Читать книгу Chasses au lion et à la panthère en Afrique - Benjamin Gastineau - Страница 7
ОглавлениеIV.
La première chasse d’Ahmed-ben-Amar se fit à l’appel d’Arabes de la Medjerda, dont un lion noir avait déjà dévoré chevaux, bœufs et mulets. Après avoir recueilli les indications des indigènes, victimes de la rapacité du lion noir, Ben-Amar, par une de ces lumineuses nuits d’Afrique qu’éclairent comme un jour d’Europe la lune et les étoiles brillantes, se blottit derrière un gros chêne-liége, sur le passage habituel de l’animal. En effet, le chasseur ne tarda pas à entendre une sonore respiration, et vit bientôt deux énormes lions marchant côte à côte et presque au pas, comme deux soldats aguerris.
Ahmed laissa le couple le dépasser de dix pas dans le sentier; à cette distance, un désir anacréontique ayant stimulé le lion, il passa la patte autour du cou de la lionne, qui rugissait. Le moment était favorable pour l’attaque. Ahmed fit feu sur le lion en le prenant par le flanc. La balle le traversa de part en part et blessa légèrement la lionne, qui s’enfuit. Ben-Amar, toujours retranché derrière l’énorme tronc d’arbre, se hâta de recharger son fusil, en prévision d’une attaque. En effet, le lion vint de son côté et fit un terrible bond, que Ben-Amar évita en tournant autour du chêne qui lui servait de bastion. Le lion tourna avec lui, et ce manège dura quelques minutes, jusqu’au moment où bête et chasseur se trouvèrent face à face. Alors Ben-Amar déchargea à bout portant son fusil sur le lion, dont le crâne sauta. Il alla requérir le plus fort mulet de la tribu voisine, car le lion était de telle taille, qu’on ne pouvait tenir sa queue entre les deux mains rapprochées, et qu’il fallut faire reposer le mulet, en le déchargeant de cent pas en cent pas Amar porta ce magnifique lion noir au bureau arabe de Souk-Arras, et toucha la prime allouée de quarante francs.
La chasse la plus dangereuse de Ben-Amar, qui faillit être sa dernière, et dont il gardera toute sa vie les traces, eut lieu dans la petite montagne de bois brûlé de l’Alfa, derrière la Medjerda. Il gravissait en plein jour cette montagne embroussaillée, lorsqu’à trente pas de lui il aperçut une lionne entourée de quatre lionceaux assez forts. Résolu et rapide comme la foudre, il vise aussitôt la lionne, la frappe d’une balle qui lui traverse l’épaule. Les lionceaux effarés se sauvent, leur mère s’enfuit d’un autre côté. Mais, selon son habitude, l’agile Ben-Amar avait promptement rechargé son arme et était arrivé à temps pour couper à la lionne le passage du sentier, qu’elle suivait en laissant sur ses traces une traînée de sang. A cinq pas d’elle il tira un second coup de fusil qui lui traversa le cou. Rugissante, elle bondit sur Ben-Amar, qui tomba et roula sous son poitrail. L’intrépide Arabe, à terre, ne perdit pas la tramontane: il sortit son couteau de sa gaîne fixée à sa ceinture et chercha à poignarder la lionne; mais, n’ayant pas assez de jeu, son couteau glissait sur le poil de son ennemie. Ben-Amar appartenait sans défense possible à la fureur de la lionne, qui le traîna au bord d’un profond ravin et le lâcha sur la pente de l’abîme. Ben-Amar s’accrocha à quelques touffes d’alfa, en serrant convulsivement dans sa main le couteau qui, jusque-là, lui avait été inutile. La lionne s’assit en rugissant devant lui comme pour le narguer. Ben-Amar répliqua à ses rugissements par les plus outrageantes épithètes qu’il put trouver dans son répertoire, la traitant d’alouf (sanglier), de roumi (chrétien), la taxant de lâcheté et de félonie, si bien que la lionne se rejeta sur l’Arabe, lui enveloppa la tête dans son haïck, et fit disparaître tête et haïck dans sa mâchoire. Amar labourait inutilement d’inoffensifs coups de couteau les flancs de son ennemie. La lionne, après avoir donné un coup de gueule au dur crâne d’Ahmed,–qui conserve encore aujourd’hui et qui conservera toujours sur son crâne la glorieuse couronne creusée par les dents de la lionne, –lâcha la tête d’Ahmed, le reprit avec ses griffes à la cuisse et le tint ainsi suspendu au-dessus de l’abîme. Par un mouvement énergique, dont est seul capable un homme de sa force musculaire, Ben-Amar, réunissant tous ses efforts dans ce danger suprême, se redressa et plongea son couteau dans la gorge de la lionne, qui s’abattit et râla. Ben-Amar tomba mourant à côté d’elle; le sang coulait abondamment de ses cinq ou six blessures. Il perdit connaissance.
Concevez-vous un plus glorieux spectacle de la puissance humaine, que cet Arabe, évanoui sur la limite d’un abîme, aux côtés du terrible animal que son héroïsme a vaincu?
Revenu à lui, Ben-Amar, ensanglanté, eut le courage de se traîner sur les pieds et sur les mains jusqu’à un douar, puis il fut transporté à Souk-Arras. C’est à peine si Ben-Amar avait figure d’homme. Les coups de griffe et les coups de gueule de la lionne l’avaient mutilé et défiguré. On fut obligé de lui extraire deux petits os fracturés du bras droit; son crâne était percé à jour, et les quarante francs que le bureau arabe lui donna en recevant le corps de la lionne suffirent à peine à payer ses médicaments.
Une autre fois, dans une semblable circonstance, il fut plus heureux. Il avait jeté une pierre dans un fourré, lorsqu’il en vit sortir une lionne qui se dressa devant lui prête à s’élancer. Il la tira au cœur. Faisant un énorme bond, la lionne passa sur lui, le renversa et alla mourir plus loin. Il s’empara de deux lionceaux, et après quelques recherches, il retrouva le cadavre de la lionne.