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Cependant, l’époque de la rentrée à l’école des Beaux-Arts était venue.

Jacques attendait avec impatience le moment où il aurait enfin un centre de travail, de relations et même d’amitiés. Il alla voir M. Masurel, professeur d’un des trois ateliers de l’École nationale, officier de la Légion d’honneur et membre de l’Institut.

Son maître de Châlons, qui avait été autrefois l’élève de l’illustre artiste, lui avait adressé Jacques avec une lettre de recommandation signalant les aptitudes du jeune homme.

Masurel était une personnalité considérable dans le monde des arts. Sa réputation battait alors son plein. Avec sa tournure élégante et sa mise soignée, ses cheveux de neige soigneusement peignés, sa barbe blanche séparée sous le menton par deux pointes bien taillées, ses moustaches relevées en crocs effilés comme des aiguilles, il avait vaguement, et à première vue, l’air de Dieu le Père, mais d’un Dieu le Père coquet, peint par un moderne sceptique, dédaigneux de la tradition biblique.

Jouissant de toutes les faveurs de la célébrité et de la mode, il avait fait le portrait de l’Empereur, et les grandes dames avaient défilé devant son chevalet. Ses tableaux d’histoire, ses peintures décoratives, ses figures mythologiques, n’étaient jamais regardées qu’au milieu de petits cris admiratifs, et faisaient dans les salons l’objet de causeries enthousiastes.

Il avait une manière vaporeuse, non exempte de charme, un modelé très souple, mais impalpable. On eût dit que ne trouvant pas les os comme il faut, il dédaignait d’en indiquer la place. Sa qualité était une distinction suprême: cette distinction avait bien été qualifiée de lymphatique, mais c’était les téméraires de la nouvelle école qui avaient lancé cette épithète, colportée ensuite par les envieux. En somme, jamais personne n’avait mieux représenté la vraie femme du monde; et ce mérite-là lui sera laissé dans la postérité.

Comme professeur, il avait droit à la reconnaissance de plusieurs générations: très exact, venant corriger à l’atelier trois fois par semaine, il s’efforçait de laisser en toute liberté se développer la personnalité de chacun; il avait ainsi formé — serpents réchauffés dans son sein — des peintres brillants dont les principes hardis, consacrés par le succès, allaient établir à travers l’art un courant de conceptions destinées à refouler les siennes. D’une sollicitude acharnée à l’égard de ses élèves, il les défendait à outrance, dans les votes de récompense, dans les jugements de concours; et ses collègues de jury craignaient pour les leurs sa ténacité persuasive et les convictions de ses partialités sincères.

Quand Jacques se présenta chez Masurel, le cœur lui battait fort. L’idée de comparaître tout seul devant un homme si connu, l’effrayait. Dès qu’il fut entré, le luxe de l’intérieur, la beauté des tapisseries accrochées aux murailles, l’épaisseur des tapis d’Orient étalés par terre, l’intimidèrent encore plus. Il remit au domestique sa lettre d’une main mal assurée, et attendit quelques secondes dans le vestibule sans oser s’asseoir. On vint lui dire qu’il pouvait monter à l’atelier, il monta. Une porte s’ouvrit, et dans le grand jour tombant d’en haut, il aperçut Masurel debout, près d’une toile ébauchée, tenant la lettre, qu’il lisait.

«Bonjour, mon ami. Vous venez de Châlons, paraît-il. J’ai beaucoup connu votre professeur, un de mes bons élèves et qui a du talent.»

Jacques inclina le haut du corps en avant, d’un air gauche, sans répondre, et en tournant son chapeau entre ses doigts.

«C’était, n’est-ce pas, un grand garçon brun?

— Je ne crois pas, fit Jacques, d’une voix étranglée; il est plutôt petit et blond.

— Ah! parfaitement.... Et vous voulez faire de la peinture. Vous avez des dispositions, à ce que je vois, dit Masurel en montrant la lettre... c’est très bien. Vos parents ont quelque fortune sans doute?

— Pas du tout.

— Allons, ça vaut mieux; vous travaillerez davantage.... Mais il faut dessiner beaucoup. Avez-vous apporté à Paris quelques-uns de vos dessins?»

Jacques répondit oui par un signe de tête.

«Je les verrai à l’atelier.... voilà qui est entendu, vous comptez au nombre de mes élèves. Installez-vous dès demain: c’est la rentrée. Je préviendrai Mériel, le massier, qu’il veille à ce que l’on ne vous fasse pas trop de misères.»

Et il lui tendit la main, que Jacques alla chercher d’un bout de l’atelier, et qu’il serra, le corps plié en deux dans un salut.

«Comme il a été aimable!» se dit Jacques, tout joyeux de se trouver dehors, et d’être débarrassé de l’entrevue.

Quant aux misères dont le maître lui avait dit deux mots, il savait que c’était la tradition à l’école des Beaux-Arts «de faire des charges au nouveau». Il s’y attendait, ne s’en effrayait pas outre mesure; il pensait d’ailleurs que tout valait mieux que la solitude par où il venait de passer depuis un mois.

Une vie d'artiste

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