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XI

Table des matières

SIR GEORGES ME PARLE.

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Des lettres de recommandation nous introduisirent dans tous les salons de Sidney, comme nous avions été introduits dans ceux d’Auckland et d’Hobart-Town. Partout la même démarcation, partout presque le même ennui, à quelques exceptions près.

Dans les rues qui ressemblent à Regent-Street et au Strand, comme dans les salons qui parodient ceux de sir John Russell et de lord Palmerston, c’est la même atmosphère que l’on respire, c’est une pendule remontée tous les quatre ou cinq ans, qui va depuis cent ans sans se déranger, et qui marque incessamment l’heure de Londres.

Tout est affaire de convenance et de commande, depuis les offices, suivis encore avec plus de régularité, s’il est possible, qu’en Angleterre, jusqu’aux fêtes et aux bals donnés par les résidents anglais. Rien d’impromptu, d’improvisé, d’inattendu; les choses sont parce qu’elles devaient être; elles arrivent à leur jour, à leur heure, à leur moment: c’est l’ombre de la joie, le spectre du plaisir, évoqués par le sombre et triste génie d’une société qui se rachète.

Tous les ans, vers les mêmes époques, le gouverneur donne deux bals. Un de ces bals a lieu, autant que je puis me le rappeler, dans les premiers jours de décembre. Tout ce qu’il y a d’étrangers distingués est invité à cette fête officielle. Mon mari reçut naturellement une invitation pour lui et pour moi. C’était une occasion de mettre à exécution mon projet d’aller au bal avec une garniture de violettes naturelles.

On trouve, cela va sans dire, à Sidney toutes les étoffes que l’on trouve à Londres. En cherchant bien, on trouve même des couturières de Paris. Or, avec une couturière de Paris et des étoffes de Londres, une Française intelligente, quand elle est seule Française, doit arriver à être la reine du bal.

Je fis faire une robe d’une espèce de velours épinglé blanc, avec des volants de magnifiques dentelles que j’avais apportées de France. Je garnis moi-même, dix minutes avant le bal, ma robe de guirlandes de violettes. J’emprisonnai deux touffes de violettes sous mes bandeaux. J’en fis faire un énorme bouquet pour tenir à la main. Je ne mis, pour tous bijoux, qu’une parure de perles fines que j’avais achetée à Batavia, et qui se composait du collier, du bracelet et des boucles d’oreilles, chaque perle séparée de la perle voisine par un petit diamant, et je fis mon entrée au bal avec cette confiance qu’inspire aux femmes le sentiment inné des choses simples et en même temps de bon goût. L’effet surpassa mon attente. J’étais au reste déjà connue à Sidney sous le nom de la dame française; aussi, quand on annonça M. et madame Giovanni, tout le monde se retourna.

A six mille lieues de Paris, je sentis que je représentais la France... des femmes, ou les femmes de France, comme on voudra. C’était une grande responsabilité, ma foi! surtout de représenter celles d’aujourd’hui, car le bon goût ne préside pas toujours aux toilettes de mes compatriotes d’aujourd’hui, surtout celles qui portent des boutiques entières de fleurs, de plumes, de rubans et de dentelles, le tout sur un malheureux chapeau. L’honneur national fut sauvé, j’eus un succès immense.

A l’instant même, je fus entourée de tout ce qu’il y avait de danseurs dans la salle; on se pressait à nous étouffer, on me demanda des contredanses plus que je n’eusse pu en donner dans trois bals. J’en inscrivis douze ou quinze; puis, comme je pensai que ces quinze contredanses dansées il serait temps de nous retirer, je fermai la liste.

M. Giovanni, voyant que j’avais l’emploi de mon temps, me confia, selon son habitude, à ma propre garde, et me laissant dans la salle de bal, passa, lui, dans la salle de jeu. On joua un quadrille, je me mis en place avec mon danseur numéro 1. Au moment où je hasardai mon premier en avant deux, j’aperçus sir Georges appuyé presque en face de moi sur une console.

Pas une seule fois je ne le regardai assez fixement pour qu’il saisît le rayon de mes yeux. Je ne jetais de son côté que des regards rapides, et, au moment où je tournais, il était toujours à la même place et n’en bougea point de toute la contredanse. La contredanse finie, mon danseur me reconduisit à ma place.

C’était le tour du danseur numéro 2. Il accourut à la première note de l’orchestre. Le quadrille commença. Sir Georges était toujours adossé au lambris et appuyé sur la console. Seulement, il me paraissait très-pâle. On comprend que je ne me donnai pas le moins du monde les gants de cette pâleur. La contredanse finie, sir Georges ne bougea point.

L’orchestre fit entendre un prélude de valse. Mes valses, comme mes contredanses, étaient retenues; mon valseur accourut. C’était le consul de France, M. Pharamond. J’étais toute joyeuse de valser avec un compatriote, de sorte que jamais peut-être je n’avais valsé avec plus de légèreté, et, mon Dieu! je le dirai, justement parce qu’il n’y avait aucune intimité entre moi et M. Pharamond, avec plus d’abandon. Il était excellent valseur; de sorte que, prenant à cet exercice autant de plaisir que j’en prenais moi-même, nous ne nous arrêtâmes pas une seule fois.

Dans le cercle que nous décrivions, ma robe devait toucher sir Georges à chaque fois que nous passions devant lui. Il me sembla qu’il se reculait autant que possible, pour éviter cet attouchement. La valse cessa. M. Pharamond me reconduisit à ma place et me demanda s’il devait m’envoyer du buffet quelque rafraîchissement. Je lui demandai un verre de limonade.

Un domestique m’apporta ce verre sur un plateau d’argent. Je venais de le prendre, j’allais le porter à mes lèvres, quand je vis sir Georges se détacher de la muraille et venir droit à moi. Je crus qu’il venait m’inviter à danser. Je fis semblant de ne pas le voir, et je portai le verre à mes lèvres.

Mais bientôt je le sentis près de moi: quelque chose comme un courant magnétique me fit lever la tête vers lui. J’avais une envie de rire fou. Il était, cette fois, pâle comme sa cravate, deux larmes roulaient le long de ses joues, et cependant ses dents semblaient serrées par la colère. Je baissai les yeux subitement.

—Madame, me dit-il avec un son de voix à la fois doux et ferme et tel que je n’avais jamais entendu vibrer pareil son à mes oreilles, je suis désespéré de vous dire que je ne puis souffrir que vous dansiez une autre contredanse dans la soirée, et, si vous le faites malgré ma prière, je vous donne ma parole d’honneur que je me brûlerai la cervelle sous le balcon.

J’aurais voulu pouvoir partir d’un grand éclat de rire, mais la chose me fut impossible; une de ces larmes que j’avais vues rouler sur les joues de sir Georges vint à tomber. Je relevai les yeux vers lui; sa physionomie bouleversée ne laissait pas de doute sur la sincérité de sa menace. Il me prit un frisson étrange de peur. Je reposai le verre de limonade sur le plateau d’argent. Je me levai, et, toute tremblante, sans regarder derrière moi, je courus au salon de jeu, et, m’appuyant au dossier de la chaise de mon mari:

—Mon ami, par grâce, lui dis-je, allons-nous-en, je me sens mal.

Lui, tout étonné, me regarda, et me voyant en effet prête à m’évanouir:

—Monsieur, dit-il à un gentleman qui pariait pour lui, prenez mes cartes, je vous prie, et jouez pour moi; pour que madame Giovanni quitte le bal, il faut qu’elle soit bien malade.

Et laissant son enjeu, qui était d’une trentaine de louis, il passa son bras autour de ma taille et m’entraîna vers le vestiaire. Je repris ma mante, nous fîmes appeler notre voiture et nous rentrâmes à l’hôtel. Là, mon cœur se dégonfla et je me mis à pleurer. Tout fut mis sur le compte des nerfs, et c’est seulement deux ou trois ans plus tard que je racontai à M. Giovanni ce que je lui demande la permission de raconter aujourd’hui à nos lecteurs comme une chose fort naturelle et de laquelle je ne pouvais être responsable.

Le lendemain, le joueur qui avait pris les cartes de M. Giovanni lui apporta deux ou trois cents louis; il avait passé trois ou quatre fois et avait continué de mettre le même enjeu pour celui qu’il représentait. Je ne revis pas sir Georges à Sidney; seulement j’appris qu’il était parti avec son ami, M. Stuart, pour une excursion dans les montagnes Bleues.

Un mois après, nous quittions l’Australie pour retourner aux îles Auckland, et avec quel bonheur, mon Dieu! je refis cette enjambée. Nous restâmes trois semaines en mer sur un exécrable bâtiment dont le nom m’échappe.

Je ne saurais dire avec quelle joie je revis mon port d’Auckland, avec son marché aux fruits, aux légumes et aux poissons, ses femmes allaitant des chiens et des cochons sur la plage, mes Maoris fumant avec ces belles indigènes aux fourreaux de soie écossais et aux jambes nues, et mes marchands de bric-à-brac.

Je retrouvai ma maison de la petite baie en excellent état; tout avait été soigné par mes braves Zélandais. Nous reconquérions le fameux at home, si doux au voyageur qui vient de tâter, pendant cinq ou six mois, de la vie d’hôtel garni et de la nourriture de table d’hôte. J’avais rompu avec le fameux civet de kanguroo; j’entendais chanter mon toui, qui semblait fêter mon retour en égrenant, comme un chapelet de perles, ses plus brillantes roulades. Il n’y avait pas jusqu’aux hurlements des chiens sauvages que je n’eusse pris plaisir à entendre quand, la nuit, ils aboient à la lune, comme dit Shakspeare.

Nous étions déjà revenus, depuis une semaine à peu près, à Ikanamawi, quand, me promenant un soir sous la véranda avec mon mari, nous vîmes, sur la tour, des signaux arborant le drapeau de l’Australie; ce qui indiquait un bâtiment venant ou de Port-Philips, ou de Victoria, ou de Sidney. En même temps, nous vîmes de loin un brick qui manœuvrait pour entrer dans le port. Mon mari se mit à rire.

—Qu’as-tu? lui demandai-je.—Veux-tu faire un pari avec moi? dit-il.—Lequel?—C’est que sir Georges est sur ce bâtiment.

Je rougis malgré moi et ne répondis que par une de ces exclamations qui ne veulent rien dire. Mais j’étais vexée de cette poursuite. Le lendemain, le Nouveau-Zélandais annonçait l’arrivée d’un brick venant de Sidney, et au nombre des passagers signalait sir Georges et M. Stuart.

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