon, se poser les termes de cet inquiétant problème: vivre à Paris avec soixante-six francs soixante-six centimes par mois. Certes, il ne craignait pas les privations. Il se faisait même de sa misère de demain un tableau qui ne lui déplaisait pas, parce qu’il était pittoresque; mais ce qui l’effrayait, c’était l’inconnu de la vie d’atelier. Il fallait à tout prix que ses camarades ignorassent sa situation. Pourrait-il leur cacher sa détresse? cette question le tourmentait; car, pour rien au monde, il ne voulait passer pour un pauvre.

Une vie d'artiste

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