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A MONSEIGNEUR LE GARDE DES SCEAUX DE FRANCE. PLAINTE DE MADAME LA MARÉCHALE BRUNE, CONTRE LES ASSASSINS DE SON ÉPOUX.

Table des matières

MONSEIGNEUR,

LE Roi m’a fait justice autant qu’il était en lui, en ordonnant qu’on informât contre les auteurs et complices du meurtre de mon époux.

Votre Grandeur, en m’annonçant cette décision, m’a fait l’honneur de me dire qu’elle attendait la plainte dont ma requête au Roi contenait l’annonce.

Dans cette requête, en effet, je m’exprimais en ces termes: «Les auteurs immédiats du crime sont

«connus; ils seront nommés dans la plainte détaillée

«que je déposerai entre les mains de la justice,

«aussitôt que S. M. aura fait désigner la cour devant

«laquelle le crime devra être poursuivi.»

La prudence me commandait d’en agir ainsi.

Lorsque Avignon est encore gouverné , dans toutes les parties de l’ordre administratif, judiciaire et militaire, par les mêmes autorités qui dirigeaient l’esprit de cette contrée à l’époque où mon malheureux époux y fut assassiné ; lorsqu’il est de fait qu’on n’y a changé que le prefet et le maire, c’est-à-dire les deux seuls fonctionnaires qui eussent fait leur devoir, en s’opposant au crime dont on allait souiller leur ville; à qui, dans ce fatal pays pouvais-je adresser ma plainte? qui l’aurait reçue, entendue, accueillie?

Le jeune homme qui, le premier, insulta le maréchal, et excita la fermentation parmi le peuple, est le fils d’un personnage qui exerce à Paris, au sein de l’un des premiers corps de l’État, des fonctions dont l’influence s’étend sur tout le département de Vaucluse.

Un autre jeune homme, M. V*** fils, commandait le poste qui arrêta les voitures du maréchal; il lui demanda ses passeports, éleva des difficultés mal fondées sur leur validité, et retarda sa marche jusqu’à ce que le rassemblement de la populace se fût accru au point de la rendre impossible.

Son père est procureur du roi: poursuivra-t il son fils?

Il y a mieux: M. le procureur du roi est l’un des signataires du procès-verbal de suicide, que j’argue de faux: se poursuivra-t-il lui-même?

Au milieu de toutes ces appréhensions, pouvais-je procéder devant de tels magistrats, leur adresser ma plainte; reconnaître ainsi leur juridiction, et me rendre par-là non recevable à décliner leur compétence a (Code d’instruction criminelle, article 543.)

Votre Grandeur a paru croire que la première instruction devait être faite sur les lieux; mais si j’allais signaler prématurément tous les faits; si je désignais à l’avance tous les témoins, je les exposerais évidemment à des persécutions locales. Plusieurs m’ont écrit, en me promettant de dire la vérité, si l’affaire se poursuit ailleurs qu’à Avignon. L’un d’eux écrivait à mon conseil: «J’ai une re-

«commandation toute particulière à vous faire; c’est

«de profiter des détails que je vous donne, sans en

«indiquer la source. Vous me perdriez infaillible-

«ment en me nommant, ET LA MOINDRE CHOSE QUI

«PUT M’ARRIVER SERAIT L’INCENDIE DE MES PRO-

« PRIÉTÉS.»

J’ai envoyé un agent sur les lieux: sa présence n’a pu rester long-temps secrète; au bout de quelques jours il a dû s’éloigner et se tenir à l’écart, pour éviter les attaques dont on l’informa qu’il allait être infailliblement l’objet.

Un Avignonais écrivait à ce sujet à mon conseil;

«Priez l’agent de madame la maréchale de ne pas

«venir me voir. S’il désire une conférence avec

«moi, que ce soit à Nîmes ou à Aix; et qu’il me pré-

«vienne quelques jours d’avance par une lettre à

«mon adresse.»

Tout m’impose donc l’obligation, dans l’intérêt même de mes preuves, de parler avec une grande réserve, dans la crainte de voir tous les élémens de conviction étouffés, détruits, comprimés dès l’abord, par l’intérêt personnel des hommes qui seraient chargés de les recueillir.

Au surplus, et quand un fait est aussi notoire; quand la France entière en a retenti; quand le Roi lui-même a ordonné des poursuites; quand la loi toute seule prescrit aux fonctionnaires de poursuivre d’office les crimes qui viennent à leur connaissance, de quelque manière que ce soit, n’est-il pas inouï qu’on attende ma plainte?

Au reste, la voilà.

Je me rends partie civile.

Je me plains de ce que le 2 août 1815, le mare chai Brune a été assassiné dans Avignon.

Il l’a été à l’hôtel du Palais-Royal,

Au milieu d’une émeute populaire excitée par l’esprit de parti.

Son corps a été privé de la sépulture, arraché des mains de ceux qui le conduisaient au champ du repos, et précipité dans le Rhône.

On a écrit, sur le pont, cette inscription déshonorante pour la ville dont elle atteste le crime:

C’EST ICI

LE CIMETIÈRE

DU MARÉCHAL BRUNE

2 AOUT M.DCCC XV.

D’infernales réjouissances ont eu lieu comme en un jour de fête.

Les effets du maréchal ont été en partie pillés, vendus à vil prix, et partagés: Et miserunt sortem fil vestem ejus.

Des traits infâmes de cruauté et de barbarie, des détails odieux que je supprime, et que l’instruction révélera, ont accompagné ces scènes de cannibales.

Les fonctionnaires de toutes les classes auront à rendre compte de ce qu’ils ont fait pour prévenir de tels excès. Ils auront à dire pourquoi ils n’ont rien fait pour les réprimer et les punir. Bien plus ils auront à expliquer dans quel intérêt ils se sont collusoirement prêtés à la rédaction d’un procès-verbal, que j’argue hautement de faux, quant aux énonciations qu’il renferme, et en tant qu’on en voudrait faire résulter la preu ve que le maréchal s’est tué lui-même, lorsque tout, jusqu’à ce procès-verbal même, par ses propres contradictions, atteste que le maréchal a été lâchement et cruellement assassiné.

Les auteurs immédiats du crime que je désigne sont,

1° Le nommé Farge, taffetatier;

2° Un portefaix connu dans Avignon sous le nom de Roquefort.

Le premier de ces monstres a tiré un coup qui n’a pas atteint le maréchal, parce qu’il tirait à bout portant avec un pistolet que la victime eut le temps de détourner.

Le second a tiré le coup mortel.

Les premiers témoins qu’on devra entendre seront:

1° Le sieur Molin, propriétaire de l’hôtel où le meurtre a été commis;

2° Les domestiques de sa maison;

3° M. de Saint-Chamans, alors préfet de Vaucluse;

4° M. Dupuy, alors maire d’Avignon;

5° M. Beauregard, chirurgien, auteur du rapport dressé, le 2 août, sur l’état du cadavre;

6° Les commandans de la force armée, gendarmerie, garde nationale, ou troupes de ligne, qui étaient de service le jour de l’événement;

7° M. Aillaud, ex-capitaine de gendarmerie à Avignon.

8° M. Montagnat, directeur des fonderies de Vaucluse, capitaine de la garde nationale d’Avignon, qui escortait le cadavre à la sépulture;

9° Les quatre porteurs de la bière où fut déposé M. le maréchal (la police a dû retenir leurs noms);

10° M. Prompt, ancien fourrier de la compagnie des chasseurs du duc d’Angoulême, présentement marchand orfèvre à Bordeaux, logé chez madame Ozié(ce témoin a tout vu; mais il faut se hâter de l’interroger; il est sur le point de faire un voyage en Amérique).

11° M. Jean Tarron, joaillier à Genève, témoin oculaire. Il était, à cette époque, logé dans l’hôtel du Palais-Royal;

12° Tous les signataires du prétendu procès-verbal de suicide, dressé le a août.

On peut encore faire interroger les témoins suivans, qui se trouvent ACTUELLEMENT A PARIS:

1° Un sieur Meynier, qui n’a pas été étranger à cet événement (la police de Paris a son adresse);

2° M. Durand de Nîmes, avocat à Paris, rue Bertin, n° 9. Il donnera le nom et l’adresse d’un officier de santé du régiment Royal-Louis, qui fut appelé au procès-verbal du prétendu suicide, et qui se refusa à le signer;

3° M. Moureau, de Vaucluse, aujourd’hui avocat, demeurant à Paris, cloître Saint-Benoît, n° 16;

4° M. Laurent, ex-inspecteur-général de la librairie, à Avignon, demeurant à Paris, rue du Bac, n° 17;

5° Le général Jocry, demeurant à Paris, rue Saint-Jacques, vis-à-vis le collège du Plessis, qui commandait à Marseille en 1815;

6° M. Maunier, marchand papetier à Paris, rue de la Monnaie, n° 20. Il était à Avignon le 2 août 1815.

J’ai encore soixante-deux autres témoins dont je donnerai la liste supplémentaire, dès que les poursuites auront commencé.

MONSEIGNEUR, j’aurais sans doute le droit de saisir directement la cour de cassation de ma demande en renvoi pour cause de suspicion légitime. Mais ce qui ne serait, de ma part, que l’exercice d’un droit, est pour l’autorité supérieure l’accomplissement d’un devoir. L’article 542 du Code d’instruction criminelle trace à cet égard la conduite qu’elle doit tenir en pareil cas.

Et puisqu’il est vrai de dire que jamais il ne se présenta d’affaire où la suspicion fut plus légitime, et les motifs de récusation plus notoires, plus palpables, plus évidens, j’ai la ferme confiance que Votre Grandeur prendra de suite les mesures nécessaires pour que les intentions du Roi soient remplies, et pour que le soin d’informer promptement soit confié à d’autres autorités que celles d’Avignon.

ET VOUS FEREZ JUSTICE.

Paris, ce 19 mai 1819.

MALE BRUNE.

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