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CHAPITRE VIII.

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Table des matières

IL paroît que la Composition, qui est une partie essentielle de la Peinture, comprend les objets qui entrent dans l’Histoire,&qui en font la fidélité, que par conséquent cette fidélité doit être essentielle à la Peinture,&que le Peintre est dans la derniére obligation de s’y conformer.

A quoy on répond, que si la fidélité de l’Histoire étoit essentielle à la Peinture, il n’y auroit point de Tableau où elle ne dut se rencontrer: Or il y a une infinité de beaux Tableaux qui ne réprésentent aucune Histoire; comme sont les Tableaux Allégoriques, les Païsages, les Animaux, les Marines, les Fruits, les Fleurs,&plusieurs autres qui ne sont qu’un effet de l’imagination du Peintre.

Il est vray cependant que le Peintre est obligé d’être fidéle dans l’Histoire qu’il réprésente,&que par la recherche curieuse des circonstances qui l’accompagnent, il augmente la beauté&le prix de son Tableau; mais cette obligation n’est pas de l’Essence de la Peinture, elle est seulement une bien-séance indispensable, comme la Vertu&la Sience le sont dans l’Homme. Et de même que l’homme n’en est pas moins Homme pour être ignorant&vicieux; le Peintre n’en est pas moins Peintre pour ignorer l’Histoire. Et s’il est véritable que les Vertus&les Siences sont les ornemens des Hommes, il est aussi trés-certain que les Ouvrages des Peintres sont d’autant plus estimables qu’ils font paroître de fidelité dans les sujets historiques qu’ils réprésentent; supposé d’ailleurs qu’il n’y manque rien de l’imitation de la Nature, qui est leur Essence.

Ainsi un Peintre peut être fort habile dans son Art,&fort ignorant dans l’Histoire. Nous en voyons presque autant d’éxemples qu’il y a de Tableaux du Titien, de Paul Veronése, du Tintoret, des Bassans,&de plusieurs autres Vénitiens qui ont mis leur principal soin dans l’Essence de leur Art; c’est-à-dire dans l’imitation de la Nature,&qui se font moins appliquez aux choses accessoires qui peuvent être ou n’être point, sans que l’Essence en soit altérée. Il semble que ce soit dans ce sens que les Curieux regardent les Tableaux des Peintres que je viens de nommer, puisqu’ils les achétent au poids de l’or,&que ces Ouvrages sont du nombre de ceux qui tiennent le premier rang dans leurs Cabinets.

Il est sans doute que si cette Essence dans les Tableaux des Peintres Vénitiens avoit été accompagnée des ornemens qui en relévent le prix, je veux dire de la fidélité de l’Histoire&de la Chronologie, ils en seroient beaucoup plus estimables: mais il est certain aussi que ce n’est que par cette Essence que les Peintres doivent nous instruire,&que nous devons chercher dans leurs Tableaux l’imitation de la Nature préférablement à toutes choses. S’ils nous instruissent, à la bonne heure, s’ils ne le sont pas, nous aurons toûjours le plaisir d’y voir une espece de création qui nous divertit,&qui met nos passions en mouvement.

Que si je veux apprendre l’Histoire, ce n’est point un Peintre que je consulteray, il n’est Historien que par accident; mais je liray les Livres qui en traitent expressément,&dont l’obligation essentielle n’est pas seulement de raconter les faits, mais de les raconter fidélement.

Cependant on ne prétend pas icy excuser un Peintre en ce qu’il est mauvais Historien, car l’on est toûjours blâmable de faire mal ce que l’on entreprend. Si un Peintre ayant à traiter un sujet historique, ignore les objets qui doivent entrer dans sa Composition pour la rendre fidéle, il doit soigneusement s’en instruire, ou par les Livres, ou par le moyen des Sçavans;&l’on ne peut nier que la négligence qu’il apportera en cela ne soit inéxcusable. J’en éxcepte néanmoins ceux qui ont peins des sujets de dévotion, où ils ont introduits des Saints de différens tems&de différens païs, non pas de leur chois, mais par une complaisance forcée pour les personnes qui les faisoient travailler,& dont la trop grande simplicité ne leur permettoit pas de faire réflexion sur les choses accessoires qui peuvent contribuer à l’ornement de la Peinture.

L’Invention, qui est une partie essentielle de cet Art, consiste seulement à trouver les objets qui doivent entrer dans un Tableau, selon que le Peintre se l’imagine, faux ou vrais, fabuleux ou historiques. Et si un Peintre s’imaginant qu’Aléxandre sûr vêtu comme nous le sommes aujourd’huy,&qu’il représentât ce Conquérant avec un Chapeau&une Perruque comme font les Comédiens, il feroit sans doute une chose trés-ridicule,&une faute trés-grossiére: mais cette faute seroit contre l’Histoire,&non pas contre la Peinture; supposé d’ailleurs que les choses réprésentées le fussent selon toutes les Régles de cet Art.

Mais quoy que le Peintre réprésente la Nature par Essence,&l’Histoire par Accident, cet Accident ne luy doit pas être de moindre considération que l’Essence, s’il veut plaire à tout le monde, &sur tout aux gens de Lettres,&à ceux, qui considérant un Tableau plûtôt par l’esprit que par les yeux, font principalement consister sa perfection à réprésenter fidélement l’Histoire,&à exprimer les passions.

Abregé de la vie des peintres

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