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XI.

Table des matières

Ahmed-Ben-Amar n’a pas toujours chassé seul. A l’exemple de Jean-Jacques Rousseau, qui a fait un Émile, il a formé un élève, un seul, qui marche dignement sur ses traces et qui le surpassera peut-être, car il a un entrain diabolique, dans les chasses à la panthère principalement. Le kif-kif (semblable), c’est l’épithète avec laquelle Ben-Amar a caractérisé Begless-bel-Kassem-ben-Salat, a sa tente placée à côté de celle de Ben-Amar, dans la forêt d’Aïn-Sanour. Ils vivent en frères. Bel-Kassem est dévoué à Ben-Amar, comme les musulmans fanatiques l’étaient autrefois au Vieux de la Montagne. Sur un signe de Ben-Amar, Bel-Kassem obéit, se jette dans un fourré en vrai porc-épic, et chasse le lion et la panthère à tous crins, sans réfléchir un instant au danger qu’il court.

Bel-Kassem, né dans une tribu voisine de Souk-Arras, est âgé de vingt-cinq ans. Il a une encolure de taureau et des épaules à porter l’Atlas. Deux yeux vifs et pénétrants donnent de la vivacité à sa physionomie. A l’exemple de son kif-kif Ben-Amar, il vit de chasse et du rapport d’une petite concession qu’il cultive à Aïn-Sanour; mais, moins heureux que Ben-Amar, possesseur aujourd’hui de deux femmes, d’un bourricault et d’un fusil à piston, il se sert d’un mauvais fusil arabe, et n’a pas encore acquis la somme nécessaire à l’achat d’une houri de Mahomet. Ses haillons de laine, déchirés aux cailloux et aux ronces de la montagne, indiquent suffisamment son état de pauvreté. On lui a fait cadeau, pour sa chasse de nuit, d’une capote militaire.

Le pauvre Bel-Kassem faillit laisser sa peau dans sa première chasse, qui eut lieu en compagnie de son maître et kif-kif Ahmed-Ben-Amar, sur la frontière de Tunis, à Aïn-Taoura, à huit lieues du Keff, contrée fertile en lions, panthères, chats-tigres, sangliers, antilopes et cerfs noirs. Les tribus arabes avaient demandé Ben-Amar pour avoir raison de la terrible lionne d’Aïn-Taoura, qui décimait leurs troupeaux.

Pendant deux jours et deux nuits, Ben-Amar et son kif-kif Bel-Kassem explorèrent les ravins et battirent sans fruit les broussailles d ’Aïn-Taoura, et pourtant Bel-Kassem est un enragé traqueur. Ben-Amar, à bout d’expédients, rencontrant un troupeau de chèvres, ordonna à Bel-Kassem de leur mordre les oreilles jusqu’au sang pour attirer la lionne, ce que fit sans succès le docile Bel-Kassem. Enfin, au crépuscule, au moment où ils désespéraient de découvrir les traces de l’ennemie, ils aperçurent dans le lointain la lionne si redoutée des Arabes, qui descendait rapidement un ravin et se dirigeait, selon toute probabilité, vers son repaire. Le jeune et ardent Bel-Kassem, que son maître suit, s’élance à la poursuite de la lionne. Nos chasseurs découvrirent la lionne et deux lionceaux blottis dans une épaisse broussaille. Le trop vif Bel-Kassem fait feu tout de suite sur la lionne, qui, blessée, s’échappe. Ben-Amar cherche à l’arrêter en lui tirant un second coup de feu, qu’elle essuie et qui ne l’arrête pas, malgré une nouvelle et sérieuse blessure. La nuit étant venue, les chasseurs se retirèrent dans un douar voisin, et prièrent le cheik de ce douar de commander à tous les Arabes de battre avec eux la contrée le lendemain, pour retrouver la lionne, ce qui fut accordé. A la première heure du jour, la tribu entière se mit en campagne et traqua tous les buissons, toutes les broussailles, qui avec les pieds, qui avec les matracks, en criant comme des forcenés. Mais le plus ardent de cette meute de traqueurs était sans contredit Bel-Kassem. Alléché par la lutte de la veille, il roulait comme un ouragan dans le bois, à travers les broussailles, les fourrés, tombant, se relevant, et appelant comme un beau diable la lionne en combat singulier. Enfin, il l’aperçoit à dix pas de lui dans un sentier; il la tire rapidement, la blesse de nouveau. Mais la lionne d’Aïn-Taoura, fatiguée de servir de cible à Bel-Kassem, de recevoir les projectiles de l’apprenti chasseur, se jette sur lui, le renverse, lui plante bel et bien ses griffes (Bel-Kassem prétend en avoir senti six!) dans les reins, et poursuit son chemin aussi vite que ses blessures et le sang qu’elle perdait en abondance le lui permettaient. Le kif-kif Bel-Kassem, tout blessé qu’il est, se relève plus furieux que la lionne, recharge son fusil et poursuit sans trêve ni merci son ennemie qui, stimulée par ses blessures, brise tout sur son passage, en jetant d’horribles rugissements aux échos, qui les répètent et les prolongent. Épuisée par la perte de son sang, la lionne d’Aïn-Taoura, forcée, s’arrête devant d’inextricables broussailles, qu’elle n’a plus la force de franchir. L’ingénieux Bel-Kassem, qui n’était pas tenté de renouveler une lutte corps à corps, grimpe, agile comme un écureuil, sur un arbre, et de cette position achève, d’un dernier coup de fusil, la lionne. Il partagea généreusement et sans contestation le fruit de cette chasse avec son kif-kif Ben-Amar, qui toucha, comme lui, vingt francs du bureau arabe de Souk-Arras, en livrant le beau corps de la lionne d’Aïn-Taoura.


Ahmed-Ben-Amar et son kif-kif chassant la panthère. (P. 52.)

Chasses au lion et à la panthère en Afrique

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