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II
LES BARBERINI EN FRANCE

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Ils étaient trois neveux du pape Urbain VIII. L’aîné: le cardinal Francesco, secrétaire d’État. Don Taddeo, prince de Palestrina, préfet de Rome, général de l’Église, marié en 1629 à dona Anna Colonna, fille du connétable. Et le cardinal Antonio, l’ami de Mazarin, plus tard grand-aumônier de France, évêque de Poitiers, archevêque de Reims, pour le moment protecteur de la couronne de France à Rome, c’est-à-dire chargé des intérêts français près du Saint-Siège.

Ils avaient été tout-puissants à Rome, de 1623 à 1644; et j’ai dit ailleurs[66] quel rôle ils avaient joué dans l’histoire de l’opéra. Filippo Vitali, l’auteur de l’Arelusa de 1620, était virtuoso di camera du cardinal Francesco. Stefano Landi, les deux Mazzocchi, les deux Rossi, Marco Marazzoli, écrivaient pour eux. La Diana schernita de Cornachioli (1629) et les Drames musicaux d’Ottavio Tronsarelli (1629) sont dédiés à don Taddeo. L’influence des Barberini sur la musique dramatique devint surtout prépondérante après la construction, dans leur palais de Rome, d’un théâtre qui pouvait contenir plus de 3000 personnes. Le premier opéra qui y fut représenté, le San Alessio de Stefano Landi, en février 1632[67], était dédié au cardinal Francesco. Vinrent ensuite, en 1635, la Vila di S. Teodora, poème de Mgr Ruspigliosi[68]; en 1637, il Falcone[69] et Erminia sul Giordano de Michelangelo Rossi, dédiée à D. Anna Colonna Barberina; en 1639, Chi sofre speri, poème de Mgr Ruspigliosi, musique de Vergilio Mazzocchi et de Marco Marazzoli, représentation fameuse où assistait Milton; enfin, la même année, un des chefs-d’œuvre de la tragédie lyrique italienne: Galatea, paroles et musique du célèbre Loreto Vittori, dédiée au cardinal Antonio[70].—Tous ces spectacles avaient eu un retentissement considérable en dehors de l’Italie; le bibliothécaire et confident de Mazarin, Gabriel Naudé, ne cache pas que ce fut à leur imitation que le cardinal voulut donner en France des représentations musicales[71].

Les événements favorisèrent singulièrement ce projet. Le pape Barberini mourut en 1644. L’étourderie politique de ses neveux porta au trône pontifical l’ennemi de la France et leur propre ennemi, le cardinal Panfili (Innocent X). Les persécutions commencèrent bientôt contre tout ce qui avait eu part au gouvernement précédent.

Innocent X, voulut faire rendre compte aux Barberini de leurs exactions financières. Les Barberini, déjà occupés depuis 1640 par leurs démêlés avec les princes italiens, et en guerre avec le duc de Parme, durent fermer leur théâtre[72]. Les musiciens et les acteurs romains émigrèrent[73]. Les princes Barberini eux-mêmes quittèrent Rome, où leur biens et leur vie étaient menacés. Le cardinal Antonio, pour échapper au procès de concussion qu’on instruisait contre lui, se sauva par mer des États Pontificaux, et arriva en France, en octobre 1645[74]. Le cardinal Francesco et don Taddeo suivirent son exemple: après quatre jours de tempêtes, qui firent errer leur navire tout autour de la Sardaigne et de la Corse, ils abordèrent à Cannes, en janvier 1646, dans le plus complet dénuement. Mazarin, qui s’était brouillé de façon éclatante avec eux après l’élection d’Innocent X, ne leur garda pas rancune; il se donna le luxe de prendre la défense des proscrits et de les protéger magnifiquement[75]. Il alla au devant du cardinal Francesco, le reçut affectueusement, et l’installa dans son palais. A son tour, arriva à Paris, le 3 octobre 1646, la princesse de Palestrina, dona Anna Colonna, femme de don Taddeo; et la reine l’accueillit avec amitié[76]. Ainsi toute cette puissante maison Barberini était fixée à Paris, à la fin de 1646, et dans des rapports si intimes avec la cour qu’en novembre 1647 Mazarin pensait marier une de ses «Mazarinettes» à un Barberini.

Or ce fut précisément cette année que l’opéra italien fit ses débuts retentissants à Paris, sous les yeux des Barberini. Nul doute qu’ils n’y aient pris part. Cette forme d’art était en partie leur œuvre; leur orgueil était intéressé à son succès; et nous savons quelle surveillance minutieuse les cardinaux Francesco et Antonio exerçaient sur leurs représentations de Rome[77]. Les chanteurs et les machinistes italiens de Paris étaient leurs familiers; et si d’autres princes, avant eux, avaient essayé le drame musical à Florence et à Rome, la «Comédie des machines», qui allait devenir l’Opéra français, était proprement Barberini[78].

Nous reconnaissons leur marque dans le spectacle donné, le 2 mars 1647, au Palais-Royal: l’Orfeo; et nous en avons la preuve. Des deux auteurs de l’Orfeo, l’un, le poète, l’abbé Francesco Buti, de Rome, docteur en droit, protonotaire apostolique, était venu avec le cardinal Antonio en 1645[79]; l’autre, le musicien, Luigi Rossi, était en 1646 «musico dell’ Em. card. Ant. Barberino[80]»; il n’est donc pas douteux qu’il l’ait accompagné dans son exil en France[81].

Dès lors, tout s’explique. Après l’arrivée des Barberini, de leurs poètes et de leurs musiciens, Mazarin s’adresse à Florence et à Rome[82] pour se faire envoyer de nouveaux comédiens; et, le 29 septembre 1646, il recommande à l’intendant de l’armée d’Italie de profiter du retour de la flotte pour les expédier en France. Atto Melani fut rappelé de Florence pour diriger la représentation. Il arriva en janvier 1647, «après trente-quatre jours de voyage»; et il écrivit à son maître, le prince Mattias, qu’on répétait «une très belle comédie intitulée l’Orfeo, paroles du signor Buti et musique du signor Luigi», et même, que «S. M. montrait tant de goût pour ce genre de pièces qu’on en faisait préparer encore une autre pour la jouer aussitôt après l’Orfeo»[83]. Une lettre de Gobert à Huygens, probablement de février 1647, confirme cette nouvelle: «Il y a quatre hommes et huit castrats que M. le cardinal a fait venir. Ils concertent une comédie, que le sieur Louygy fait exprès pour représenter au carnaval»[84].

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