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PLAIDOYER PRONONCÉ DEVANT LA COUR ROYALE DE RIOM, A L’AUDIENCE DU 25 FÉVRIER 1821.

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Table des matières

MESSIEURS,

MADAME la maréchale Brune ne vient point exhaler devant, vous une plainte envenimée. Bien que douloureusement affectée, ce n’est point aux passions qu’elle veut parler: elle n’adresse de vœux qu’à la justice; c’est dans son temple qu’elle vient rendre les derniers devoirs à son illustre et malheureux époux: elle ne demande vengeance qu’aux lois. Elle l’attend avec confiance de leurs dignes organes, de ces magistrats sur lesquels toute la France a les yeux, et qui les premiers, justifiant la confiance du prince et l’espoir de la nation, ont dépouillé le crime du titre affreux de représailles, sous lequel on avait tenté de l’ennoblir, et lui ont enfin restitué ses peines et son infamie.

En entrant dans votre cité, les regards de ma cliente se sont arrêtés avec complaisance sur le monument que les citoyens de Riom ont élevé au général Desaix: elle en a conçu le plus favorable augure. Non, s’est-elle dit, ce n’est pas dans une ville qui honore ainsi le courage, que le meurtre d’un brave sera jugé avec indifférence; ce n’est pas dans cette ville, qu’on formera des vœux impies en faveur du scélérat qui a tranché la vie glorieuse d’un héros, sous les ordres duquel neuf des maréchaux qui nous restent ont eu l’honneur de servir.

(Après cet exorde, l’avocat entre dans l’exposé du fait. )

Le 2 août, M. le maréchal Brune a été assassiné dans Avignon, en plein jour, en présence d’une foule d’habitans, après une lutte de plusieurs heures, et après avoir soutenu une sorte de siège, sans qu’aucun ordre de l’autorité fit agir, pour sa défense, la force publique.

La plus infâme calomnie a servi de prétexte à cet horrible assassinat. Des hommes de parti répandirent parmi leurs sicaires que le maréchal Brune avait porté la tête de la princesse de Lamballe au bout d’une pique! Si je réponds à cette imputation, Messieurs, ce n’est pas que sa véracité pût influer sur le crime commis sur la personne du maréchal; mais j’y réponds pour laver sa mémoire de ce qu’un tel reproche a d’odieux. Or, il est de fait que, dès le 18 août 1792, le général Brune avait été envoyé en Belgique en qualité de commissaire du gouvernement. Des écrivains belges eux-mêmes nous attestent qu’à cette époque Brune était dans leur pays. Dans la Galerie historique des Contemporains, ouvrage imprimé à Bruxelles depuis la mort du maréchal, on lit ce qui suit, article BRUNE: «On a prétendu que Brune avait

«été l’un des assassins de l’infortunée princesse de

«Lamballe, massacrée le 2 septembre 1792, à la

«prison de la Force. Cette accusation tombe d’elle-

« même; Brune n’était point alors à Paris.» Il était, ainsi que nous l’avons dit il n’y a qu’un instant, dans la Belgique, où il avait été envoyé par le conseil exécutif .

En effet, il existe dans les archives du gouvernement des dépêches officielles qui attestent qu’à cette fatale époque le général Brune n’étoit point à Paris. Le 3 septembre 1792, il était encore à Rodenac, près de Thionville, dans le nord de la France.

La calomnie a précédé le trépas du maréchal: elle ne s’est point lassée de le poursuivre encore après sa mort.

A peine le maréchal a-t-il été assassiné, que ceux qui avaient commandé le crime s’efforcent d’en déguiser les preuves. Ils entreprennent, si je puis m’exprimer ainsi, de régulariser l’assassinat.

On dresse un procès-verbal qui atteste que le maréchal se serait suicidé.

Une expédition de ce procès-verbal est envoyée au ministre de la justice, pendant que d’autres se chargent de faire accréditer cette insultante version par certains journaux. Le Journal des Débats présente ainsi l’événement dans ses feuilles des 9 et 12 août 1815.; et, comme ces premières annonces avaient trouvé peu de créance, pour vaincre l’incrédulité des lecteurs, ses rédacteurs consacrent un nouvel article à ce récit, dans leur numéro du 17 août, qui commence par ces mots: «Voici la relation authentique

« de ce qui s’est passé à Avignon le 2 août;

«elle nous est transmise par une des principales autorités

« de cette ville. Le maréchal Brune, etc., etc.»

Peu de temps après, une médaille du maréchal est gravée à Paris. Elle portait sur le revers: «Né

«à Brive, le 13 mars 1763: assassiné à Avignon,

«le 2 août 1815.» Mais le directeur de la Monnaie ( l’honorable M. Marcassus de Puymaurin) refuse de la laisser frapper avec cette énonciation: il aurait voulu que l’on eût mis décédé à Avignon. Enfin l’on transige; le mot assassiné est remplacé par autant de points qu’il y a de lettres dans ce dernier mot; et, par ordre supérieur, la médaille est frappée avec cet amendement.

Ainsi les fauteurs du procès-verbal de suicide obtenaient ce qu’ils désiraient: aucune information n’avait lieu sur la mort du maréchal Brune.

Cette inaction, dit l’avocat, était peut-être excusable à Paris, si elle n’était que le résultat de l’erreur produite par le procès-verbal de suicide; mais, à Avignon, pouvait-on s’abusera ce point?

Près de quatre ans s’étaient écoulés; mais dans l’intervalle, madame la maréchale Brune avait employé tous les moyens imaginables pour réunir les preuves du crime. Elle avait envoyé sur les lieux un agent fidèle et dévoué, qui, au risque de sa vie, s’était procuré les documens les plus précis.

Il était même parvenu à recouvrer les restes du corps de M. le maréchal. Ces mânes précieux, dit l’orateur, furent envoyés à sa veuve dans un cercueil de plomb; elle les a fait déposer à sa terre de Saint-Just, dans une des salles du château: ils attendent votre arrêt; ils ne seront inhumés qu’après que justice aura été faite...

Cependant, poursuit l’orateur, une lueur d’espérance semble renaître; le discours prononcé le 24 mars 1819, par M. les garde des sceaux à la chambre des députés, annonce de la part du gouvernement, la volonté de faire justice des crimes du midi. Long-temps niés par une faction, ces crimes sont dévoilés par le ministre: il s’en indigne; il s’écrie: «Le scandale

« est dans le crime; il n’est pas dans la plainte; il

«n’est pas dans le cri du sang injustement répandu!»

Cette phrase éloquente devient l’épigraphe de la requête que madame la maréchale Brune s’empresse alors de présenter au roi.

Elle l’adresse en même temps, avec une lettre circulaire, à tous les maréchaux de France. Tirés de leur léthargie par une femme, ces illustres guerriers se disposent à réclamer, en corps, vengeance de l’assassinat commis sur la personne de leur frère d’armes, lorsque le Roi les prévient, et donne au ministre de la justice l’ordre de faire poursuivre les auteurs de cet attentat.

Cette décision, d’abord annoncée à madame la maréchale Brune par le duc d’Albuféra, lui est immédiatement confirmée par une lettre de M. le garde des sceaux.

Aussitôt madame la maréchale Brune remet à ce ministre une plainte dans laquelle elle déclare se porter partie civile.

Les documens fournis par madame la maréchale sont transmis au procureur-général près la Cour de Nîmes.

L’instruction commence sur les lieux.

On l’a bien circonscrite!.... Ainsi l’on n’a pas instruit contre ces fonctionnaires dont la conduite, si elle ne les accuse pas de connivence, les accuse au moins d’une grande faiblesse!

On n’instruit pas contre celui qui, le premier, s’était opposé au départ de la voiture du maréchal!

On n’instruit pas contre ce jeune homme qui, au dire de plusieurs témoins, avait excité et fomenté l’attroupement; contre cet audacieux qui, se trouvant dans la chambre du maréchal Brune, l’avait injurié en face, avait arraché le panache blanc qui ombrageait son front glorieux, et l’avait menacé d’une mort prochaine, qu’il disait être due à ses forfaits!!

Et ce commandant, qui n’a trouvé d’apologiste que dans la déposition de l’un des signataires du procès-verbal! ce commandant de place, si puissant sur la multitude, qu’un mot de sa part suffit pour la calmer! Mais quand? Lorsque le but est rempli, quand le crime a été consommé, et que le maréchal a cessé de vivre. Ce même homme, qui donne à la gendarmerie l’ordre de se retirer, quand il fallait, au contraire, lui donner l’ordre d’agir; quand son insuffisance même du côté du nombre, n’eût pas été un motif capable de légitimer sa retraite, à moins que le devoir de mourir à son poste ne soit plus qu’un vain mot!

A-t-on instruit contre les deux faux témoins qui ont attesté le prétendu suicide? A-t-on instruit sur le pillage des effets partagés sur la place publique!

Toutefois, Messieurs, ne croyez pas qu’en relevant ces lacunes dans l’instruction, je veuille accuser les intentions des magistrats qui l’ont dirigée; je veux seulement en tirer cette conséquence, qu’au moins il est bien prouvé par-là que l’instruction a été conduite avec une grande modération, sans animosité, et que, par conséquent, les seuls faits qu’elle ait pris soin d’établir méritent toute votre confiance.

On n’est pas remonté jusqu’aux instigateurs du crime: on n’a poursuivi que les vils instrumens dont on s’était servi pour le commettre.

Tout aboutit à deux portefaix, dont l’un est décédé, l’autre contumace.

Roquefort contumace! Eh! pourquoi? On l’a vu, on l’a signalé à l’autorité ; il se promenait publiquement sur les quais et dans les rues d’Avignon; cependant on ne l’a pas arrêté : on ne l’a donc pas voulu! On a fait des perquisitions, mais après des avertisse-mens préalables. Le commandant de la gendarmerie a été changé ; mais l’influence des instigateurs n’était pas détruite: ils craignaient que, menacé sur sa tête, le coupable ne nommât ses complices!...

Quoi qu’il en soit, la plainte de madame la maréchale se trouve justifiée sur tous les points.

L’assassinat est prouvé avec la plus haute évidence.

Les insultes faites au cadavre, son exhumation, l’épitaphe inscrite sur le pont du Rhône, que M. de Saint-Chamans dépose avoir lue de ses propres yeux, et qu’il n’a pas eu, lui, préfet de Vaucluse, la force de faire supprimer : tous ces faits sont également prouvés.

Il en est de même du pillage des effets du maréchal: on les divise; chacun a son lot; et l’un des signataires du procès-verbal de suicide, un lâche, obtient en partage la glorieuse épée du maréchal!

Toute cette procédure est soumise à la chambre d’accusation de la Cour royale de Nîmes. L’arrêt de renvoi, rendu par cette chambre, démontre le crime, et signale le criminel: un acte d’accusation est dressé contre le nommé Guindon, dit Roquefort.

Cependant, même après cinq ans écoulés, le gouvernement ne croit pas sûr de faire juger le procès sur les lieux; et un arrêt de la Cour de cassation renvoie la cause devant la Cour de Riom.

Ce renvoi est regardé comme un bonheur. Quelle gloire pour vous, Messieurs, qu’au seul bruit de cette décision, chacun ait félicité madame la maréchale! A Riom, lui disait-on, l’on vous fera justice; là vous trouverez, au sein d’une population douce et paisible, ennemie des troubles, étrangère à l’esprit de faction, des magistrats intègres et courageux, qui, ne connaissant que leur devoir et n’écoutant que leur conscience, savent qu’il importe à la gloire comme au bonheur de leur pays que le crime soit puni, par quelques personnes, en quelque lieu, et dans quelques circonstances qu’il ait été commis.

Dès lors, madame la maréchale Brune se décide à faire le voyage de Riom. Vous avez vu, Messieurs, sa profonde douleur, son courage au-dessus de son sexe; sa déférence, son respect pour la justice; son dévouement à ses devoirs.

Devais-je l’accompagner? — Sans doute, je savais qu’elle eût trouvé, dans le barreau de Riom, talens distingués, obligeance extrême, secours et conseils utiles ; mais j’avais été le premier interprète de la douleur de madame la maréchale dans sa requête au Roi; j’avais recueilli et rédigé sa plainte: elle désirait me voir achever mon ouvrage; sa cause était trop belle pour ne pas l’entreprendre, et la confiance qu’elle daignait me témoigner trop honorable, pour ne pas y répondre avec l’empressement qu’elle mérite, et un dévouement qu’elle sait bien être sans bornes.

(Les faits ainsi exposés, Me Dupin est entré dans la discussion du fond).

Le principal intérêt de madame la maréchale, a-t-il dit, est de détruire l’idée que le maréchal Brune se soit suicidé. Le suicide entache la mémoire: c’est un crime aux yeux de la morale et de la religion; c’est de plus une lâcheté ; et il n’a fallu rien moins que la rage insensée et le raffinement de l’esprit de parti, pour entreprendre de déshonorer ainsi la gloire d’un guerrier dont on venait de trancher la vie par un assassinat!

De là naît, pour madame la maréchale et pour sa famille, le besoin de demander que cette mention de suicide soit effacée de tous les registres de l’état civil ou autres, sur lesquels elle aurait pu être portée.

On objectera peut-être que la loi défendant d’énoncer le genre de mort sur les registres de l’état civil, il n’est pas à craindre qu’on ait violé cette règle. Mais la loi défendait aussi de rédiger un procès-verbal en vue de mettre un suicide à la Pace d’un assassinat! Elle défendait aux fonctionnaires publics d’Avignon de dissimuler le crime, puisqu’elle leur enjoignait de le poursuivre; et cependant un procès-verbal attestant le suicide a été dressé, et ils n’ont pas craint de le signer! D’ailleurs, les conclusions sur ce point ne sont qu’hypothétiques, et pour le cas seulement ou, la mention ayant eu lieu, une rectification deviendrait nécessaire.

Maintenant, Messieurs, j’aurai peu d’efforts a faire pour prouver qu’il y a eu assassinat et non pas suicide.

Relèverai-je d’abord cette forme insolite de procès-verbal, qu’on fait signer par une foule de fonctionnaires dont le concours était inutile? N’est-ce point le cas de voir le dol dans l’excès même de la précaution? Un homme est mort; on appelle le juge d’instruction: il doit procéder seul; qu’a-t-il besoin de la collaboration et de l’attache des fonctionnaires publics de l’ordre administratif? A quoi bon l’intervention de ceux-ci dans un acte judiciaire, si ce n’est pour se prêter un mutuel secours, en attestant solidairement ce qu’aucun deux n’eût voulu prendre sur lui d’affirmer seul? Acte honteux de faiblesse ou de complicité, sorte de pétition officieuse en faveur du crime contre la victime, qui accusera long-temps les signataires de connivence ou de pusillanimité ;

Mais enfin l’iniquité s’est mentie à elle-même; car le procès-verbal seul suffit pour démontrer sa propre fausseté.

En effet, les fonctionnaires qui l’ont signé n’y figurent pas comme témoins; ils n’attestent rien qui soit à leur connaissance personnelle; ils ne paraissent que pour donner un air d’authenticité aux déclarations que renferme le procès-verbal.

Or, ces déclarations rappellent les faits de rassemblement, d’investissement de l’hôtel, d’invasion de la chambre du maréchal, de vociférations, de menaces. L’empreinte des balles au plafond et sur la muraille atteste qu’on a tiré deux coups de feu. L’état du cadavre, constaté par les gens de l’art, la description de ses blessures, prouvent qu’il y a eu assassinat commis par derrière, et non un suicide, démontré impossible par toutes ces circonstances de fait. Cependant les fauteurs du procès-verbal n’y ont aucun égard; la vérité la plus palpable est méconnue; elle succombe sous la déposition des deux seuls hommes qu’on daigne interroger, par prédilection, au milieu de cette foule: d’un serrurier et d’un boucher, dignes témoins d’une pareille scène!

Mais le procès-verbal est surtout détruit par l’instruction subséquente qui a eu lieu sur la plainte de madame la maréchale. Dans cette instruction, en effet, plusieurs des signataires mêmes du procès verbal se rétractent, et déclarent que s’ils avaient d’abord cru au suicide, depuis ils n’ont pu s’empêcher de reconnaître qu’il y avait eu assassinat. MM. de Saint-Chamans et Verger père sont de ce nombre. ( L’avocat rappelle leurs dépositions. )

Pour colorer l’allégation du suicide, on avait prétendu que le maréchal avait emprunté le pistolet d’un factionnaire du régiment des chasseurs d’Angoulême. Mais cette assertion est démentie avec fermeté par les officiers mêmes de ce corps, qui attestent que leurs soldats, et notamment ce factionnaire, n’étaient point armés de pistolets.

(Après avoir fait ressortir plusieurs autres preuves qu’il puise dans l’instruction, Me Dupin en tire cette conséquence, qu’il y a eu assassinat et non suicide.

Il se demande ensuite quel est l’auteur de cet assassinat?)

Cette question, dit-il, n’est que secondaire; on n’eût pas découvert le coupable, que l’intérêt civil eût été le même: faire décider qu’il n’y a pas suicide, et faire rectifier les fausses énonciations des registres et des actes qui auraient assigné cette cause à la mort du maréchal. Cet intérêt si naturel, si juste, si pressant, survivrait au décès du coupable, comme à son absence, et même à son absolution.

Mais cette considération même est superflue; car le fait de la culpabilité du contumace est complétement établi par l’instruction.

Ici j’entreprendrai le moins possible sur les fonctions du ministère public; et je le ferai avec d’autant plus de réserve, que ces nobles fonctions sont exercées dans la cause par un procureur-général qui sait allier, au plus haut degré, le talent qui distingue l’homme avec cette courageuse impartialité qui honore le magistrat.

D’ailleurs, l’intérêt du gouvernement parle ici plus haut que le nôtre. Le crime est constant; faites donc qu’il soit puni. Faites taire ceux qui disent: Il n’y a plus de justice en France; on y tue les gens publiquement et impunément . Si la mort d’un maréchal de France reste impunie, quelle sera la sécurité des autres citoyens? Si l’homme qui porte l’épée du commandement pour le prince, n’a pu être protégé ni par ses dignités ni par sa gloire, qui vengera la mort du paysan, du bourgeois, du simple soldat? Réfléchissez, Messieurs, aux conséquences de l’impunité d’un tel crime, au milieu de la conviction de son existence, si fortement empreinte dans tous les esprits; et vous verrez qu’en effet il s’agit ici bien moins d’un intérêt particulier, que de la gloire du prince et de l’honneur de son gouvernement.

( Après avoir présenté ces considérations, l’avocat de madame la maréchale Brune retrace les circonstances au milieu desquelles a eu lieu l’instruction: au milieu des passions locales, au milieu des influences qui avaient protégé le crime. Il représente l’anxiété des témoins...)

Rappelez-vous ce que Truphémy disait, dans cette même enceinte, des témoins appelés contre lui: S’ils étaient à Nîmes, ils ne parleraient pas ainsi. Par conséquent, il est permis de dire que si les témoins entendus contre Roquefort étaient présens devant vous, ils parleraient plus hardiment qu’ils n’ont pu faire à Nîmes et dans Avignon.

Qui pourrait douter de cette fatale influence-exercée sur les témoignages, lorsqu’on voit, d’une part, le sieur Dusquet, maire de Suze, déposer, dans l’instruction, qu’il était présent au procès verbal de suicide, et que lorsqu’on déposa du pistolet prétendu arraché par le maréchal, un Monsieur fit signe, à celui qui déposait, de ne plus rien dire; et d’un autre côté, le sieur Mailli-Fort, qui, en 1815, était soldat dans la première compagnie du régiment Royal-Louis, entendu dans l’information de Marseille, déposer «qu’en descendant de la chambre du

«maréchal, lui témoin, dit qu’il avait été tué ; et

«qu’aussitôt un officier lui ordonna de dire qu’il

«s’était tué lui-même; et que, s’il disait le contraire,

«il le ferait mettre pour quinze jours en prison.»

Toutefois, et malgré ces manœuvres, l’instruction est concluante contre l’accusé.

La clameur publique le désigne hautement.

Mainier a dit à deux témoins dignes de foi qu’il avait vu Roquefort tirer le coup de carabine qui a tué le maréchal.

D’autres témoins signalent également ce portefaix comme l’auteur de l’assassinat.

D’autres enfin, sans désigner l’assassin par son nom, donnent de sa personne un signalement conforme à celui indiqué par ceux qui l’ont vu; ils affirment d’ailleurs qu’ils ont assez bien remarqué l’assassin pour le reconnaître s’il leur était représenté.

Là, je ne vois qu’une adroite réticence des témoins pour se mettre à l’abri de la rage d’un homme qu’ils savaient n’être point encore arrêté : c’est un appel à la justice; c’est lui dire: Faites saisir le coupable; mettez-le sur je banc des accusés; qu’il soit hors d’état de nous nuire, et nous le reconnaîtrons.

D’ailleurs, est-il donc nécessaire que les témoins désignent par son nom l’individu auquel ils ont vu commettre un crime? Ne suffit-il pas qu’ils le reconnaissent à la confrontation?

Mais si l’accusé lui-même a rendu cette confrontation impossible; s’il a eu l’adresse de se soustraire aux recherches de l’autorité ; poussera-t-on la complaisance jusqu’à l’absoudre d’office, parce qu’il aura lui-même, par sa contumace, privé la justice du moyen le plus efficace qu’elle eût de le convaincre, celui de le mettre en présence des témoins de son crime?

(Ici, Me Dupin fait sentir la différence qui existe entre un arrêt qui décide qu’il n’y a pas lieu à accusation, et l’arrêt qui statue définitivement sur l’accusation elle-même. Le premier n’empêche pas qu’on ne reprenne l’individu, s’il survient de nouvelles charges; le second le libère d’une manière absolue, et empêche qu’il ne puisse désormais être poursuivi pour le même fait).

Si donc il était possible de supposer que Roquefort fût acquitté, vous assureriez l’impunité du crime; vous priveriez pour toujours la justice de la possibilité d’atteindre le coupable et de le punir, lors même qu’étant arrêté, il serait reconnu par tous les témoins de son forfait.

Ainsi tout l’honneur qu’on a voulu attribuer à la cour de Riom serait reporté à Nîmes; ainsi la Cour de Cassation aurait eu tort de déplacer le siège du procès. A Nîmes, en effet, au sein des passions les plus vives, des haines les plus fortes, de l’esprit de parti le plus violent, on n’a cependant douté ni du crime, ni de l’assassin; et à Riom, on l’acquitterait par contumace! sa résistance aux ordres de la justice deviendrait la cause de son salut!

Le supposer serait faire injure à la cour.

Non, messieurs, vous rassemblerez tous les témoignages, vous pèserez l’ensemble des preuves, et vous demeurerez convaincus qu’il y a eu assassinat, et que Roquefort en est le détestable auteur.

Prononcez donc, magistrats, prononcez. Que votre arrêt devienne la justification du gouvernement, auquel on a si long-temps reproché son inertie; qu’il rassure les bons citoyens; qu’il soit la terreur des coupables; qu’il porte l’effroi dans l’âme du monstre qui a commis le crime; qu’il trouble, au sein même de leur prospérité, les hommes non moins pervers qui l’ont commandé !

Qu’ils songent au mal affreux qu’ils ont fait! Ah! Messieurs, en étudiant la douleur de mon infortunée cliente, j’ai souvent entendu sa plainte et recueilli les expressions de son désespoir, à une époque où toute espérance d’obtenir justice semblait anéantie. Malheur! s’écriait-elle quelquefois dans l’amertume de son cœur, malheur aux assassins de mon époux! Je leur souhaite tous les maux qu’ils m’ont faits: s’ils sont époux, qu’ils perdent leurs épouses; s’ils sont pères, qu’ils perdent leurs enfans; qu’ils perdent tout ce qui leur est cher! et quand ils auront tout perdu, lorsqu’ils auront eux-mêmes un pied dans la tombe, que la grande et vénérable image de mon époux leur apparaisse; qu’elle tire leur drap mortuaire, et leur dise: Venez avec moi; vous m’avez précipité dans l’éternité, je vous y traîne à mon tour; venez devant Dieu: qu’il juge enfin entre les bourreaux et la victime!!

Et puis, revenant presque aussitôt à des sentimens plus calmes, elle se disait: Mais non; justice me sera faite même en ce monde: l’esprit de parti ne peut pas triompher éternellement de ma juste douleur. L’impunité ne saurait être constamment la sauvegarde du crime. Les gouvernemens sont établis pour le punir, et non pour le couvrir de leur égide; les magistrats sont institués pour le poursuivre, et non pour le protéger. La justice des hommes ne peut me rendre le bonheur; mais elle me rendra la paix, qui suit toujours l’accomplissement, quelque pénible qu’il soit, d’un grand devoir. Eh bien! j’irai; oui, j’irai partout demander cette justice aux juges qu’on m’aura donnés. Ils verront ma douleur, mes larmes, mon désespoir: quels qu’ils soient, ils en seront touchés; ils ne résisteront pas à l’évidence des preuves: un arrêt solennel condamnera les assassins du maréchal; un arrêt solennel affranchira la gloire de mon époux de l’odieuse et lâche imputation de suicide: cet arrêt, je le déposerai dans sa tombe, au jour des funérailles, à côté de ses restes chéris!!

ARRÊT.

LA COUR, vu, etc., etc.;

Ouï Marie, avoué de madame la maréchale Brune, qui a conclu à ce qu’il plût à la cour déclarer que le nommé Guindon, dit Roquefort, coupable d’assassinat sur la personne du maréchal Brune, sauf à monsieur le procureur-général à prendre, pour la vindicte publique, les conclusions qu’il avisera;

Et, statuant sur l’intérêt civil, autoriser madame la maréchale Brune, partie plaignante, en vertu de l’arrêt à intervenir, et sans qu’il en soit besoin d’autre, à faire procéder à la rectification de tous actes de décès, portés sur les registres de l’état civil, ou autres, où la mort du maréchal Brune serait attribuée à un suicide;

Donner acte, au surplus, à madame la maréchale Brune de ce que son intention n’ayant jamais été que de poursuivre la vengeance légale du crime et de l’outrage fait à la mémoire du maréchal, par l’imputation de suicide, elle ne réclame ni dommages-intérêts, ni dépens;

Ouï Dupin, avocat de madame la maréchale, en sa plaidoirie;

Ouï le procureur-général en son réquisitoire, tendant, etc.;

Reconnaît et déclare N..... Guindon, dit Roquefort, portefaix, habitant à Avignon, atteint et convaincu des faits énoncés au résumé de l’acte d’accusation, et avec toutes les circonstances comprises dans ledit résumé ;

En conséquence, attendu qu’il est constant, au procès, que le maréchal Brune a été assassiné ; que la vérification du cadavre, la nature de la blessure qui a procuré la mort, et qui a eu lieu par derrière et à bout portant, exclut toute idée de suicide;

Attendu que le procès verbal du 2 août 1815 est absolument en contradiction avec la déclaration des gens de l’art, sur l’état de la blessure reconnue par tous;

Attendu qu’il est prouvé que Guindon, dit Roquefort, a fait partie du rassemblement formé autour de la maison occupée par le maréchal, et qu’il s’est présenté au peuple, en lui annonçant qu’il avait cessé de vivre;

Attendu que Guindon, dit Roquefort, est désigné dans les informations, pour avoir tiré le coup d’arme à feu qui a donné la mort au maréchal Brune;

LA COUR déclare le nommé Guindon, dit Roquefort, coupable d’avoir, dans la journée du 2 août 1815, fait partie d’une réunion de plus de vingt personnes armées en rébellion, par attaque et résistance avec violences et voies de fait envers la force publique, et officiers et agens de police administrative et judiciaire agissant pour l’exécution des lois, des ordres ou ordonnances de l’autorité publique;

Le déclare également coupable d’avoir, volontairement et avec préméditation, donné la mort au maréchal Brune;

Attendu que ces faits constituent des crimes prévus par les articles 209, 210, 216, 296 et 302 du Code pénal, et 472 du Code d’instruction criminelle, dont la lecture a été faite publiquement par M. le président, et qui sont ainsi conçus, etc., etc.;

LA COUR condamne N..... Guindon, dit Roquefort, portefaix, domicilié à Avignon, à la peine de mort;

Et, attendu sa contumace, ordonne que extrait du présent arrêt sera, dans les trois jours, à la diligence du procureur général ou de son substitut, affiché, par l’exécuteur des jugemens criminels, à un poteau qui sera planté au milieu d’une des places publiques d’Avignon, où le crime a été commis;

ORDONNE que les frais faits pour parvenir à la répression du crime seront pris et prélevés sur les biens dudit Guindon.

FAISANT DROIT sur la demande de la maréchale Brune, partie civile,

LA COUR, sans s’arrêter au procès-verbal du 2 août 1815, l’autorise a faire procéder à la rectification de tous actes de décès portés sur les registres de l’état civil, ou autres, où la mort du maréchal Brune serait attribuée à un suicide; lui donne acte de ce qu’elle ne réclame ni dommages-intérêts civils ni dépens.

FAISANT DROIT sur le réquisitoire du procureur-général, et vu l’article 157 du décret du 18 juin 1811, ainsi conçu, etc.;

LA COUR ordonne que la maréchale Brune sera tenue d’avancer les frais et dépens de la procédure, sauf son recours contre le condamné.

ORDONNE que le présent arrêt sera imprimé, affiché, etc.

FAIT, jugé et prononcé publiquement, à l’audience de la cour d’assises du département du Puy-de-Dôme, du vingt-cinq février mil huit cent vingt-un, siégeant messieurs Sou-TEYRAN, conseiller en la cour royale de Riom, président; LANDOIS; TOUTTÉE; GISCLON, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis; DESRIBES, officier de l’ordre royal de la légion d’honneur, aussi conseillers, tous membres de ladite cour d’assises, lesquels ont signé.

A la fin du PROCÈS imprimé à Riom, on trouve la note ci-après, que nous avons cru bon de reproduire ici:

«Les Mémoires historiques de madame de Lamballe, publiés par madame Guénard, baronne de Méré, 4e édition, tome 2, pages 328, 329 et 330, font connaître les détails de l’horrible assassinat commis sur cette princesse. Ils désignent en même temps Charlat et Grison, comme ayant porté, l’un la tête, et l’autre le cœur de cette illustre infortunée.

«On y lira que le premier, pour se soustraire aux poursuites, s’étant rendu à l’armée, inspira tant d’horreur à ses camarades, qu’ils le massacrèrent.

«Le second, convaincu d’avoir coupé la tête à cette intéressante victime, fut par la suite condamné à mort, et exécuté à Troyes, département de l’Aube.

Choix des plaidoyers et mémoires de M. Dupin aîné

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