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CHAPITRE PREMIER

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Questions diverses sur la durée du mouvement, éternel ou créé. Si l’on nie l’éternité du mouvement, deux systèmes possibles : celui d’Anaxagore et celui d’Empédocle. - Hypothèse de l’éternité du mouvement ; difficultés résultant de cette hypothèse ; arguments en faveur de cette opinion. - Démocrite. Tous les philosophes ont admis que le temps est éternel. Platon seul a cru que le temps a été créé ; réfutation de cette opinion. Le mouvement est éternel comme le temps. Insuffisance du système d’Empédocle et même de celui d’Anaxagore. Ordre immuable de la nature ; Démocrite a tort de se borner à la simple observation des faits ; dans certains cas, on peut remonter jusqu’à la cause.

Le mouvement a-t-il commencé à un certain moment avant lequel il n’était pas ? Cessera-t-il un jour de même qu’il a commencé, de façon que rien ne doive plus se mouvoir ? Ou bien doit-on dire qu’il n’a point eu de commencement, et qu’il n’aura pas de fin ? Doit-on dire qu’il a toujours été et qu’il sera toujours immortel, indéfectible pour toutes choses, et comme une vie qui anime tous les êtres que la nature a formés ? Tous les philosophes qui ont étudié la nature ont admis l’existence du mouvement, parce qu’ils s’occupaient de la question de l’origine du monde, et que toutes leurs théories roulent sur la génération et la destruction des choses qui ne peuvent être si le mouvement, n’est pas. Quand on soutient que les mondes sont infinis et que les uns naissent tandis que les autres s’éteignent et périssent, on n’en admet pas moins l’existence éternelle du mouvement ; car les mondes ne peuvent naitre et périr qu’à la condition nécessaire du mouvement. Ceux même qui n’admettent qu’un seul monde ou qui supposent qu’il n’est pas éternel, font également sur l’existence du mouvement des hypothèses conformes à leur système. Lorsqu’on suppose qu’il y a eu un temps où il n’y avait point de mouvement d’aucun genre, il n’y a que deux manières nécessairement de comprendre cette opinion : ou bien comme Anaxagore, il faut dire que toutes les choses étant confondues et dans le repos durant un temps infini, c’est l’Intelligence qui leur a communiqué le mouvement, et les a ordonnées ; ou bien, comme Empédocle, il faut penser que les choses ont tantôt le mouvement et tantôt le repos ; le mouvement, quand de plusieurs choses l’Amour n’en fait qu’une, ou quand d’une seule la Discorde en fait plusieurs ; le repos, dans les intervalles de temps qui séparent l’action de l’Amour et de la Discorde. Voici les expressions même d’Empédocle : En sachant ramener leur foule à l’unité, Puis, quittant l’union pour la diversité, Ils vont sans que le temps ou les gène ou les presse ; Et comme en aucun d’eux le changement ne cesse, Dans ce cercle immuable ils se font éternels. quand il dit : « le changement ne cesse, » Empédocle veut exprimer sans doute que les êtres passent d’une forme à l’autre. Examinons ce qu’il en est réellement de ces problèmes ; car il importe de découvrir la vérité en ces matières, non pas seulement pour l’étude de la nature, mais en outre pour la science du principe premier des choses. Commençons tout d’abord ici en partant des définitions que nous avons posées antérieurement dans notre Physique. Nous disons donc que le mouvement est l’entéléchie, ou la réalisation du mobile en tant que mobile. Par une conséquence nécessaire, il faut supposer l’existence préalable des choses qui peuvent être mues selon une espèce quelconque de mouvement. Sans même s’arrêter à cette définition du mouvement, il n’est personne qui ne convienne que nécessairement ce qui peut être mu selon une des diverses espèces de mouvement doit, d’une manière générale, être capable d’être mu. Par exemple, il faut nécessairement que ce soit un objet susceptible d’altération qui s’altère, et que ce soit un objet qui peut changer de lieu qui subisse la translation dans l’espace, absolument comme il faut que le combustible existe avant qu’il n’y en ait combustion, et comme il faut que ce qui peut brûler existe avant qu’il ne brûle. Par conséquent, il faut nécessairement aussi, ou que les choses naissent à un certain moment donné avant lequel elles n’existaient pas, ou bien qu’elles soient éternelles, Si donc on admettait que tous les mobiles et les moteurs sont nés à un certain moment, il faudrait de toute nécessité qu’il y eût eu, antérieurement au mouvement dont on s’occupe, un autre changement et un autre mouvement relativement auquel seraient nés et le mobile qui peut être mu et le moteur qui peut mouvoir. Mais si l’on suppose que les moteurs et les mobiles ont éternellement existé sans qu’il y eût de mouvement, on voit sur le champ les étranges conséquences qui sortent de cette opinion pour peu qu’on la presse. Mais en poussant encore un peu plus loin, ces conséquences ne sont pas moins nécessaires. En effet, si parmi les choses qui sont, les unes susceptibles de recevoir le mouvement, et les autres capables de le communiquer, il faut qu’il y ait soit d’une part un premier moteur et d’autre part un premier mobile, soit en l’absence de l’un et de l’autre un absolu repos, il en résulte que nécessairement il y a eu un changement antérieur ; car il y avait bien une cause à ce repos, puisque le repos n’est que là privation du mouvement. Donc, avant le premier changement, il y aura déjà eu un changement antérieur .Certaines choses, en effet, ne produisent qu’une seule espèce de mouvement ; d’autres produisent les mouvements contraires. Ainsi, le feu échauffe et ne refroidit pas, tandis que la science des contraires paraît être une seule et même science. Ici il y a bien quelque chose de semblable ; car le froid, considéré d’une certaine manière, en se retirant peut échauffer, de même que celui qui sait une chose peut commettre une erreur volontaire, en employant à rebours la science qu’il possède. Mais toutes les choses qui sont susceptibles d’agir, de souffrir, et de mouvoir, et celles qui sont susceptibles d’êtres mues, ne le sont pas toujours et dans tous les cas ; elles ne le sont que dans certaines conditions, et il faut par exemple qu’elles soient proches les unes des autres ; c’est en se rapprochant que l’une meut et que l’autre est mue, et quand les choses s’arrangent de façon que l’une soit susceptible d’être mue, et l’autre capable de mouvoir. Si donc le mouvement n’a pas toujours eu lieu, il est clair que c’est que les choses n’étaient pas disposées de telle sorte que l’une pût mouvoir et que l’autre pût être mue, mais qu’il a fallu nécessairement que l’une des deux vint à changer. C’est là en effet une nécessité absolue pour tous les relatifs ; et par exemple, si une chose qui n’était pas le double d’une autre en est actuellement le double, il faut bien que l’une des deux choses tout au moins, si ce n’est les deux, ait éprouvé un changement. Il y aura donc ainsi un changement qui sera antérieur même au changement qu’on croyait le premier. Mais outre cette impossibilité, comment encore concevoir qu’il puisse y avoir antérieur et postérieur, s’il n’y a pas de temps ? Ou bien comment y aura-t-il du temps, s’il n’y a pas de mouvement ? Mais comme le temps n’est certainement que le nombre du mouvement ou un mouvement d’une certaine espèce, du moment que le temps est éternel, il y a nécessité que le mouvement soit éternel comme lui. En général, tous les philosophes, si l’on en excepte un seul, semblent, il faut en convenir, unanimes dans leur système sur le temps ; tous le regardent comme incréé. Et c’est même en soutenant que le temps n’a. point été créé que Démocrite essaie de démontrer qu’il est impossible que l’univers ait jamais pu l’être. Il n’y a que Platon qui admette la création du temps. Le temps est né, selon lui, avec le ciel ; car il dit que le ciel a pris naissance. Si donc l’existence et la conception même du temps sont impossibles sans l’instant, et que l’instant soit une sorte de moyen terme réunissant tout à la fois un commencement et une fin, le commencement du temps futur, et la fin du temps passé, il faut nécessairement que le temps soit éternel ; car le bout du temps qui est considéré le dernier sera dans un certain instant, puisqu’il n’y a pas moyen dans le temps de saisir autre chose qu’un instant ; et comme l’instant est à la fois commencement et fin, il est clair qu’il y a toujours du temps des deux côtés de l’instant, mais si le temps existe, il n’est pas moins clair que le mouvement existe aussi, puisque le temps n’est qu’un mode du mouvement. Le raisonnement serait le même pour démontrer que le mouvement est indestructible. De même qu’en cherchant à expliquer l’origine du mouvement, on en arrivait à cette conclusion qu’il y a un changement antérieur même au changement premier, de même aussi il faudra supposer dans ce nouveau cas qu’il y a un changement postérieur même au dernier changement ; car ce n’est pas du même coup que l’objet cessera d’être mu et d’être mobile, par exemple d’être brûlé et d’être combustible, puisqu’il se peut fort bien qu’un objet combustible ne soit pas brûlé ; et ce n’est pas non plus du même coup que l’objet cessera de mouvoir et d’être capable de mouvoir, De même aussi le destructible devra avoir été détruit, avant d’être détruit ; et ce qui le détruit devra encore exister après lui, puisque la destruction n’est qu’une espèce de changement. Mais si tout cela est impossible, il est évident que le mouvement est éternel ; et il ne se peut pas que tantôt il soit et que tantôt il ne soit point. Avancer en effet cette dernière opinion, ce n’est, je le crains bien, qu’une pure rêverie. Il n’y a pas plus de raison à soutenir que c’est la nature qui le veut ainsi, et que c’est là ce qu’on doit regarder comme le principe des choses, ainsi qui Empédocle semble le prétendre, quand il dit que l’Amour et la Discorde dominent tour à tour et donnent le mouvement aux choses, par une nécessité inhérente à leur nature, et que dans l’intervalle de leurs luttes, il y a le repos. C’est bien là encore ce que sont tout près de dire ceux qui, comme Anaxagore, ne reconnaissent qu’un seul principe. Mais il n’y a jamais de désordre dans les choses qui sont de nature et selon la nature ; car la nature est dans tous les cas une cause d’ordre et de régularité. L’infini ne peut jamais avoir de rapport rationnel avec l’infini, tandis que l’ordre est toujours un rapport et une raison. Mais qu’après un repos qui a duré un temps infini, commence ensuite par hasard le mouvement, et qu’il n’y ait pas plus d’importance à ce qu’il en soit ainsi plutôt maintenant qu’auparavant, sans qu’il y ait eu d’ailleurs aucun ordre antérieurement, ce n’est plus là, une œuvre de la nature ; car, ou bien ce qui est par nature est d’une manière absolue, sans être tantôt de telle manière et tantôt de telle autre, comme le feu, par exemple, qui, naturellement, se dirige toujours en haut, et sans qu’il soit jamais possible que tantôt il s’y dirige, et tantôt il ne s’y dirige pas ; ou bien ce qui n’est pas absolu dans la nature a du moins une cause rationnelle. Il vaudrait donc mieux encore supposer, comme l’a fait Empédocle ou tel autre philosophe, que tour à tour l’univers est en repos, et qu’il reprend ensuite le mouvement ; car cette succession alternative de phénomènes implique déjà un certain ordre régulier. Mais il ne faut pas, quand on avance de telles idées, se contenter d’affirmer simplement ce qu’on dit ; il faut tâcher aussi d’en expliquer la cause ; et au lieu de se borner à une hypothèse gratuite, et de poser un axiome déraisonnable, il faut en appeler à l’induction ou en apporter la démonstration. Les hypothèses admises par Empédocle ne sont pas des causes ; et ce n’est point là le rôle essentiel de la Discorde et de l’Amour, puisque l’un réunit les choses, et que l’autre au contraire les divise. Que si l’on parle de leur succession alternative, encore faut-il dire à quelles choses cette succession s’applique, comme on dit que parmi les hommes il y a quelque chose qui les rapproche, c’est l’amitié, et qu’il est bien vrai que les ennemis se fuient mutuellement. Alors, on imagine qu’il en est de même dans l’univers, parce qu’en effet il est certains cas où les choses se passent réellement ainsi. Mais il faudrait bien expliquer, en outre, comment ce phénomène peut s’accomplir dans des temps égaux et réguliers. En général, admettre que ce soit un principe et une cause suffisante d’un fait de dire que ce fait est toujours ou qu’il se produit toujours de telle ou telle manière, ce n’est pas du tout satisfaire la raison. C’est là cependant à quoi Démocrite réduit toutes les causes dans la nature, en prétendant que les choses sont actuellement de telle manière, et qu’elles y étaient antérieure ment aussi. Mais quant à la cause de cet état éternel, il ne croit pas devoir la rechercher, ayant bien d’ailleurs raison à certains égards, mais ayant tort de vouloir appliquer ce principe à tout. Ainsi, le triangle a éternellement ses angles égaux à deux droits ; et pourtant on peut bien trouver une autre cause à cette propriété éternelle du triangle, tandis qu’il y a, en effet, des principes qui, étant éternels, n’ont absolument aucune autre cause. Mais que ceci suffise pour démontrer que le temps n’a pu exister, et ne pourra exister qu’à la condition que le mouvement ait existé ou doive exister tout comme lui.

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