Читать книгу Choix des plaidoyers et mémoires de M. Dupin aîné - André Marie Jean Jacques Dupin - Страница 8
§ 1er.
ОглавлениеPreuves qu’autrefois les causes intéressant la personne, la vie, l’état et l’honneur d’un Pair de France, ne pouvaient être jugées que par le parlement de Paris, qui alors était la cour des Pairs du royaume.
Les Francs ont apporté avec eux la règle que chacun ne peut être jugé que par ses pairs.
Cette règle a subi des modifications, et ce qui, dans le principe, était un droit commun à tous, s’est trouvé, avec le temps, être l’apanage exclusif des princes en vertu de leur naissance, et des pairs du royaume en vertu de leur dignité.
Mais, au moins, il est demeuré bien constant que ces illustres personnes ont conservé, comme privilége, le droit de ne pouvoir être jugées, dans les causes intéressant leur vie, leur état ou leur honneur, que par le parlement de Paris, comme étant, ledit parlement, la cour naturelle des pairs de France. (Lettres patentes de Henri II, du 19 mars 1551.)
Ce droit qu’avaient les pairs de n’être jugés qu’au parlement de Paris, suffisamment garni de pairs, et le droit réciproque qu’avait le parlement de juger seul les matières touchant les pairs et pairies de France, ne peut pas être taxé d’usurpation.
Nous allons au-devant de cette objection, parce que certaines personnes, prévenues contre les parlemens, ne manqueraient pas de rappeler à quel point ces compagnies étaient entreprenantes, pour en conclure contre les exemples que nous rapporterons bientôt, qu’ils ne peuvent être d’aucune considération dans la cause.
Or, nous ne craignons pas d’affirmer que de tous les droits des parlemens, il n’y en a pas de plus certain, de mieux établi, de plus légalement consacré, que le droit dont le parlement de Paris a toujours usé, d’être seul juge des causes intéressant la personne des pairs et les intérêts de leurs pairies.
Il existe sur ce point un grand nombre d’ordonnances, édits, déclarations et lettres patentes qui, depuis le quatorzième jusqu’au dix-septième siècles, ont reconnu et consolidé cette attribution de juridiction de la manière la plus précise et la plus solennelle. Nous en rappellerons les dates pour faciliter les recherches à ceux qui conserveraient quelques doutes, et qui désireraient de les éclaircir .
Les plus célèbres des procès jugés par le parlement de Paris, dans les causes intéressant les pairs du royaume, sont ceux dont la nomenclature suit:
En 1311, Robert, comte de Flandre. 1331, Robert d’Artois. 1341, Charles de Blois. 1368, le prince de Galles, duc de Guienne. 1378, Jean de Montfort. 1386, le roi de Navarre. 1485, le comte d’Eu. 1563, l’Évêque comte de Noyon. 1602, le maréchal duc de Biron.
Sous Louis XV, le duc d’Aiguillon.
Sous Louis XVI, le duc de Richelieu.
Tous ces exemples confirment ce que nous avons dit, que les procès intéressant la personne des pairs, et les droits de leur pairie, ont toujours été portés au parlement de Paris, comme étant la cour naturelle des pairs du royaume. Nous en avons cité un certain nombre, pour montrer que le jugement de ces sortes d’affaires n’était point dévolu accidentellement à cette cour, mais lui était attribué par l’effet d’une règle si constante, qu’elle était devenue une des lois fondamentales de l’état.
L’opinion sur ce point avait jeté de si profondes racines, que les pairs jugés par d’autres tribunaux, n’ont jamais regardé comme valables, ni les jugemens qui les ont condamnés, ni même (chose bien plus remarquable!) les jugemens qui les ont absous.
Ainsi, en 1560, M. le prince de Condé ayant été arrêté à Orléans, et traduit devant des commissaires, fut ensuite déclaré pur et innocent par une déclaration solennelle du roi; mais il dit qu’il penserait se faire grand tort, s’il ne poursuivait une autre déclaration de son innocence devant le parlement de Paris, garni de pairs.
Il se pourvut en conséquence au parlement, et obtint, le 13 juin 1561, un arrêt qui annula les procédures des commissaires, comme faites par juges incompétens, et le déclara pur et innocent des cas à lui imputés.
En 1597, Diane d’Angoulême présenta requête à Henri IV, pour se plaindre d’avoir été condamnée par des juges délégués dépourvus d’autorité légitime, et demanda la permission de se justifier devant le parlement de Paris, qui, selon les lois de l’État, était le seul tribunal légitime et compétent pour connaître des affaires concernant les pairs du royaume.
L’affaire fut en effet renvoyée et jugée au parlement de Paris.
Cependant les vérités les plus certaines, les plus solidement établies, éprouvent des contradictions; les droits les mieux fondés sont souvent attaqués: mais tel est l’avantage du vrai, que les efforts mêmes que l’on fait pour l’obscurcir, ne servent qu’à lui donner un nouvel éclat. C’est l’effet que produisent, quant au droit qu’ont les pairs de n’être jugés que par leurs pairs, les argumens que l’on voudrait tirer des tentatives qu’on a faites quelquefois pour les faire condamner par d’autres juges.
«En 1482, René d’Alençon ayant été accusé de
«différens crimes, le roi Louis XI , sous prétexte
«que ce prince avait, par lettres patentes du 14 janvier
« 1467, renoncé aux priviléges de la pairie,
«en cas qu’il commît quelque faute contre le roi,
«voulut le faire juger par le parlement de Paris,
«sans les pairs. René d’Alençon ne se manqua pas
«à lui-même, ni aux pairs, ni à la cour des pairs.
«— Dans son interrogatoire du 18 juillet 1482,
«il opposa qu’il était de la très-noble maison de
«France, de laquelle il était l’un des pairs...... qu’il
«n’est tenu de répondre devant quelques juges,
«excepté devant le roi, et en cette cour de parlement
« garnie de pairs...... et qu’en cas qu’on
«voudrait procéder à l’encontre de lui, en l’absence
«des pairs de France, il en appellait au roi et à la
«cour de parlement garnie de pairs.»
On n’eut alors aucun égard à cette défense du duc d’Alençon; mais depuis, les commissaires nommés par l’arrêt du 3 mars 1764, pour recueillir les principes et les faits sur la matière que nous traitons, ont remarqué que: «si l’AUTORITÉ L’EMPORTA SUR
«LE DROIT, au moins les juges FORCÉS PAR LE POUVOIR
« ABSOLU, tâchèrent d’en diminuer l’ABUS; en
«ce que René d’Alençon ne fut condamné qu’à requérir
«merci au roi, et à lui donner caution de sa
«bonne conduite.» (Voyez le travail des commissaires joint a l’arrêt du 29 mai 1764, dans la liasse cotée comité secret du 29 au 3o mai 1764.)
Quelle objection pourrait-on tirer d’un arrêt ainsi apprécié par les successeurs des mêmes juges qui l’ont rendu?
Le duc de Rohan se mit à la tête des religionnaires, il assiégea plusieurs villes, s’empara des deniers royaux, etc. Le roi Louis XIII rendit, le 14 octobre 1627, une déclaration portant pouvoir au parlement de Toulouse de juger ce duc.
Cette déclaration porte: «Nonobstant tous priviléges
«, même celui de la pairie, dont il est déchu et
«s’est rendu indigne, attendu l’énormité du crime
«notoire de rébellion, et attentat par lui témérairement
« avoué contre notre autorité et le repos de notre royaume.»
Le parlement de Toulouse se crut par-là autorisé à faire le procès au duc, parce qu’il ne le considéra plus comme pair de France.
Mais, à cette occasion, les mêmes commissaires dont j’ai déjà cité le rapport, ont fait à ces lettres une réponse si juste et si lumineuse que nous n’aurons rien à y ajouter; la voici: «Ces lettres patentes
«qui déclarent le pair accusé déchu de la pairie par
«le fait même, ne présentent qu’une pétition de
«principe. Elles supposent un premier jugement
«qui n’existe pas, puisque le délit n’a point été légalement
« constaté ; ce qui rend nulle de plein droit
«l’instruction subséquente, qui, ne pouvant être
«régulière qu’autant qu’elle serait la suite d’une
«dégradation légitimement prononcée, est sans
«fondement lorsque le pair n’a pas été privé de la
«pairie par un jugement émané du tribunal qui peut
«seul connaître de son honneur et de son état.»
Monsieur, frère de Louis XIII, s’étant retiré en Lorraine, il y fut suivi par les ducs de Bellegarde et d’Elbeuf. Le roi donna, le 3o mars 1631, une déclaration par laquelle ces deux ducs sont déclarés criminels de lèse-majesté, et renvoyés pour être jugés au parlement de Dijon.
Le duc de Bellegarde refusa de reconnaître ce parlement. Le 25 avril, il écrivit aux juges: «La
«qualité que je possède de duc et pair de France,
«me dispense de reconnaître d’autres juges que l’auguste
« parlement de Paris.»
On lui fit son procès par contumace à Dijon.
Mais peu de temps après il obtint des lettres d’abolition. Le parlement de Paris les entérina le 7 janvier 1633, mais en même temps la cour dit que» le
«roi serait supplié de maintenir en temps et lieu,
«sa cour de parlement en ses priviléges, pour ce
«qui est des ducs et pairs, et autres officiers y ayant
«séance.»
Cela n’empêcha pas le duc d’Elbeuf d’être condamné par le parlement de Dijon, le 24 janvier 1643; mais il invoqua le privilége des pairs devant le parlement de Paris, conclut à la nullité des poursuites et de la condamnation; et, le 17 juillet 1643, il obtint un arrêt par lequel «dit a été sans s’arrêter aux-
« dites procédures extraordinaires, information, dé-
«faut de contumace, condamnation et exécution,
«comme nulles, et lesquelles la cour a cassées et
«annulées comme faites au préjudice des priviléges
«des ducs et pairs de France, que ladite cour a
«déchargé ledit duc d’Elbeuf de l’accusation contre
«lui portée, sauf à lui à se pourvoir pour ses dépens,
«dommages-intérêts, contre qui et ainsi qu’il verra
«être.»
Par tous ces arrêts on voit clairement que le droit des pairs est sorti victorieux des attaques qu’on voulait lui porter.
Le duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc, s’était joint aux amis de Monsieur, frère de Louis XIII; il avait engagé dans ce parti les États de la province, et avait projeté des liaisons avec l’étranger. Il fut fait prisonnier dans une action contre les troupes du roi, déclaré criminel de lèse-majesté par des lettres patentes du 23 juillet 1632, enregistrées au parlement de Toulouse; et condamné par ce parlement le 30 octobre 1632, à avoir la tête tranchée; ce qui fut exécuté le même jour.
La déclaration adressée au parlement de Toulouse, pour juger ce duc, porte, comme celle du duc de Rohan (suprà p. 12), nonobstant le privilége de pairie dont nous l’avons déclaré indigne et déchu.
Le duc protesta en ces termes:» Messieurs,
«dit-il, quoique vous ne soyez pas mes juges na-
«turels, en ma qualité de duc et pair de France;
«néanmoins, puisque le roi veut que je vous ré-
«ponde, je le ferai.»
Et dans l’arrêt du 24 novembre 1643, par lequel le parlement de Paris enregistra les nouvelles lettres par lesquelles le roi faisait don de la terre de Montmorency à madame la princesse de Condé, la cour dit «qu’elle avait procédé à la vérification desdites
«lettres, sans approbation du jugement donné à
«Toulouse le 30e jour d’octobre 1632, contre le «feu sieur de Montmorency, lequel, en qualité de «duc et pair, ne devait être jugé qu’au parlement «de Paris.»
N’est-ce pas dire clairement que sa condamnation était illégale, et par conséquent injuste?
Le même règne de Louis XIII nous offre encore une circonstance où le ministre de ce prince voulut faire plier la règle sous le poids de l’arbitraire.
Le duc de La Valette, fils du duc d’Épernon, fut soupçonné d’avoir occasioné la levée du siège de Fontarabie, par l’armée du roi que commandait le prince de Condé. Richelieu voulut lui faire faire son procès au conseil privé ; ce qui fut exécuté en 1639. Le premier président, tous les présidens et le doyen du parlement furent mandés, ainsi que les gens du roi, à Saint-Germain.
Dans ce conseil où étaient le Roi, quelques ducs, les conseillers d’état et les membres ci-dessus désignés du parlement, le duc de La Valette fut décrété et condamné par contumace à avoir la tête tranchée.
On voit dans les Mémoires de M. TALON (t. 1er, p. 256 et suiv.) que le premier président et plusieurs des magistrats (MM. PINON, NESMOND, SÉGUIER, DE BELLIÈVRE), appelés pour assister à ce procès dans le conseil, réclamèrent le droit du parlement et de la pairie, ce qui leur attira même des discours très-durs.....
Mais en 1643, le duc de La Valette présenta requête au parlement pour purger la contumace, et par arrêt du 26 juin, les défaut, contumace et jugement contre le duc de La Valette furent mis au néant, et, sans s’arrêter à tout ce qui avait été fait devant le conseil, il fut ordonné qu’il serait informé en la cour à la requête du procureur du roi.
L’arrêt définitif rendu le 31 juillet a déchargé le duc de l’accusation contre lui intentée.
En examinant de bonne foi les circonstances de cette affaire, on n’en tirera sans doute aucune conséquence contre le droit des pairs. Loin de là, en voyant un acte passager de la puissance absolue anéanti par un retour à la règle, on se convaincra que cette règle n’est devenue que plus certaine par la contradiction même qu’elle a éprouvée.
Voyons d’ailleurs le jugement qu’en a porté l’histoire. «Le 7 septembre 1638, dit le président Hénault,
« M. le prince lève le siége de Fontarabie. Le
«cardinal de Richelieu, qui n’aimait pas le duc de La
«Valette, s’en prit à lui, et lui donna des commis-
«saires qui le condamnèrent à avoir la tête tranchée
«en effigie.»
Il ne faut donc voir dans la nomination de ces commissaires qu’une violation de principes, née de la haine que Richelieu portait à l’acccusé.
Le même historien remarque encore qu’en 1540, si l’amiral de Brion fut condamné, ce fut «par des
«commissaires, à la tête desquels était le chancelier
«Poyet, homme vendu à la cour .»
Ailleurs il ne manque pas de relever que le prince de Bourbon, en 1560, et Fouquet, en 1664, furent condamnés par des commissaires.
Et, à cette occasion, il rapporte le mot du célestin de Marcoussi. «François Ier voyant le tombeau de «Jean de Montaigu au château de Marcoussi, plaignait « ce grand ministre d’avoir été condamné à «mort par justice. — Pardonnez-moi, sire, dit le «bon religieux, ce fut par des commissaires.» — Frappé de ces paroles, le Roi jura de ne jamais faire mourir personne par commission. (Élém. de l’Hist. de Fr. par Millot, t. 2, p. 225 .)
«Et que peut-il, en effet, y avoir de plus redoutable
« à des accusés, que les juges, non pas naturels
«et ordinaires, établis contre eux; qu’on n’a jamais
«vus être pour eux; qui, à regarder les exemples du
«passé sur lesquels on fonde l’usage, ont toujours su
«condamner, et pas une seule fois absoudre!» (Pélisson, Prem. disc. au Roi, p. 139 et 142.)