Читать книгу Choix des plaidoyers et mémoires de M. Dupin aîné - André Marie Jean Jacques Dupin - Страница 12

CONSIDÉRATIONS SOMMAIRES SUR L’AFFAIRE DE M. LE MARÉCHAL NEY.

Оглавление

Table des matières

Accusateur, vous voulez placer sa tête sous la foudre; et nous, nous voulons montrer comment l’orage s’est formé ! — (Réplique au procureur-général, audience du 23 novembre.

«UN homme qui, depuis vingt-cinq ans, n’a cessé de combattre à la tête de nos armées, dont le nom se rattache à tous les faits d’armes qui ont illustré notre pays; dont l’Europe entière admire la valeur et le génie militaires; qui, de simple soldat, sans intrigue et sans blesser l’envie, est parvenu de lui-même aux plus hautes dignités nationales; l’élève, le camarade, l’émule des Kléber et des Moreau, est accusé du crime de haute trahison!

«Il est accusé d’avoir attaqué la France et le gouvernement à main armée : la France qu’il aima si passionnément, qu’il défendit avec tant de courage! le gouvernement d’un roi dont il respectait la personne, pour se jeter dans les bras d’un usurpateur qu’il avait, peu de mois auparavant, forcé à l’abdication!

«Le maréchal Ney, dit-on, pouvait arrêter la marche de Buonaparte; il pouvait sauver son pays! et, par une conduite opposée, il a attiré sur la France tous les malheurs dont elle est maintenant accablée.

«Ainsi, dans le système de l’accusation, le maréchal est encore aggrandi: il semble que dans ses seules mains était le salut de l’état; que lui seul pouvait, s’il l’avait voulu, sauver la monarchie de la plus funeste des révolutions!

«Ah! si telle eût été la position du maréchal Ney, qu’il eût réuni près de sa personne les moyens nécessaires pour obtenir un si beau résultat, qui peut douter que son âme ardente, surtout lorsqu’il s’agissait de la gloire, n’eût saisi avec transport l’heureuse occasion de nous soustraire au nouvel empire de notre ancien tyran?

«Mais il ne faut que se reporter à la fatale journée du 14 mars, pour être convaincu qu’à cette époque le mal de l’insurrection avait déjà fait des progrès si rapides, qu’il n’était plus possible de l’arrêter. C’était comme une marée, dont la force toujours croissante, devait s’élever irrésistiblement jusqu’à la hauteur marquée par le doigt de Dieu: hùc uquè venies.

«L’accusation a d’abord pris tous les traits de la calomnie: dans les premiers temps de l’arrestation du maréchal, on a imprimé et publié, dit et répété :

«Qu’il était entré dans un complot, dont le but était de remettre Buonaparte sur le trône;

Que pour le mieux seconder après son débarquement, il avait offert ses services et promis de le ramener dans une cage de fer;

«Qu’en baisant la main du roi, il avait déjà formé dans son cœur le dessein de le trahir;

«Que, joignant l’avidité à la perfidie, il s’était fait compter avant son départ, une somme de 600,000 fr.;

«Qu’enfin, il avait effectivement trahi son prince et son pays dans la journée du 14 mars;

«Et qu’ainsi il était coupable du crime de haute trahison et d’attentat à la sûreté de l’état.

«Aujourd’hui il est bien démontré :

«Que le maréchal n’a ni demandé ni reçu la prétendue somme de 600,000 fr.;

«Qu’il n’a pas offert ses services; mais qu’il était à sa terre des Coudreaux, lorsqu’il y reçut, du ministre de la guerre, une lettre qui lui ordonnait de se rendre en toute hâte dans son gouvernement;

«Qu’au 7 mars il ignorait encore le débarquement de Buonaparte; qu’en apprenant cette nouvelle il fut frappé de surprise et de consternation;

«Que lorsqu’il prit congé du roi, il était de bonne foi, et qu’il emportait avec lui le désir de s’opposer de toutes ses forces à Buonaparte, et de faire échouer ce qu’il appelait sa folle entreprise.

«Ceux que la passion a pu induire à penser le contraire, n’ont pas réfléchi que le maréchal Ney avait tout à perdre et rien à gagner au retour de Buonaparte.

«Maréchal, prince, duc et pair de France, il n’avait plus rien à désirer du côté des honneurs; son unique désir était, et devait être de jouir tranquillement de sa gloire sous le gouvernement paternel d’un roi qui savait gré des services mêmes dont il n’avait pas été l’objet: il devait, au contraire, appréhender le retour d’un ambitieux dont av t autrefois bravé la hauteur et qu’il avait contraint d’abdiquer.

«On est donc forcé de renoncer à l’idée que le maréchal eût prémédité aucune trahison, qu’il eût tramé aucun complot, ni qu’il fût entré dans aucune machination qui eût pour objet de favoriser le retour de Buonaparte.

«D’ailleurs sa conduite en arrivant à Besançon;

«Ses dispositions pour réunir des troupes et de l’artillerie;

«Sa correspondance avec les maréchaux Suchet et Oudinot;

«Son opinion si vraie, et si fortement émise, qu’il fallait couper le mal dans sa racine, et se porter à marches forcées au-devant de Buonaparte, pour l’empêcher de gagner du terrain;

«La lettre par laquelle il suppliait S. A. R. Monsieur, de l’employer auprès d’Elle et à l’avant-garde;

«Ses mesures vis-à-vis des officiers et des soldats pour les exhorter à bien faire leur devoir; — la menace de faire fusiller les vedettes qui auraient communication avec l’ennemi; — l’arrestation par lui ordonnée d’un officier qui avait manifesté de mauvaises dispositions; — cette déclaration si énergique, que, «s’il

«voyait un moment d’hésitation dans la troupe, il

«prendrait le fusil du premier grenadier pour s’en

«servir et donner l’exemple aux autres.»

«Tout, dans la conduite du maréchal, prouve son zèle pour le roi et la résolution de le servir avec énergie.

«Il faut bien, au reste, que cette opinion (si différente de celle qu’on avait d’abord conçue du maréchal) ait acquis un grand degré d’évidence, puisqu’on a vu les accusateurs eux-mêmes rétracter devant la cour des pairs tous les faits de l’accusation antérieurs au 14 mars.

«Ainsi l’accusation de M. le maréchal se trouve déchargée de ce qu’elle avait de plus grave en elle-même, de plus odieux aux regards du public, de plus affligeant pour l’accusé, de plus désespérant pour ses conseils. Dès à présent, et avant même que les débats fussent ouverts, autant par la force de la vérité que par la confession des accusateurs, il a été reconnu, avéré, proclamé que le maréchal Ney n’avait ni conspiré le retour de Buonaparte, ni prémédité l’horrible dessein de trahir son roi.

«Cette première victoire remportée, pour ainsi dire sans combattre, a dû prémunir tous les gens sages et impartiaux contre le danger de se laisser trop légèrement préoccuper par des préventions populaires et des bruits publics. Chacun a dû se dire que, si le maréchal était innocent de tous les chefs d’accusation antérieurs au 14 mars, il était possible encore que sa conduite ultérieure ne fût pas aussi condamnable qu’avaient pu le croire jusqu’ici ceux qui n’avaient pas entendu sa défense.

«On m’objectera qu’ici au moins il ne saurait plus y avoir de doute, parce que le maréchal avoue la proclamation du 14 mars.

«Je répondrai qu’en effet il avoue l’avoir lue, mais que cet aveu ne doit pas être isolé de toutes les circonstances qui ont agi sur la volonté du maréchal et influé sur ses déterminations.

«Le fait seul ne constitue pas le crime, c’est l’intention qui fait le criminel: voilà pourquoi, dans l’appréciation des crimes les plus ordinaires, on recherche toujours avec soin,

«1° S’il y a eu préméditation;

«2° Si l’accusé avait intérêt à commettre le crime;

«3° Et enfin, quelles sont les circonstances qui aggravent le délit ou qui l’atténuent.

«Par conséquent il ne suffit pas que le maréchal ait lu la proclamation du 14, pour qu’on puisse en conclure aussitôt qu’il s’est rendu coupable de haute trahison; mais il faut encore qu’il soit prouvé qu’il a eu l’intention coupable de trahir le roi, et de renverser son gouvernement LORSQU’IL AURAIT PU LE DÉFENDRE AVEC SUCCÈS.

«Or, pour apprécier au juste les intentions du maréchal, pour savoir quels pouvaient être ses desseins au 14 mars, il faut se reporter à cette époque, et ne pas juger la moralité de son action par des événemens ultérieurs, qui ont changé tout-à-fait la position où chacun s’est trouvé au moment de l’orage.

«A peine débarqué, Buonaparte avait mis derrière lui une grande étendue de pays.

«Grenoble lui avait ouvert ses portes, il y avait trouvé une immense artillerie.

«Ses forces, déjà nombreuses, croissaient à chaque pas.

«Le maréchal Ney n’avait à lui opposer que deux brigades, formant à peine quatre régimens, avec une artillerie presque nulle et fort peu de munitions.

«Il avait échelonné ses troupes de Lons-le-Saulnier sur Bourg, de manière à pouvoir marcher sur Mâcon et sur Lyon.

«Cette dernière ville semblait devoir offrir une forte résistance, par l’immensité de sa population, la réunion d’un corps d’armée, la présence d’un maréchal justement estimé des troupes, et surtout d’un prince du sang que l’amour des Français avait partout accueilli. Mais bientôt le maréchal apprit que le prince, n’ayant pu engager les troupes à faire leur devoir, s’était replié sur Paris avec le maréchal Macdonald.

«Cette défection des troupes qui formaient la première et la seconde lignes, laissait le maréchal Ney à découvert, sans moyen pour arrêter Buonaparte et s’opposer à ses progrès.

«Buonaparte marchait avec des forces supérieures, une artillerie considérable, un nombreux état-major; l’exaltation de ses troupes était portée au plus haut degré.

«La petite armée du maréchal Ney, bien inférieure en nombre, l’était surtout en résolution.

«Déjà l’esprit d’insurrection s’y faisait sentir.

«Dans la soirée du 1i3 mars, le maréchal apprit, par le préfet de l’Ain, que le bataillon du 76e qui lui servait d’avant-garde à Bourg, avait passé tout entier du côté de Buonaparte;

«Que les deux autres bataillons du même corps gardaient à vue le général Gauthier, leur chef;

«Que le 15e d’infanterie légère, placé à Saint-Amour, manifestait hautement le désir et la volonté de se joindre au mouvement.

«Il apprit que le peuple insurgé de Châlonssur-Saône s’était emparé d’un train d’artillerie tiré d’Auxonne, sur lequel il comptait, et que les canonniers et soldats du train avaient été maltraités par la populace.

«L’insurrection marchait devant l’audacieux insulaire et lui frayait la route; son aigle, au vol rapide, avait déjà dépassé la ligne occupée par le maréchal Ney: les cris de vive l’empereur se faisaient entendre jusqu’à Dijon!...

«Rejeté sur la droite, le maréchal Ney se trouva dans un isolement complet; ne recevant point de nouvelles de Paris, point d’ordres, point d’instructions (car il est constant que deux dépêches que lui avait adressées le ministre de la guerre ne lui sont point parvenues; il est constant encore qu’il n’avait reçu aucun ordre de Monsieur, sous le commandement duquel on se rappelle qu’il était placé ; et cependant il avait supplié le duc de Mailhé d’engager Monsieur à lui faire passer ses avis, et même de lui proposer une conférence, pour concerter leurs moyens; mais la rapidité avec laquelle les événemens se succédèrent n’avait pas permis qu’elle eût lieu).

«Que pouvait donc faire le maréchal réduit ses propres forces, dont le nombre était diminué par la désertion de ses postes avancés, et par la capture de son artillerie, au milieu d’une population qui s’insurgeait de toutes parts, et de soldats que l’exemple de leurs camarades entraînait vers la sédition?

«L’embarras de cette situation s’augmenta encore par l’arrivée des émissaires de Buonaparte, qui se répandirent dans le pays, armés de décrets et de proclamations, et semant de faux bruits.

«Ils pénètrent jusqu’au maréchal; ils le trouvent dans une extrême agitation, dans une espèce de boulversement d’esprit, accessible à toutes les impressions, et tremblant pour le sort de la France.

«Ils sont porteurs d’une lettre de Bertrand qui peint au maréchal Ney la nullité de sa position et la certitude du succès de Buonaparte .

Suivant cette lettre, Buonaparte a concerté son entreprise avec l’Autriche, par l’entremise du général Kolher.

«L’Angleterre a favorisé son évasion .

«Murât, triomphant, s’avance à grands pas vers le nord de l’Italie pour lier ses opérations avec celles de Napoléon.

«La Prusse toute seule ne peut pas se mesurer avec la France.

«Bertrand ajoute que le roi de Rome et sa mère restaient en otages à Vienne, jusqu’à ce que Buonaparte eût donné une constitution libérale à la France, etc. .

«Les mêmes émissaires étaient porteurs d’un proclamation que Buonaparte avait fait préparer au nom du maréchal Ney.

«Le maréchal fit appeler ses lieutenans-généraux; des lieutenans doivent être les amis de leur général; ils sont ses premiers conseillers. Le maréchal Ney leur communiqua ce qu’il venait de recevoir, et les somma, au nom de l’honneur, de lui donner conseil. Que firent-ils? déclarèrent-ils qu’il fallait combattre, qu’on pouvait encore le faire avec succès; ou du moins qu’il fallait se retirer vers le roi? Nullement ?

«Sans doute ils auraient voulu, comme le maréchal, que le mal fût moins grand, qu’il fût possible de l’arrêter, et de sauver la monarchie; mais ils se représentèrent

«La probalité de toutes les nouvelles annoncées par Bertrand;

«L’insurrection du peuple;

«L’insubordination des soldats;

«Les précédentes défections;

«La retraite de Monsieur;

«Celle du roi qu’on annonçait déjà comme opérée;

«La crainte de verser inutilement le sang français, et de prendre sur eux l’odieux et la responsabilité d’une guerre civile!

«Ils pensèrent avec douleur, mais ils crurent de bonne foi, que la cause des Bourbons était a jamais perdue.

«Et la fatale proclamation fut lue aux soldats!....

«Que cette lecture ait excité d’un côté des cris de vive de l’empereur, pendant que de l’autre on criait vive le roi; c’est un fait faux: les soldats furent unanimes ; les lieutenans-généraux Bourmont et Lecourbe y furent présens; personne ne réclama .

«Maintenant, je le demande, peut-on dire que le maréchal Ney soit la cause des malheurs de la France? Etait-il en son pouvoir de les prévenir ou de les empêcher? S’il n’eût pas lu la proclamation, la révolution s’en fût-elle moins opérée? Pouvait-il faire ce que Macdonald et Monsieur n’avaient pu exécuter avec des forces supérieures aux siennes? Le pouvait-il après que l’armée de Buonaparte s’était grossie de toute l’armée de Lyon? et quand quelques soldats restés fidèles auraient consenti à se battre, leur dévouement n’eût-il pas été infructueux?

«Je le répète, il ne faut pas, pour apprécier la conduite du maréchal Ney, le juger d’après l’état où se trouvent les choses aujourd’hui; mais par l’état où elles étaient au malheureux jour de la proclamation.

«Alors, si on lui fait un reproche, du moins on ne lui fera plus un crime de n’avoir pas pris sur lui de commencer la guerre civile; surtout si l’on réfléchit que le roi lui-même, entouré de sa maison militaire, des volontaires royaux et de ses serviteurs les plus empressés et les plus démonstratifs, maître de la capitale et des ressources du gouvernement, a mieux aimé prendre le parti de se retirer sans combattre, que de livrer son peuple chéri aux horreurs de la guerre civile.

«On ne peut pas voir le maréchal dans une situation purement militaire, abstraction faite de toutes considérations politiques, ni l’assimiler, par exemple, à un commandant de place qui ouvrirait ses portes à l’ennemi.

«Et encore serait-il vrai de dire qu’un commandant même n’est obligé de tenir qu’autant qu’il peut résister, et que, s’il y a brèche, il peut prévenir l’assaut en rendant la place.

«De même donc, le maréchal, abandonné d’une partie de ses soldats, connaissant les mauvaises dispositions des autres, voyant l’insurrection du peuple, la marche rapide de Buonaparte, la défection générale de tous les corps armés depuis Cannes jusqu’à Lyon; sans ordres, sans instructions, sans conseils; l’imagination frappée des nouvelles annoncées par Bertrand; a jugé la résistance impossible, et a cédé au mouvement général qui s’opérait autour de lui. Il ne faut pas perdre de vue qu’on était à Lyon le 10 mars et à Lons-le-Saulnier le 14, comme à Paris le 20 mars . La révolution ne s’est pas opérée méthodiquement du jour de l’entrée de Buonaparte à Paris, mais progressivement à mesure qu’il gagnait du pays et s’avançait sur le territoire. La résistance devenue impossible à Paris le 20 mars, était également impossible à Lons-le-Saulnier dès le 14.

«On m’objectera peut-être qu’au moins le marachal Ney aurait dû, comme le maréchal Macdonald, se retirer vers le roi, et le suivre à Gand! L’honneur et la fidélité accompagnaient ce vertueux monarque; c’était le pieux Énée fuyant avec les dieux de la patrie....

«Ah! sans doute il serait à désirer, pour l’intérêt personnel du maréchal Ney, qu’il eût pris cette heureuse résolution. Il serait en possession de toutes ses dignités, il siégerait parmi ses juges. Mais n’y a-t-il donc aucun milieu entre le comble de la faveur et le dernier degré de la disgrâce? Le maréchal qui, dans ses jours de victoire, s’est montré si généreux envers les émigrés, les trouvera-t-ils inflexibles dans ses revers? Ne pourra-t-il trouver aucune excuse dans un concours de circonstances jusqu’alors inouï ?

«Depuis vingt-cinq ans on avait vu toutes les formes de gouvernement se succéder; on avait fini par dire et par croire qu’il n’y avait plus rien d’impossible. Ainsi, on avait cru la chute de Bonaparte impossible, et pourtant il était tombé ; on avait désespéré du retour des Bourbons, et pourtant ils étaient revenus; leur puissance, fondée sur l’amour du peuplé et la légitimité de leurs droits, semblait à jamais affermie; et Bonaparte, qu’on croyait anéanti pour toujours, vient de nouveau leur disputer la couronne!

«On est d’abord tenté de croire que sa folle entreprise échouera: on ordonne de lui courir sus, et de le traduire devant les tribunaux comme un brigand ordinaire; mais bientôt il devient redoutable: plus il s’enfonce dans les terres plus sa troupe augmente; c’est un torrent qui se répand, il entraîne tout ce qui s’offre sur son passage; paysans, soldats, fonctionnaires, tout lui cède; il a déjà fait cent-vingt lieues sans éprouver la moindre résistance; il marche à coup sûr; il parle de ses alliances, le bruit en est si adroitement répandu, qu’on peut croire qu’une partie de l’Europe a favorisé son retour; il n’avance pas en conquérant, il voyage en poste. Un changement de gouvernement paraît inévitable; et de fait, en moins d’un mois, tout en France a reconnu le pouvoir de ce dominateur.

«Sans doute, la cause du roi restait toujours la bonne, la seule que l’honneur pût avouer, la seule pour laquelle Dieu pût se déclarer; mais la masse de la nation, étonnée du retour inopiné, et presque miraculeux de Bonaparte, n’eut ni le temps de se reconnaître, ni la force de résister. Les soldats firent tout!, ils ne furent pas entraînés, ils entraînèrent leurs chefs. L’armée croyait soutenir ses droits en retournant à son ancien général.

«D’autres, qui détestaient ce chef, sui vaient le torrent pour défendre le territoire contre l’invasion de l’ennemi. Ils croyaient que la patrie ne résidait que dans le sol: ils frémissaient à la seule idée qu’un ennemi tant de fois vaincu allait nous attaquer dans nos limites!

«Il fallait une vertu ferme, inébranlable, et presque au-dessus des forces humaines pour persister alors dans le devoir; mais ceux qui furent assez heureux pour y persévérer doivent-ils, pour cela, se montrer implacables envers ceux qui se sont trouvés faibles?

«La conduite du maréchal est qualifiée de crime par les uns, d’autres l’appelleront entraînement, erreur. Pour moi, si l’on me demande quelle est la véritable cause de nos désastres, je dirai avec le défenseur de Ligarius, que c’est une malheureuse fatalité qui a surpris et subjugué les esprits; en sorte qu’on ne doit pas s’étonner que la prudence humaine ait été confondue par une force supérieure et divine.

Nota. Après ce court résumé, je devais répondre aux objections de M. le procureur-général, et ramener toute la discussion aux deux points suivans:

«1° Le maréchal ayant agi sans intérêt, sans préméditation, et sous l’empire de circonstances qui atténuent le fait qui lui est imputé, ne peut être considéré, ni traité comme s’il avait commis ce fait avec toutes les circonstances portées en l’acte d’accusation.

«2° Il est d’ailleurs affranchi de toute peine par l’article 12 de la convention du 3 juillet, et l’article 11 du traité de Paris du 20 novembre 1815, qui renvoie à celui du 3o mai 1814, article 16. Ce moyen n’a rien de préjudiciel, il tient éminemment au fond du procès; il n’y a pas de fin de non recevoir en matière criminelle; tant qu’un homme n’est pas condamné, il peut faire valoir tous les moyens qui le protègent contre l’accusation. Remarquons aussi, aurais-je dit, que dans son premier interrogatoire devant M. le rapporteur, le maréchal s’était réservé le droit d’invoquer, lors des plaidoiries, le moyen résultant de la convention du 3 juillet; et, ce qui est bien plus fort, n’oublions pas que le traité du 20 novembre n’a paru que le 28, et que, par conséquent, on n’a pas pu l’invoquer auparavant. Par la même raison, la chambre, en obligeant à proposer cumulativement les moyens préjudiciels, n’a pas entendu exclure la proposition ultérieure de ceux qui, au jour de l’arrêt, n’existaient pas encore. C’est ainsi que j’aurais placé le maréchal sous la protection des traités, sous la sauve-garde de la foi jurée, de cette foi que les anciens placaient dans l’Olympe à côté de Jupiter, et à laquelle un de nos monarques assignait pour dernier refuge le cœur des rois.

«Le plaidoyer eût fini par des considérations politiques, par lesquelles j’aurais essayé de désarmer la sévérité de la Cour, en lui présentant la clémence comme le meilleur moyen de rallier tous les Français en préparant l’oubli de nos dissensions civiles. — Enfin, j’aurais montré notre chère patrie, non comme une terre sèche, altérée du sang français; mais comme une mère affligée sans doute des torts de ses enfans, mais fière encore de les porter sur son sein; prête à oublier leurs fautes, en compensation de leurs services, et souriant malgré elle au souvenir de ce qu’ils ont fait de grand.» Note de Me Dupin, aîné).

Choix des plaidoyers et mémoires de M. Dupin aîné

Подняться наверх