Читать книгу Chasses au lion et à la panthère en Afrique - Benjamin Gastineau - Страница 8
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Ben-Amar explorait le bois d’Aïn-Taoura, en plein jour, car il ne faut pas perdre de vue qu’à l’encontre de presque tous les chasseurs européens qui surprennent le lion la nuit, Ben-Amar a tué la plupart de ses lions à la face du soleil, sans se servir d’aucun appât, ni employer aucune ruse, faiblement armé d’un couteau et d’un fusil arabe, en poussant droit sur l’animal qu’il attaque souvent corps à corps, quoique le lion ait trois ou quatre cents fois plus de force musculaire que l’homme. Il ne faut jamais oublier les conditions héroïques dans lesquelles Ben-Amar a accompli ses chasses, pour l’apprécier avec justice. Là est son mérite, son originalité.
Ahmed-ben-Amar s’en allait donc insoucieux dans le bois d’Aïn-Taoura, sans penser à faire sitôt de rencontre sérieuse, lorsqu’en débouchant dans une clairière, il vit deux magnifiques quadrupèdes, un mâle et une femelle, s’arrêta court, visa la lionne et l’étendit. Le lion fit dix pas, chercha des yeux le meurtrier de sa compagne, ne vit rien, et revint vers la lionne qu’il lécha tendrement sur sa blessure mortelle. Ben-Amar choisit le moment favorable pour tirer. Il frappa à la tête le lion, qui tomba sur le premier cadavre.
Ahmed-Ben-Amar vendit les peaux cent francs à un officier supérieur en tournée d’inspection à Souk-Arras. Cent francs! quelle aubaine pour le pauvre Ahmed. Mais il n’était pas toujours aussi heureux, et achetait parfois ses quarante francs de prime du bureau arabe par des fatigues inouïes, témoin la chasse suivante.
Ben-Amar avait passé la frontière de Tunis, du côté de la Calle. Il avait battu sans succès une forêt du côté de la Medjerda; il était furieux de ne rien trouver. Enfin, en arrivant à pas de loup et s’embusquant derrière d’épaisses broussailles, limites d’une clairière, il découvrit la plus intéressante scène de famille que jamais pinceau flamand puisse représenter sur ses toiles intimes. Lion, lionne et lionceaux formaient un entrelacement sentimental, un Laocoon retourné: le lion léchant la lionne, les lionceaux jouant avec les énormes pattes de leur père. Ben-Amar, embarrassé, se demandait quelle serait la première victime de cette intéressante famille; il la triait déjà du regard. Par malheur, un de ses mouvements pour mettre en joue dérangea quelque brindille de la broussaille et mit debout, en un clin d’œil, toute la famille léonine. Se sentant en mauvaise situation pour résister à ce bataillon de lions, il se réfugia derrière un chêne-zend. La lionne, en bonne mère, qui voit sa progéniture en danger, courut la première sur lui, en ouvrant une énorme gueule. Ben-Amar la coucha à terre d’un coup de feu. Laissant la lionne se rouler sur le sol en rugissant, Ben-Amar rechargea promptement son fusil et s’élança, ardent et intrépide chasseur, à la poursuite du reste de la famille. Il descendit le cours de la Medjerda, battit les bois et le ravin, mais il ne put retrouver aucune piste de lion ni de lionceau. Tout en déplorant d’avoir manqué une partie de sa chasse faute d’un fusil à deux coups, il revint vers la lionne, qui avait rendu l’âme et qu’il porta, en se faisant aider d’Arabes, jusqu’au bureau de Souk-Arras.