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REQUÊTE AU ROI.

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Le scandale est dans le crime; il n’est pas dans la plainte; il n’est pas dans le cri du sang injustement répandu. ( Discours du garde-des-sceaux à la chambre des députés, séance du 24 mars 1819.)

SIRE,

Puisque toute justice émane du Roi, c’est au Roi que je demande justice.

Un horrible attentat a été commis sous le règne de VOTRE MAJESTÉ. Un des grands officiers de la couronne, un maréchal de France a été lâchement assassiné ; et depuis près de quatre ans, ce crime, si public, si notoire, si révoltant, n’a pas été puni.

On s’étonnerait de cette impunité, et l’on accuserait mon propre silence, si l’on ne savait aujourd’hui que, pendant tout ce temps, il n’était pas possible d’obtenir justice de l’esprit de parti.

Les débats récemment élevés au sein de la chambre des députés ont amené des révélations trop nécessaires.

«Je citerai peu de faits (a dit un ministre, ami de la justice dont il est le chef); je citerai peu de faits, mais marquans, mais notoires: je les citerai sans reflexions.

«Le général commandant à Nîmes, au milieu d’une sédition, protégeait de sa personne et de son épée l’ordre public et les citoyens. Il est frappé d’un coup de feu dans la poitrine, tiré à bout portant. L’auteur du crime est saisi; le fait est certain, avoué. Le juge pose cette question: L’homicide a-t-il été commis dans le cas d’une légitime défense? Le jury répond affirmativement, et l’accusé est acquitté !

«Un autre général, commandant à Toulouse, veut appaiser une émeute, et reçoit une dangereuse blessure. Il est porté dans son domicile: ses assassins y pénètrent, et le déchirent, tout vivant, de mille coups. Ils sont mis en jugement; on allègue en leur faveur qu’ils n’ont pu donner la mort à un homme blessé déjà d’un coup mortel, et deux d’entre eux sont condamnés seulement à la réclusion!

«Un homme, dont l’horrible surnom coûte à prononcer, Trestaillon, et ses coprévenus, sont poursuivis comme auteurs de plusieurs assassinats: ils sont traduits à Riom, où l’on espérait une justice plus indépendante. Il a été impossible d’obtenir la déposition d’un seul témoin contre eux; la terreur les avait glacés. Quant aux témoins à décharge, il s’en présentait sans nombre. Faute de preuves, ces prévenus ont été rendus à la liberté.»

Ces faits ont excité au plus haut dégré l’indignation dans l’assemblée; les hommes même du côté droit se sont écriés: «S’il y a eu des assassinats, ils doivent être punis.»

Eh bien! qu’ils le soient donc, puisque l’heure de la justice est venue! qu’ils le soient enfin! c’est le vœu de mon âme, c’est le cri de mon cœur déchiré par les plus cruels et les plus douloureux souvenirs!

Il me conviendrait peu d’entrer dans le détail des scènes affreuses qui ont accompagné le meurtre de mon époux; de généreux écrivains ont déjà pris le soin d’en vouer le récit à l’exécration publique.

Pour moi, je ne veux, je ne puis signaler que le crime auquel je dois mon malheur et mon deuil.

La vie militaire du maréchal Brune est connue; l’héroïsme de ses actions n’a pu être égalé que par la franchise et la loyauté de son caractère.

En acceptant en 1815 le commandement du Var, ce général n’avait cédé qu’au désir de défendre le territoire français contre l’étranger: il a préservé Toulon des Anglais.

Dans son administration intérieure, il ne s’était appliqué qu’à prévenir ou apaiser les discordes civiles.

Méritait-il donc de périr victime de la plus odieuse réaction?

Il venait d’être remplacé dans son commandement par le marquis de Rivière; il reçut en même temps l’ordre du roi de se rendre à Paris.

Avant son départ, il prit soin de calmer l’effervescence qui régnait parmi les soldats; il les désarma par ce peu de mots: «Amis! qu’on ne puisse pas dire «de nous que l’étendard de la gloire est devenu «celui de la révolte.»

Bientôt il partit pour Paris: des rassemblemens de paysans armés en avant d’Aix, des cris à bas les brigands! vivent les alliés! semblaient lui présager le sort funeste qui l’attendait.

Mais par suite de cette même fatalité qui lui avait fait rejeter le conseil de s’embarquer à Toulon, ou plutôt par un effet de cette noble confiance trop ordinaire aux cœurs généreux, il méprisa ces clameurs, renvoya même son escorte, et poursuivit sa route par Avignon.

Aux portes de la ville, on lui demande ses passe-ports: il exhibe celui qu’il tenait du marquis de Rivière; on ne peut s’empêcher de le trouver en règle; mais, malgré l’éminence de la dignité dont il est revêtu, on arrête sa voiture, sous prétexte d’un visa qu’il faut, dit-on, obtenir du commandant d’armes.

Il fut bien imprudent, s’il ne fut pas coupable, l’officier du poste, qui sut consacrer à l’accomplissement de cette formalité superflue, tout le temps nécessaire pour organiser le rassemblement qui bientôt rendit le départ du maréchal impossible!

Sa voiture, retenue jusque-là par la garde, est tout à coup investie d’une multitude considérable d’ouvriers, de gens du port, et de ces misérables qui, dans tous les temps, sont au service de tous les partis et de toutes les passions. Plusieurs étaient en armes; les calomnies circulent, le tumulte s’accroît; les cris de mort se font entendre: le maréchal, séparé de ses aides-de-camp, n’a que le temps de se réfugier dans l’hôtel de la poste.

Le maître de cet hôtel est un homme plein d’honneur et d’humanité : il lutte avec courage contre les premiers assaillans; il les repousse: il ferme et barricade ses portes; il est secondé dans cette pieuse défense par le maire. Mais le nombre des bons citoyens est trop petit, celui des assassins trop grand: il faudra succomber.

Cerné de toutes parts, l’hôtel est forcé : les brigands, entrés par le toit des maisons voisines, pénètrent jusqu’au maréchal.

Ils le trouvent calme: il venait de commencer une lettre pour moi..... Que n’ai-je au moins reçu ses derniers adieux!...... On l’interrompt: il la déchire. Aussitôt il est atteint, percé de plusieurs coups; et celui que la mort avait respecté au milieu de tant de combats livrés pour la défense de la patrie tombe sous le plomb des assassins, dans son propre pays, en pleine paix, sous le gouvernement paternel de Votre Majesté !

S’ils avaient du moins respecté son cadavre!.... Mais, Sire, aurai-je la force d’achever? Leur brutalité n’était pas assouvie: les barbares! ils lui ont refusé la sépulture! et quand les eaux du fleuve l’eurent reporté sur la rive; quand, par les soins généreux de deux braves soldats, il eut été recouvert d’un peu de terre, les monstres sont encore survenus. Pleins d’une rage nouvelle, ils ont exhumé les déplorables restes de leur victime, et ont placé à quelque distance une garde.... Dans quel dessein?...... Avec l’affreuse consigne de ne laisser approcher que les animaux carnassiers!

Sire, j’en suis saisie d’horreur! mais n’est-il pas besoin que ce sentiment passe aussi dans l’âme de ceux que je dois intéresser à ma douleur?

En tout autre temps, le mot seul d’assassinat suffirait pour révolter les esprits: aujourd’hui, tant d’assassinats vulgaires sont demeurés impunis; la France est si déplorablement accoutumée aux récits multipliés des persécutions, des exils et des massacres, qu’il faut de l’atroce pour tirer la plupart des hommes de leur stupide indifférence, et réveiller en eux le sentiment d’une juste indignation pour le crime.

Celui que je dénonce est notoire, il est épouvantable: les feuilles publiques l’ont raconté, la tribune des députés en a retenti; pourquoi n’a-t-il donc été ni recherché, ni puni?

Que dis-je puni? Pourquoi, à l’insu de Votre Majesté, dans son propre palais, la mort du maréchal a-t-elle reçu une sorte de ratification? On a craint apparemment que son image, restée dans le salon des maréchanx, ne vous rappelât le forfait, et qu’en traversant cette salle pour aller prier le dieu qui protége la France, il ne vous vînt à l’idée de faire punir les coupables. Quoi qu’il en soit, le portrait du maréchal ne se voit plus à côté de celui de ses frères d’armes; mais il est dans toutes les imaginations.

Vous pouvez, Sire, m’accorder une première réparation; il dépend de vous de rendre ce tableau à la vénération publique.

Mais à quoi m’arrêtai-je? un autre soin m’occupe et m’absorbe tout entière.

Je demande justice, Sire;

Justice du meurtre de mon époux;

Justice de l’outrage fait à son cadavre;

Justice de l’insulte faite à sa mémoire par ceux qui ont osé l’accuser de suicide!

Cette justice, je la demande au Roi;

Je la demande à ses ministres;

Je la demande aux chambres;

Je la demande à la nation entière.

Je veux que du sein de toutes les âmes honnêtes s’échappe un même cri qui seconde le mien: Justice! justice!

Eh! comment ne l’obtiendrai-je pas, sous le règne d’un prince qui proclame, dans ses ordonnances, «que la justice fonde la sécurité des peuples et la

«véritable gloire des rois: la rendre à nos sujets

«(dites-vous) est le premier devoir et le plus beau

«privilége de notre puissance.»

Oui, SIRE, vos intentions ne sont pas douteuses; mais elles ne seraient pas accomplies, si VOTRE MAJESTÉ, en ordonnant que les assassins d’un de ses maréchaux soient poursuivis, laissait aux autorités locales le soin d’assurer la vengeance des lois.

Sans doute les habitans d’Avignon ne sont pas tous coupables du crime qui a souillé leur cité. Un grand nombre d’entre eux désirent, pour l’honneur de leur ville, que ceux qui l’ont ensanglantée soient sévèrement punis......

Mais il n’en est pas moins vrai, SIRE, que dans cette ville inhospitalière l’autorité des lois a été méprisée, la voix des magistrats a été méconnue. Les hommes de parti qui ont pu soulever la lie du peuple contre le maréchal exerceraient trop d’influence sur le jugement; les témoins n’oseraient parler; parmi les jurés pourraient se trouver des amis ou des complices des accusés; les tristes accens de ma plainte y seraient étouffés par les clameurs des factieux; et il en serait des assassins d’Avignon, comme des assassins de Nîmes et de Toulouse.

Il ne suffirait pas même d’indiquer une cour voisine. De Trestaillon n’a-t-il pas su inspirer à Riom la même terreur qu’à Nîmes?

C’est à Paris, dans la capitale du royaume, sous les yeux du gouvernement, que doit être poursuivi un crime dont la France entière a retenti.

Nos lois autorisent ces sortes d’évocations, et notre histoire en offre un antique et mémorable exemple.

En 1545, la dame de Cental ayant demandé au roi justice des massacres commis dans ces mêmes contrées sur les protestans, par ordre du président d’Oppède et de ses complices, Henri II ordonna que cette affaire serait portée au parlement de Paris. Elle y fut effectivement instruite et jugée.

A Paris, les hommes honnêtes ne seront pas intimidés: de nombreux témoins du crime accourront pour révéler la vérité ; ils nommeront les assassins et leurs complices: que ceux-ci tremblent! justice sera faite, et les monstres qui ont ensanglanté la France sous le règne du meilleur des rois, ne se vanteront plus de leur impunité.

Paris, ce 29 mars 1819.

MALE BRUNE.

Me DUPIN, aîné, avocat.

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