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CHAPITRE II.

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Table des matières

IL n’est pas possible de bien réprésenter les objets, non seulement qu’on n’a point vûs, mais qu’on n’a point dessinez. Si un Peintre n’a point vû de Lion, il ne sçauroit peindre un Lion; &s’il en a vû, il ne peut réprésenter cet animal qu’imparfaitement à moins qu’il ne l’ait dessiné ou peint d’après Nature, ou d’aprés l’Ouvrage d’un autre.

Sur ce pied on ne doit pas blâmer un Peintre, qui n’ayant jamais vû ni étudié l’objet qu’il a à représenter, se sert des études d’un autre, plutôt que de faire de son caprice quelque chose de faux: il est nécessaire enfin qu’il ait ses études, ou dans sa mémoire, ou dans son porte-feüille; les siennes, dis-je, ou celles d’autruy.

Aprés que le Peintre a rempli son esprit de la vûë des belles choses, il y ajoûte ou diminuë selon son goût&selon la portée de son jugement:&ce changement se fait en comparant les Idées de ce qu’on a vû,&en choisissant ce que l’on en trouve de bon. Raphaël, par exemple, qui dans sa jeunesse n’avoit chez le Pérugin son Maître que les Idées des Ouvrages de ce Peintre, les ayant ensuite comparez avec ceux de Michelange&avec l’Antique, a choisi ce qui luy a semblé de meilleur,&s’est fait un Goût épuré, tel que nous le voyons dans ses Ouvrages.

Le Génie se sert donc de la mémoire comme d’un vase où il met en réserve les Idées qui se présentent; il les choisit avec l’aide du jugement,&en fait un magasin dont il se sert dans l’occasion: il en tire ce qu’il y a mis,&n’en peut tirer autre chose. C’est ainsi que Raphaël a tiré de son magasin, (pour me servir de ce mot) les hautes Idées qu’il a prises de l’Antique, de même qu’Albert&Lucas ont tiré du leur les Idées Gottiques que la pratique de leur tems&la nature de leur païs leur avoient fourni.

Un homme qui a du Génie peut inventer un sujet en général: mais s’il n’a fait l’étude des objets particuliers, il sera embarassé dans l’execution de son Ouvrage, à moins qu’il n’ait recours aux études que les autres en ont faites.

Il est même fort vray-semblable que si un Peintre n’a, ni le tems, ni la commodité de voir la Nature,&qu’il ait un beau Genie, il pourra étudier d’après les Tableaux, les Desseins,&les Estampes des Maîtres qui ont sû choisir les beaux endroits,&les mettre en œuvre avec intelligence; tel, par exemple, qui voudra faire du Païsage,&qui n’aura jamais vû, ou qui n’aura pas assez observé les païs propres à être peins par leur bizarrerie, ou par leur agréement, fera trés-bien de profiter des Ouvrages de ceux qui ont étudié ces païs-là, ou qui ont représenté dans leurs païsages des effets extraordinaires de la Nature. Il pourra regarder les productions de ces habiles Peintres, comme s’il regardoit la Nature,&les faire servir dans la suite à inventer quelque chose de luy-même.

Il trouvera même deux avantages en étudiant d’abord d’aprés les Ouvrages les habiles Maîtres : Le premier est, qu’il verra la Nature débarassée de beaucoup le choses qu’on est obligé de rejetter quand on la copie: le second est, qu’il apprendra par là à faire un bon chois de la Nature, à n’en prendre que le beau, & à rectifier ce qu’elle a de défectueux. Ainsi un Génie bien réglé&soûtenu de la Téorie, sert à mettre utilement en usage, non seulement ses Etudes propres, mais encore celles des autres.

Leonard de Vinci a écrit que les taches qui se trouvent sur un vieux mur, formans des Idées confuses de différens objets, peuvent exciter le Génie,&l’aider à produire. Quelques-uns ont crû que cette proposition faisoit tort au Génie, sans en donner de bonnes raisons. Il est certain cependant que sur un tel mur, ou sur telle autre chose maculée, non seulement il y a lieu de concevoir des Idées en général, mais chacun en conçoit de différentes selon la diversité des Génies,&que ce qui ne s’y voit que confusément, se débroüille &se forme dans l’esprit selon le Goût de celuy en particulier qui la regarde. En sorte que l’un voit une Composition belle&riche&les objets conformes à son Goût, parce que son Genie est fertile&son Goût bon;&l’autre n’y voit au contraire rien que de pauvre&de mauvais Goût, parce que son Génie est froid,&son Goût mauvais.

Mais de quel caractére que soient les esprits, chacun peut trouver sur cet objet de quoy exciter son imagination,& produire quelque chose qui luy appartienne. L’imagination s’échauffant ainsi peu à peu, se rendra capable par la vûë de quelques figures, d’en concevoir un grand nombre,&d’enrichir la scene de son sujet par quelques objets indécis qui y donneront lieu. Il pourra même facilement arriver que l’on enfantera par ce moyen des idées extraordinaires, qui d’ailleurs ne seroient pas venuës dans L’esprit.

Ainsi ce que dit Leonard de Vinci ne fait aucun tort au Génie, il peut au contraire servir à ceux qui en ont beaucoup, comme à ceux qui n’en n’ont gueres. J’ajoûterois seulement à ce que dit cet Auteur: Que plus on a de Génie,&plus on voit de choses dans ces sortes de taches ou de lignes confuses.

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