Читать книгу Chasses au lion et à la panthère en Afrique - Benjamin Gastineau - Страница 5
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Ahmed-ben-Amar a perché son nid d’aigle sur un plateau de la forêt d’Aïn-Sanour, qui roule ses chênes-liége et fait ruisseler ses ravins de verdure jusqu’à la plaine où Souk-Arras est bâti. Singulière ville que Souk-Arras, ancienne Thagaste, cité native de saint Augustin, qui a été détruite par les Vandales; sa position sur la route de Carthage à Hippone lui donnait autrefois une grande importance. Thagaste faisait partie de la Numidie. Le champ de bataille de Zama, sur lequel se décida, par la défaite définitive d’Annibal, la ruine de Carthage, se trouve aux environs de Souk-Arras. Cette contrée fut également le théâtre des opérations militaires contre Jugurtha, et de la défaite des Vandales par Bélisaire. A Thagaste se rattache le souvenir des grands noms de l’antiquité.
En1856et en1857encore, avant que Ben-Amar purgeât cette contrée de lions et de panthères, on ne pouvait venir sans danger de Souk-Arras à Bone; il fallait faire la part du lion; et bienheureuse la caravane qui passait saine et sauve en abandonnant sur ses derrières quelque mulet ou quelque cheval au roi des forêts. Aujourd’hui, grâce aux hécatombes de Ben-Amar, qui a fait œuvre de pionnier de la civilisation, la route est sûre, à moins qu’on ne chemine ou chevauche du côté de la frontière tunisienne; alors on risque de tomber dans une embuscade de Cromirs, tribus de pirates qui rôdent sans cesse autour de nos frontières de la Calle et de Souk-Arras, cherchant quelque proie à dévorer,–quærens quem devoret,–volant, égorgeant ou enlevant les Européens isolés. Au mois de juillet1858, un habitant fut assassiné aux portes de Souk-Arras. On ne put retrouver le tronc du cadavre; la tête seule fut enterrée au cimetière de Souk-Arras.
On voit que Souk-Arras, auquel son admirable situation, sa ceinture de trente mille hectares de forêts et ses montagnes recélant des richesses minérales considérables, réservent un brillant avenir, est encore à l’état primitif. Sa population hétérogène de Maltais, d’Italiens, d’Allemands, de Juifs, de Tunisiens, de Mozabites, de Français, connaît à peine l’usage du lit et mange plus souvent des filets de panthère et des tranches de lion que des filets de bœufs. J’ai mangé à Souk-Arras, apprêtés par mes amis, d’exquis morceaux de panthère. La chair du lion est beaucoup plus dure que celle de la panthère. Quelques habitants de Souk-Arras, empoisonnés et surexcités par les mauvaises liqueurs dont ils font un étrange abus, ont plus souvent le couteau à la main que la raison à la bouche. En un mot, Souk-Arras donne une idée exacte du premier noyau dont a été formée la population algérienne, noyau d’aventuriers, comme toutes les populations coloniales, de chercheurs de fortune, d’individus rendus nomades par la nécessité de faire oublier leurs dettes ou de fuir un compromettant passé, et qui finissent, après des opérations très-hasardeuses, en excellents chrétiens, honnêtes propriétaires, et dignes gardes nationaux veillant au maintien de la moralité publique.