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LE MONT WELLINGTON.

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Au bout de deux ou trois semaines passées à faire des collections d’oiseaux avec M. Véron, naturaliste envoyé par le gouvernement français dans les terres antipodiques, je trouvai un jour, en rentrant chez moi, toute une députation de nouvelles connaissances qui m’était envoyée pour me demander si je voulais me joindre à une caravane de plaisir qui se préparait à faire l’ascension du mont Wellington.

Je ne sais si j’ai été nourrie avec du lait de chèvre ou si je tiens de mes parents ce principe capricant qui est en moi; mais je sais que, quand on me parle de grimper ou de descendre, on est sûr de mon consentement. J’acceptai avec d’autant plus d’empressement que peu de femmes avaient tenté l’entreprise. Une autre dame de la ville avait seule accepté.

La députation m’avait interpellée au nom de la France et de l’Angleterre. M. de Malpass représentait l’Angleterre et M. François de Bellegarde la France. Je dois dire que les deux puissances n’ont pas toujours été aussi spirituellement représentées. La caravane devait se composer d’une vingtaine de personnes; la réunion devait avoir lieu le mercredi suivant, à cinq heures du matin, devant l’hôtel Macquarie. Mon mari fit toutes sortes d’instances pour que l’on changeât le jour. Le mercredi, on entrait dans la nouvelle lune, et c’était une chance, prétendait-il, pour que nous eussions du mauvais temps. Malgré ses observations, le mercredi fut maintenu.

La veille, on fit partir le maître d’hôtel avec la batterie de cuisine et les provisions nécessaires. Son cheval était suivi de trois autres chevaux portant des tentes, et de six domestiques. Les tentes étaient au nombre de trois. La première devait être dressée à la halte du déjeuner, c’est-à-dire au tiers du chemin; la seconde à la halte du dîner, c’est-à-dire aux deux tiers du chemin; la troisième à la halte du souper, c’est-à-dire au sommet même de la montagne.

A cinq heures, tout le monde était à son poste. La veille, M. de Malpass avait obtenu la permission d’emmener un de ses amis. Pour ma part, je n’avais pas même pensé à lui demander quel était cet ami. Mon étonnement fut grand lorsque je le vis arriver avec sir Georges. J’avoue que je fus toute prête à pousser un cri. Je n’en fis rien cependant.

Sir Georges s’approcha, et avec la courtoise raideur des Anglais, après avoir été présenté par son ami, salua tout le monde, moi comme les autres, mais pas plus moi que les autres; tout cela sans prononcer une seule parole; je ne pus y tenir.

—C’est là votre ami? demandai-je à M. de Malpass.—Oui, me répondit-il. Avez-vous quelque chose contre lui?—Non; seulement je serais curieuse de savoir....—Quoi?—S’il parle.—Rarement.—Mais enfin, il n’est pas muet?—Non, Dieu merci.—Cela me tranquillise. Peut-être l’entendrai-je parler un jour.—Tout de suite, si vous y tenez.—Oh! non, non, non!

Et je l’arrêtai par le bras. M. de Malpass me regarda d’un air étonné: mais, sur le signe que je lui fis de se taire, il s’inclina en signe d’obéissance. On attendit encore un instant la dame qui devait être ma compagne de voyage; mais elle nous envoya ses excuses: elle nous faisait faux bond. M. de Bellegarde étant arrivé, la caravane partit, longeant la rue Macquarie, qui conduisait aux premières rampes de la montagne.

Là, à gauche de la route, s’élève une maison charmante: c’est celle d’un négociant français nommé M. de Grave. Une lieue au-dessus de la maison de M. de Grave, on quitte les chevaux. On arrive au sommet du mont Wellington par une succession ascendante de sommets plus ou moins à pic. Leurs noms sont significatifs: le premier s’appelle Blow me up, pousse en l’air; le second, Crack my site, casse-côte.

Une fois à pied, ces messieurs, qui étaient tous chasseurs, s’amusèrent à chercher des traces. Il n’y avait qu’à se baisser et à les reconnaître. Celles du kanguroo commun, surtout, étaient si nombreuses, qu’elles se croisaient en tous sens.

Au milieu de celles-ci on distinguait, à leur empreinte double des autres, celles du kanguroo, dont, à ce que l’on assure, l’ongle est tranchant comme un rasoir, et qui, d’un coup de cet ongle, découd un chasseur aussi lestement qu’un Japonnais pourrait le faire d’un coup de couteau.

A neuf heures, nous arrivâmes près d’un ruisseau qui s’échappe du haut de la montagne. La tente était dressée sur un plateau d’où l’on apercevait Hobart-Town, la pointe du Kanguroo et le cours du Derwent jusqu’à l’île Druny. Un déjeuner excellent nous attendait, chaud et à point, aux antipodes de la France, comme il aurait pu l’être au Café de Paris ou à la Maison-d’Or. Seulement nous avions un rôti de kanguroo et de perroquet, au lieu d’un rôti de lièvre ou de faisan. Le kanguroo faisait mon désespoir, depuis que j’avais touché la terre de Van Diemen. J’en mangeais à toutes les sauces, et l’on m’en servait à tous les repas. Cette fois, comme il y avait abondance de vivres, je m’en privai.

Au bout d’une heure nous nous remîmes en route. Quoiqu’un peu escarpé, le chemin était ravissant. A de certains endroits de la montagne, il passait à travers des espèces de maquis de douze à quinze pieds de haut, qui faisaient au-dessus de nos têtes d’admirables berceaux de verdure.

Ces messieurs, tout en cherchant les pistes, restaient en arrière, s’égaraient, se perdaient. Alors, on les ralliait avec le cri des Indiens: Hal-lo-a! qui, prononcé d’une certaine façon, prend, répercuté par les échos, un caractère étonnant dans la montagne.

Puis ils se livraient à un autre exercice que je voyais pour la première fois et que je trouvais très-curieux. Deux ou trois d’entre eux avaient autour du corps une ceinture indienne avec une poche renfermant une fronde et des cailloux. Ces cailloux, choisis avec soin, étaient de la grosseur d’un œuf de pigeon, pointus aux deux extrémités. Ils faisaient tournoyer la fronde, lançaient le caillou d’une certaine façon, et le caillou revenait avec une furie incroyable frapper un arbre à leur droite ou à leur gauche. Si l’arbre eût été un homme, l’homme eût été tué.

On était arrivé à un endroit charmant. On fit halte un instant sur une pelouse qui semblait un tapis de velours. La montée avait été rapide, et, à certains endroits, je n’avais pu suivre les guides qu’à l’aide de mouchoirs noués au bout les uns des autres.

M. de Malpass avait une très-belle voix; il chanta successivement du Rossini, du Bellini et du Meyerbeer, au grand étonnement, je le présume, des échos de Van Diemen. Au milieu de tout ce bavardage, sir Georges restait muet comme une souche, ou, s’il parlait, il avait grand soin que je ne pusse pas croire que c’était à moi que ses paroles s’adressaient.

On se remit en route, chacun bien frais, bien reposé, bien joyeux. La halte n’avait pas été inutile. Au fur et à mesure que l’on montait, l’ascension devenait plus difficile. Les guides nous prévenaient que ce n’était rien auprès de ce qui nous attendait dans les hautes régions de la montagne.

A deux heures, nous atteignîmes la deuxième tente. Nous retrouvâmes notre même ruisseau, et sur sa rive notre dîner tout dressé. Le vin de Champagne rafraîchissait dans des trous creusés au milieu de ce joli petit cours d’eau. Tout le monde fut fort galant pour moi et plein d’attentions. Il n’y a pas à m’en vanter: j’étais la seule femme.

Sir Georges fut le seul qui ne me donna pas l’occasion d’échanger un mot avec lui. Ce silence, qui finissait par devenir presque impertinent, m’agaçait d’une façon horrible; j’aurais voulu qu’il lui arrivât quelque accident. Par malheur, il paraissait avoir l’habitude de ces sortes d’excursions, et manifestait à tout moment ou une grande force ou une grande adresse.

J’ai dit que le dîner, comme le déjeuner, était délicieux, trop délicieux même. Nous eussions pu déjeuner en vingt minutes: nous restâmes une heure à table. Nous eussions pu dîner en une demi-heure, nous mîmes une heure et demie à notre dîner. Il est vrai que sur ce temps je dormis trois bons quarts d’heure. C’était une heure quarante minutes de perdues.

Enfin, à quatre heures, l’on me réveilla et l’on se remit en marche. J’avoue que, sans une fausse honte, j’eusse autant aimé rester où j’étais que d’aller plus loin. On découvrait un paysage immense: la ville, la rivière, des maisons de campagne, la mer. J’eusse si bien attendu la nuit, couchée là sur cette mousse, épaisse comme un tapis de Smyrne!

Mais il fallait faire comme les autres, sous peine de passer pour fanfaronne. Je repris donc ma marche sans boiter, quoique les pieds me fissent grand mal, prétendant être aussi impatiente qu’eux tous de voir la merveilleuse cascade qui se trouve au sommet de cette montagne plus élevée que le Mont-Blanc, et qui était le point principal de notre excursion.

Les chemins devenaient de plus en plus difficiles, et les cailloux de plus en plus pointus; puis, tandis que nous regardions à nos pieds, car nos pieds étaient tous plus ou moins endoloris, les guides regardaient en l’air avec des signes visibles d’inquiétude. Enfin l’un d’eux se décida à nous dire:

—Hâtons-nous de passer le désert, il va y avoir un orage.

En effet, les nuages s’amoncelaient au-dessus de nos têtes, et le tonnerre grondait sourdement au loin. Ce que nous voyions de la rivière et de la mer avait perdu son bel azur et était devenu couleur de plomb. Nous hâtâmes le pas. La fatigue avait disparu, la douleur avait cessé, et l’on arriva à cet endroit tant redouté que l’on appelait le Désert. Ce fut un véritable changement de décoration. En sortant d’un sentier couvert de verdure, ombragé par des rameaux se croisant sur nos têtes comme les branches d’une treille italienne, nous nous heurtâmes pour ainsi dire contre le chaos.

A perte de vue on apercevait une espèce de plage couverte de cailloux ayant la forme de ces galets que la mer de Dieppe et du Havre roule et use depuis que l’Océan s’agite. Seulement ces galets avaient depuis un pied jusqu’à dix pieds de diamètre. Il était évident qu’une rivière gigantesque avait roulé là pendant des milliers d’années, puis tout à coup avait disparu, tarie par quelque cataclysme. Dans le lit de ce Mississipi disparu, pas une fleur, pas une herbe, pas une plante. Rien pour nous indiquer notre chemin, sinon la trace, médiocrement perceptible, laissée sur le caillou par les caravanes qui ont précédé celle qui arrive.


EXCURSION AU MONT WELLINGTON (AUSTRALIE).


JOURNAL DE MADAME GIOVANNI.J. CLAYE, IMP.

Le passage de ce désert dura une heure et demie. Le temps se couvrait de plus en plus, et, si vite que nous avançassions, les guides nous pressaient encore. On ne chantait plus, on ne s’appelait plus par le pittoresque Hal-lo-a, on ne lançait plus de cailloux avec la fronde. Quant aux traces des animaux, il n’y fallait pas songer: le passage du serpent sur la pierre est, au dire de Salomon, un des trois passages qui ne laissent pas de traces. En somme, la fatigue était énorme, et l’anxiété très-grande.

Enfin on franchit le désert et l’on se retrouva dans ce maquis gigantesque qui semblait de la broussaille vierge. Au bout d’une demi-heure, un guide s’approcha de mon mari et lui dit:

—Vous aviez raison de vouloir remettre l’exécution du projet à un autre jour, Monsieur; dans un quart d’heure la tempête va arriver, et, si nous attendons que la pluie tombe, il nous sera impossible d’allumer du feu.—Et sans feu?... demanda mon mari.—Sans feu, on nous retrouvera tous morts de froid, attendu que ce qui tombe en pluie en bas, tombe presque toujours en neige ici.—Alors, allumons du feu.

Puis, se retournant vers ces messieurs:

—Halte-là! dit-il; c’est ici que nous passons la nuit.—Comment! c’est ici que nous passons la nuit? s’écrièrent toutes les voix, excepté celle de sir Georges, à qui il paraissait complétement indifférent de passer la nuit là ou ailleurs.

On s’arrêta et l’on tint conseil. On était justement arrivé à un endroit où l’on eût dit qu’un de ces terribles ouragans de Bourbon ou des Antilles avait passé. Sur un espace d’un quart de lieue la trombe avait déchiré les feuilles, couché le maquis comme du blé, tordu et renversé des arbres. C’était une scène de désolation dans le genre de celle qui dut s’offrir à Noé et à sa famille lorsqu’il se hasarda à mettre le pied hors de l’arche, après que le déluge eut refait un second chaos.

Pendant ce temps, pour donner raison à nos guides, la pluie commençait de tomber à larges gouttes. Il n’y eut plus à hésiter, il fallait abandonner l’idée d’aller coucher et souper sous nos tentes, dressées au sommet de la montagne près de la cascade et où nos domestiques nous attendaient. On ramassa des brassées de broussailles que l’on amoncela au-dessus d’un arbre renversé, pour faire du tronc une pièce de résistance, et l’on essaya d’enflammer des allumettes. Les allumettes ne manquaient pas, mais bien un endroit sec où les frotter pour qu’elles prissent feu.

Mon mari eut l’idée d’ôter son gilet; on frotta l’allumette sur la toile du dos et elle prit feu. Chacun tenait prêt ce qu’il avait de papier sur lui. Papier et allumettes furent glissés tout enflammés sous les broussailles. Le feu et l’eau luttèrent un instant l’un contre l’autre, mais enfin ce fut le feu qui l’emporta. Des tourbillons de fumée, de joyeux pétillements et un cri de triomphe poussé par nous annoncèrent sa victoire. D’un autre arbre renversé à dix pas du premier on fit un banc.

Puis on coupa de longues perches que l’on planta en terre, et l’on étendit deux couvertures au sommet de ces perches. Comme nous comptions coucher dans les régions élevées de la montagne, chacun de nous avait sa couverture. Au bout de quelques instants, une espèce de tente fut improvisée. Avec du feu et une tente, on pouvait plus tranquillement attendre la tempête.

Journal de Madame Giovanni

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