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I

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Les soirées sont tristes dans les villes de province, bien tristes, surtout quand la ville est grande, et qu’on ne voit pas la campagne. Le semblant d’animation monotone et régulière, qui parvient à se produire le jour, disparaît quand la nuit tombe. C’est comme une cessation d’être qui s’étend sur toutes choses. Les boutiques se ferment, les rues deviennent désertes, et les quinquets clignotants éclairent le vide des carrefours. Devant ces maisons habitées, mais toutes closes, le silence est plus profond, plus morne que dans la solitude d’un paysage. A neuf heures du soir, un promeneur attardé parcourt-il les rues, on entend ses pas battre le pavé sonore à coups réguliers, et le bourgeois paisible, au fond de sa chambre à coucher, reste immobile dans le geste commencé, prêtant l’oreille au bruit insolite et inattendu.

Dans les villes de garnison, comme Châlons-sur-Marne, cet état quotidien de léthargie ne commence guère qu’après un signal qui est la retraite; et ne trouvez-vous pas qu’il n’est nullement désagréable de l’entendre cette retraite du soir? Sans doute, elle rappelle les brouhahas de la vie militaire, le voisinage bruyant de la caserne, l’incessant va-et-vient des pantalons rouges dans les rues, tout le prosaïsme de l’existence uniformisée d’une masse d’hommes; mais, ces tambours, dont les roulements distincts à peine dans le lointain, ont comme des grondements tendres, puis des plénitudes de sonorités triomphantes, ces clairons qui semblent déchirer l’espace de leurs notes de cuivre aiguës et plus grêles, cette musique qui, traversant la quiétude de la ville, naît, éclate et meurt chaque soir, tout cela bénéficie du charme et de la vague poésie de l’heure, l’heure rose en été, l’heure des veillées chaudes et intimes en hiver, près de la cheminée où les derniers tisons se consument sur la cendre.

Pour les enfants, la retraite est une occasion de voir passer des militaires, de marcher au pas derrière eux, de prendre part à un beau tapage. Ils la suivent, tout farauds, s’imaginant qu’on les regarde, et qu’ils ont des allures très guerrières.

A Châlons-sur-Marne, en 1857, le petit Jacques Damery faisait partie de la bande des gamins de la ville. Il eût eu mauvaise grâce, celui-là, à jouer au tambour-major; mince et grêle, il avait cette distinction physique que l’apparence d’une constitution délicate donne aux enfants du peuple, d’ordinaire bouffis et bien portants. Ses épaules supportaient une tête qui semblait forte, et que d’épais cheveux blonds tout frisottants grossissaient encore; mais le charme de sa physionomie c’était deux grands yeux d’un bleu pâle et doux, sans cesse étonnés, ou rêveurs. Il y avait dans son regard plus de tendresse que d’espièglerie, et comme un reflet d’intelligence pensive qui n’était pas toutefois cette gravité précoce, indice d’un flétrissement du cœur. Le contraste était étrange entre la mise déguenillée du petit bonhomme et la limpide clarté de ses prunelles ouvertes dans ce visage où fleurissait l’enfance.

Une vie d'artiste

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