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L’OPÉRA AVANT L’OPÉRA
ОглавлениеL’invention de l’opéra est généralement attribuée aux Florentins de la fin du XVIe siècle. Il fut l’œuvre, dit-on, d’un petit groupe de musiciens, de poètes, et de gens du monde, réunis à la cour du grand-duc de Toscane, ou, pour être plus précis, dans le salon d’un grand seigneur, le comte Bardi, entre 1590 et 1600. Les noms de Vincenzo Galilei,—le père du grand Galilée,—du poète Ottavio Rinuccini, de l’érudit Jacopo Corsi, des chanteurs Peri et Caccini, du directeur des spectacles et des fêtes à Florence, Emilio de’ Cavalieri, sont restés attachés à cette création d’une forme dramatique et musicale, qui devait avoir une si étonnante fortune dans le monde. Cette histoire a été maintes fois racontée dans ces dernières années.
Mais le tort de tous les historiens qui ont jusqu’à présent abordé ce sujet[6], a été de croire ou de laisser croire qu’une forme d’art aussi caractéristique pût réellement sortir, créée de toutes pièces, de la tête de quelques inventeurs. Les inventions de toutes pièces sont rares en histoire. Il est bon de se rappeler la devise sereine, inscrite au front d’une maison de Vicence:
Omnia prætereunt, redeunt, nihil interit[7].
Ce que nous appelons une création n’est souvent qu’une re-création; et, dans la question présente, il y a lieu de se demander si cet opéra, que les Florentins croyaient, de bonne foi, inventer, n’existait pas, à quelques nuances près, bien longtemps avant eux, dès le commencement de la Renaissance[8].—C’est ce que je voudrais montrer, en m’appuyant sur les travaux non pas tant des historiens de la musique que des historiens de la littérature et des arts plastiques: car il est assez curieux que les musiciens aient presque toujours négligé de recourir à ces derniers. C’est malheureusement une habitude trop commune aux historiens d’un art, que, pour l’étudier, ils l’isolent de l’histoire des autres arts, du reste de la vie intellectuelle et sociale. Or, si un tel esprit doit nécessairement conduire à des constructions factices, sans rapports avec la réalité vivante, nulle part ce danger n’est plus grand que dans l’analyse d’une forme, comme l’opéra, qui est faite de l’union de tous les arts. Je m’efforcerai donc de replacer l’opéra dans l’ensemble de l’histoire artistique de l’Italie, et d’y faire voir ainsi le terme d’un mouvement poético-musical très ancien, la conclusion naturelle d’une évolution dramatique de plusieurs siècles[9].