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SUR M. A.-M.-J.-J. DUPIN.

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ANDRÉ-MARJE-JEAN-JACQUES DUPIN, est né à Varzy, dans le Nivernais, le 1er février 1783. Destiné à la profession d’avocat, dès sa première jeunesse, par les espérances de sa famille, il y fut préparé par son père, et trouva, dans cet enseignement domestique, des secours qu’il eût cherchés en vain dans des écoles depuis long-temps fermées. Ces écoles se rouvrirent en 1802. M. Dupin y accourut: il y soutint la première thèse de doctorat qui ait marqué le rétablissement des études publiques. Une exception motivée par la nouveauté de cette solennité académique, et peut-être aussi par la réputation naissante du jeune candidat, déféra la présidence de cette thèse à M. Treilhard, étranger à l’école, mais si digne d’y être appelé comme protecteur et comme modèle, bien plus encore par son talent de jurisconsulte, que par sa dignité de ministre.

Au sortir de l’École de Droit, M. Dupin entra au barreau. Pendant qu’il y préparait par la sage et patiente obscurité de ses débuts l’éclat des succès que lui réservait l’avenir, divers ouvrages, publiés dans un assez court intervalle, attestaient l’assiduité de ses études, et en répandaient les fruits. Ses Principes de droit civil méritèrent les suffrages de MM. Merlin, Daniels et Lanjuinais: noble récompense et heureux présage tout ensemble!

En 18 10, un concours s’ouvrit à l’École de Droit de Paris, pour une chaire de professeur. Avocat déjà cité, et jurisconsulte qui avait fourni ses titres, M. Dupin croyait y avoir des droits; il les fit valoir: un autre fut plus heureux. M. Merlin, alors procureur-général à la Cour de cassation, réclama pour son parquet un talent que l’Ecole de Droit avait méconnu. Mais cette présentation, faite à l’insu de M. Dupin, ne réussit pas: un candidat, appuyé par M. de Fontanes, fut préféré : dans la nomination d’un avocat-général, le suffrage d’un littérateur l’emporta sur celui d’un jurisconsulte. Peut-être cette double exclusion trouverait-elle son explication dans un chapitre du précis historique du droit romain, où la critique des usurpations législatives d’Auguste présentait une allusion trop claire aux envahissemens progressifs des décrets impériaux sur le domaine des lois.

La rédaction d’un travail important, à laquelle l’érudition de M. Dupin parut nécessaire, le réconcilia avec le pouvoir. On avait senti la nécessité de dégager le volumineux recueil de nos lois de celles qui se trouvaient abolies, soit par une abrogation expresse, soit par une désuétude précipitée. Une commission, nommée en 1813, fut chargée de ce soin; M. Dupin y fut adjoint comme rapporteur. A la restauration, cette commission fut dissoute; mais le bienfait de son institution n’a pas été perdu; les matériaux que M. Dupin avait recueillis ont été publiés plus tard, sous l’autorité de M. le garde-des-sceaux .

Les événemens de 1815 appelèrent M. Dupin sur un plus vaste théâtre. Député à la chambre des représentons par un collége électoral du département de la Nièvre, il prit part à presque toutes les discussions qui signalèrent l’existence de cette assemblée. Il prononça contre le serment, qu’un décret impérial avait imposé à la Chambre, une opinion, premier signal de résistance à un despotisme renaissant, et à laquelle madame de Staël avait promis un éloge dans la partie de son ouvrage que sa mort prématurée a laissée imparfaite. Il obtint la nomination d’un comité chargé de coordonner les diverses constitutions qui ont régi la France, il pressa, de tous ses efforts, l’abdication de Napoléon, et se prononça hautement contre l’avis de ceux qui voulaient proclamer Napoléon II comme héritier légitime de l’empire.

La seconde restauration s’accomplit. M. Dupin, nommé président du collége électoral de Château-Chinon (Nièvre), fut porté à la canditature par deux collèges d’arrondissement; d’autres candidats lui furent préférés par le collége de département. Il rentra dans la vie privée, mais sa vie ne fut pas oisive; consacrée à de nouveaux combats, elle fut honorée par de nouveaux succès.

Les symptômes d’une réaction politique éclataient de toutes parts. Une ordonnance du 24 juillet, contre-signée par un ministre qui ne tarda pas à être proscrit à son tour, avait dénoncé les principaux auteurs de la révolution qui venait d’être vaincue. On assemblait les conseils de guerre, on convoquait les cours d’assises. Déjà-plusieurs accusés n’avaient point trouvé de défenseurs. Des avocats pusillanimes avaient reculé soit devant leurs dissentimens politiques, soit devant l’injustice des passions populaires, qui accusaient la défense même et la traitaient de complicité. M. Dupin fit entendre la voix de la raison et du devoir: il proclama LA LIBRE DÉFENDE DES ACCUSÉS. C’était accepter d’avance le patronage de toutes les infortunes; c’était une promesse de cou rage et de talent.

Le maréchal Ney revendiqua le premier cette promesse. Avec lui était traduit à la barre le 20 mars tout entier; l’armée se soulevant à une voix si long-temps connue; ses chefs trop mal affermis par un devoir récent contre les habitudes d’une vieille obéissance; la France étonnée et non pas conquise, prise au dépourvu, pour ainsi dire, par un événement soudain et passager comme un orage. C’était une pensée étrange de renfermer cet immense procès dans l’étroite enceinte d’un conseil de guerre, et de juger comme une insubordination militaire une révolution qui avait armé l’Europe.

M. Dupin réclama pour l’illustre accusé les garanties d’une juridiction plus élevée, plus nombreuse, plus indépendante. Les principes de notre ancien droit public, les monumens de notre histoire, les lui avaient promises: l’ombre de Biron fut évoquée pour assurer du moins au triste imitateur de sa vie la solennité de sa mort. Ces premiers efforts furent heureux: le procès du maréchal Ney s’ouvrit devant la Chambre des Pairs.

La France n’oubliera point ce procès; ces débats, prolongés, mais sans espérance; cette accusation que la certitude du succès eût dû rendre moins impatiente de l’obtenir; cette défense mutilée exhalant ses derniers soupirs en protestations inutiles; l’Europe en vain sollicitée de faire parler la sainteté de ses traités avec l’autorité de ses services; cette condamnation douloureuse que ne put repousser le vote courageux du duc de Broglie; cette grande âme, enfin, surprise et vaincue par des événemens plus puissans que son courage, mais qui, un moment éperdue au milieu de tant de hazards, de passions et de dangers, se retrouva tout entière en présence de la mort! La défense du maréchal ne sera pas non plus oubliée ; son honneur plus heureusement défendu que sa vie, et les calculs de la trahison repoussés avec plus d’horreur que les égaremens de la révolte; cette révolte même expliquée par une situation sans exemple, qui mettait aux prises un homme et une révolution. «Accusateur, s’é-

«criait Me Dupin, vous voulez placer sa tête sous la «foudre, et nous, nous voulons montrer comment «l’orage s’est formé !» Confiance généreuse, qui croyait, comme Franklin, que pour conjurer l’orage, il suffisait de l’expliquer!

Ney venait de périr. On dressait l’échafaud de Lavalette. Sa femme, renouvelant un pieux artifice, que sa tendresse était digne d’inventer, rompit ses fers et substitua sa tête innocente à une tête condamnée. Échappé à sa prison, mais non pas à la mort, Lavalette retrouvait, à chaque pas, pour ainsi dire, l’appareil de son supplice: il fallait fuir. Trois Anglais, dont l’humanité reconnaissante conservera les noms, Bruce, Wilson et Hutchinson se dévouèrent au salut de cet homme, recommandé à leurs yeux par ses seuls dangers. Ils le sauvèrent. Les lois se crurent blessées: l’infidélité d’un domestique leur dénonça les auteurs de ce crime de la pitié. Ils furent traduits devant les tribunaux: réservé dès lors à toutes les solennités du patriotisme et du talent, M. Dupin fut chargé de leur défense.

Il était difficile peut-être de recommander cette défense à la bienveillance publique. L’Angleterre subissait alors parmi nous, avec la défaveur des inimitiés héréditaires, la défaveur récente et inusitée de ses victoires. On pouvait craindre le souvenir de Wa terloo. M. Dupin fit taire les préjugés nationaux en présence de l’héroïsme et du malheur; il fit un appel à la générosité française: cet appel fut entendu. La défense fut libre et populaire; mais ce fut son unique succès: les trois Anglais furent condamnés. Les lois l’exigeaient, sans doute. Peut-être un jury anglais n’en eût pas été effrayé : la souveraineté de ses verdicts commande quelquefois aux lois mêmes. Tous excusent, tous honorent ces mensonges de l’humanité : l’oracle de leur jurisprudence les a nommés de pieux parjures .

Un Anglais célèbre fournit bientôt à M. Dupin l’occasion de donner une revanche à la malice française. Un coup de pistolet fut tiré sur la voiture de lord Wellington: les perquisitions les plus exactes ne purent faire retrouver la balle. Il était injurieux de penser que ce noble personnage eût été l’objet d’une espiéglerie innocente, ou le héros d’une intrigue coupable: il était de son importance et de son honneur qu’il eût été assassiné. Après quinze mois d’une procédure inutile, deux hommes parurent devant la Cour d’assises, absous avant d’avoir été entendus. Ce n’était point un débat: l’accusation demandait grâce; les accusés n’avaient pas besoin d’être défendus, mais vengés. Cette vengeance fut douce, des sarcasmes en firent les frais. C’était le temps où l’armée d’occupation évacuait notre territoire. M. Dupin reconduisit son général avec des épigrammes . On ne pouvait commenter plus gaiement le mot de Henri IV: Adieu, Messieurs; mais n’y revenez plus!

Des jours plus doux luisaient alors sur la France. Les erreurs se réparaient, les sévérités étaient adoucies. Le dernier des proscrits de 1815, le duc de Rovigo, errant depuis long-temps en Europe, trompa la surveillance diplomatique qui l’exilait loin de ses juges: il entra de surprise dans sa prison. Il parut devant les tribunaux. Le défenseur du premier nom inscrit sur la liste du 14 juillet, défendit aussi le dernier. Mais si c’était la même accusation, ce ne fut pas le même jugement. Condamné à mort à l’unanimité par un conseil de guerre en 1815, le duc de Rovigo fut unanimement acquitté parmi conseil de guerre en 1819.

Après avoir défendu l’honneur des vivans, M. Dupin eut encore à venger la mémoire des morts. Le maréchal Brune était tombé sous les coups d’un rassemblement populaire. Ses meurtriers cherchèrent un prétexte à l’impunité que ne leur assurait que trop la stupeur publique: ils accusèrent Brune de suicide, et placèrent ainsi l’assassinat sous la sauve-garde de la calomnie. L’indignation de sa veuve fut long-temps stérile; la justice refusait d’accueillir des plaintes qu’elle ne pouvait satisfaire, et de donner en spectacle son impuissance. En 1819, M. de Serre déchira le voile qui couvrait tant de crimes et de faiblesse. Cette accusation du passé était une garantie pour l’avenir: la maréchale Brune fit entendre au pied du trône les accens d’une éloquente douleur. Après une longue impunité, une instruction fut commencée; un coupable obscur y fut seul compris, et n’eut pas besoin de fuir pour se dérober au supplice. Un grand acte de justice n’en fut pas moins accompli; l’esprit de parti fut obligé de reconnaître une de ses victimes, et d’avouer une de ses fureurs. Le défenseur du maréchal Ney plaida pour le maréchal Brune, attachant ainsi glorieusement son nom à l’infortune de l’un, et à la vengeance tardive offerte aux mânes de l’autre.

Ainsi disparaissaient les derniers vestiges de nos discordes récentes. Rendue à des temps plus calmes et à des soins plus heureux, la France poursuivait avec ardeur la pacifique conquête de ses libertés. La première de toutes, la liberté de la presse, dut rencontrer bien des obstacles; mais ces obstacles étaient utiles: en ralentissant sa marche, ils régularisaient ses progrès. Souvent traduite devant les tribunaux, la liberté de la presse eut besoin de revendiquer ses droits et de produire ses titres. Le barreau se peupla pour elle de défenseurs: à leur tête se place M. Dupin. Jet-tons un coup d’œil sur cette partie de ses travaux.

Dans l’affaire de Lyon, en traçant le tableau des malheurs qui avaient désolé cette belle contrée, il retrouva l’indignation, et quelquefois aussi l’éloquence qui foudroya les supplices de Verrès. Dans l’affaire du professeur Bavoux, adoptant l’usage du barreau anglais, il plaça la discussion dans le débat; et le plaidoyer, inutile à une cause déjà gagnée, ne fut plus, pour ainsi dire, que la proclamation anticipée de la victoire. Le plaidoyer pour Me Mérilhou, l’un des signataires de la souscription nationale, se recommande aux membres d’un Ordre plus attaché à sa discipline qu’à son indépendance, plus fier de ses devoirs que de ses droits. C’est le portrait de l’avocat dans toute sa noblesse; c’est celui du défenseur ou du client. La défense de M. Jouy présentait un écueil redoutable. Il avait dénoncé ceux qui, en 1793, livrèrent Toulon aux Anglais: la mairie de Toulon réclamant l’offense pour elle, et en poursuivant la réparation, colora la trahison du prétexte ou de l’excuse de la fidélité. M. Dupin justifia avec beaucoup d’adresse l’indignation de son client; il mit la légitimité hors de cause, et ne plaida que contre l’étranger, conciliant ainsi les souvenirs de l’émigration et les droits de la France. Le banc des accusés, ennobli par un académicien, fut bientôt sanctifié par un archevêque, M. de Pradt fut traduit à la Cour d’assises. Une accusation ingénieuse ( triste éloge pour une accusation!) avait trouvé dans un de ses ouvrages ce qu’elle appelait des provocations coupables. Elle s’étayait sur des citations isolées, des passages mutilés, des rapprochemens moins naturels qu’habiles, des intentions désavouées avec énergie. C’était le système interprétatif avec ses armes accoutumées; la raison le combattit avec toute sa puissance. Cette fois, du moins, il fut vaincu.

La défense du Miroir exigeait des accens moins graves. Appelé à une réfutation légère et moqueuse d’une accusation qu’il fallait châtier plus encore que combattre, M. Dupin n’avait qu’à suivre une des prédilections de son esprit. La censure pesait sur les journaux politiques; les journaux littéraires avaient été épargnés: de vieilles idées sur la frivolité de la littérature lui avaient valu cette indulgence dédaigneuse. C’était méconnaître son importance. Mobile et perfectible comme la société dont elle réfléchit l’image, elle reproduit tour à tour les passions et les idées qui règnent dans le siècle qu’elle embellit. Poétique sous Louis XIV, elle apporta ses pompes en tribut à ses fêtes. Railleuse et sceptique sous Louis XV, elle devint l’instrument d’une philosophie qui prenait le doute pour la profondeur, et se croyait supérieure parce qu’elle était indifférente. Elle est politique de nos jours; elle l’est à son insu, et souvent malgré elle. Il ne lui suffirait pas de s’isoler des préoccupations qui nous assiègent; les besoins et l’inquiétude de notre esprit l’y ramèneraient sans cesse: pourrait-elle échapper aux allusions? Les allusions étaient le crime du Miroir. S’il était coupable, ses lecteurs étaient ses complices; fallait-il punir un délit universel? Les juges n’hésitèrent pas à l’absoudre, heureux peut-être que les auteurs de tant d’épigrammes fissent plaider qu’elles étaient innocentes: plus heureux ceux qu’elles avaient blessés, s’ils avaient pu le croire!

Le procès des refrains séditieux suivit de près celui des allusions politiques. Un homme, à qui l’admiration publique a fait une destinée au-dessus de son espérance, mais non pas de son talent, M. de Béranger vint expier à la Cour d’assises la célébrité de ses chansons. La gaieté satirique de ses couplets passa tout entière dans les paroles de son défenseur. Ce n’est pas la première inspiration que Thémis doive aux Muses: Cicéron était poëte en plaidant pour Archias.

La défense récente de MM. Jay et Jouy termine la carrière de M. Dupin. Lorsque les condamnés subissent leur peine, ce n’est pas le moment de parler de la condamnation. Cette sévérité inattendue ne saurait, toutefois, nous rendre injustes envers la Cour qui l’a jugée nécessaire. N’a-t-elle pas, tout récemment encore, noblement revendiqué son indépendance? Pressée des sollicitations du pouvoir, n’en a-t-elle pas repoussé l’injure? La Cour rend des arrêts et non pas des services. C’est une parole parlementaire. Parmi les Mole ou les de Harlai, qui ne voudrait l’avoir prononcée?..... mais qui voudrait l’avoir entendue?

Après avoir parcouru les titres nombreux sur lesquels se fonde la réputation de M. Dupin , si nous voulions caractériser son talent, en expliquer l’influence et en définir les limites, nos éloges et nos critiques se résumeraient dans une seule parole: M. Dupin est orateur. Destiné à remuer un auditoire par des moyens rapides et des communications passagères, l’orateur est soumis à des conditions favorables à sa puissance, mais ennemies de sa perfection. L’écrivain s’adresse à des lecteurs; une attention sérieuse lui est promise. Repoussées ou méconnues, ses idées peuvent se reproduire: elles appellent du préjugé à l’examen, et du présent à l’avenir. La nécessité d’une victoire actuelle ne leur est pas imposée; elles peuvent ajourner le succès: le temps et leur propre vérité le leur assurent. Telle n’est pas l’indépendance de l’orateur: il est à la fois le maître et l’esclave de son auditoire; il lui prend ses passions pour l’émouvoir, et ses idées pour le convaincre: c’est sa force et sa faiblesse. Il se soumet à ses erreurs, il se circonscrit dans son ignorance: ses efforts ne peuvent pas attendre; une heure est son avenir.

L’orateur est, auprès de la multitude, l’interprète de la philosophie; il lui apporte ses lumières, il lui explique ses oracles. Les idées, livrées à leur seule influence, ne se répandent qu’avec lenteur. Long-temps ignorées, plus long-temps méconnues, elles sont d’abord le patrimoine privilégié des esprits curieux et méditatifs qui les ont découvertes. Elles s’efforcent de descendre des hauteurs où elles sont nées; elles aspirent à devenir populaires, et à former, même aux dépens de leur pureté primitive, l’opinion publique, cette conviction universelle et irréfléchie, pour qui l’erreur et la vérité sont également des préjugés. La puissance de l’orateur est de hâter cette transmission des idées. Il les reçoit et les communique; il leur donne l’intérêt d’un fait, la vivacité d’une passion, l’autorité d’une croyance. Il fait leur notoriété, elles font sa force et sa gloire: c’est un échange de bienfaits. Erskine a combattu pour le jury; la victoire a illustré son nom: mais il n’avait pas forgé ses armes; à peine les a-t-il retrempées. Je ne médis pas de la parole, son partage est assez beau: elle ne découvre pas la vérité, mais elle donne la puissance. Comparez le sort de Démosthène et d’Aristote. Les philosophes ont élevé des rois, les orateurs ont gouverné le monde.

L’orateur a son éloquence propre: comme elle s’adresse au public, elle a plus de saillie que de profondeur, plus de mouvement que de nouveauté ; elle est convaincue et passionnée: le public ne se donne qu’à ce prix. Tout entière aux intérêts qui l’animent, et à l’émotion qui l’entraîne, elle n’a pas un moment pour les artifices du style et pour cette science de la parole où triomphent les rhéteurs. Elle dédaigne de plaire: que lui importe un succès qui n’est pas une victoire? Ces caractères de l’éloquence oratoire se retrouvent dans les discours de M. Dupin: toutefois, ceux que nous avons rassemblés ne peuvent en offrir qu’une image incomplète. Tous sont dépouillés du prestige de la parole publique, et de l’intérêt du moment. Il faudrait, pour en comprendre la puissance, retrouver dans une lecture solitaire, les émotions contemporaines qui ont fait palpiter les auditeurs. Quelques-uns même de ces discours ne nous ont été conservés que par une analyse rapide; ce ne sont que les traces d’une brillante carrière: mais ces traces sont fortement empreintes; l’éloquence a passé par-là.

Nous avons réuni aux plaidoyers de M. Dupin ceux qui ont commencé la réputation de son frère : la fraternité du talent leur assignait aussi cette place. Rapproché de leur jeune auteur par une amitié plus égale, j’éprouverais quelque pudeur à le louer. Qu’un mot suffise à son éloge: il croît dans la ressemblance de son frère.

S. DUMON, avocat.

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