Читать книгу Mémoires sur la reine Hortense, mère de Napoléon III - Charles Bernard-Derosne - Страница 16
ОглавлениеUN PREMIER AMOUR.
Quand la Révolution fut finie, et lorsque Bonaparte eut pris possession des Tuileries, ce ne fut pendant un certain temps que fêtes et réjouissances. Joséphine et Hortense étaient l’âme de ces soirées, les deux fées qui les animaient, et qui leur donnaient de l’éclat.
Hortense était passionnée pour la danse, et aucune des dames de l’entourage de Joséphine ne l’égalait en grâce et en élégance. Le peuple parlait déjà de la «cour» de Madame Bonaparte. N’était-elle pas l’épouse du Premier Consul? Elle donnait des audiences, et avait, ainsi qu’Hortense, une suite qui la saluait avec la même humilité que si elle eût été princesse du sang.
Madame Bonaparte traversait maintenant les rues de Paris dans une voiture attelée de six chevaux, escortée d’un détachement de cavalerie. Partout où le peuple l’apercevait ainsi qu’Hortense, il les acclamait avec enthousiasme. Le cocher et les domestitiques du Consul avaient endossé une livrée. On les vit avec de grandes houppelandes richement brodées d’or et avec des aiguillettes. Il avait des valets de chambre et des valets de pied; ses piqueurs et ses postillons. Il donnait des dîners splendides, et les ambassadeurs étrangers étaient reçus en audience solennelle; car, à cette époque, toutes les puissances de l’Europe avaient reconnu la République avec le Consulat; et comme Napoléon venait de faire la paix avec l’Angleterre et l’Autriche, ces deux pays envoyaient leurs représentants à la cour du Premier Consul.
La guerre avec l’étranger était terminée, mais une lutte continuait avec fureur dans les murs mêmes des Tuileries. C’était la lutte de l’étiquette et du goût. Porterait-on ou ne porterait-on pas la poudre? Telle était la grande question à l’ordre du jour dans tous les salons. Elle fut finalement résolue par Joséphine, qui dit «que l’on pouvait venir à la cour comme on l’entendrait, pourvu qu’on consultât le bon goût dans le choix de ses toilettes.»
Depuis quelque temps cependant, Hortense avait pris une part moins active aux fêtes et aux plaisirs; elle ne semblait plus trouver de grandes distractions dans les bals et les soirées de la cour, et elle préférait se retirer et s’enfermer dans ses appartements. Les sons doux et mélancoliques de sa harpe semblaient la charmer plus que les causeries spirituelles et mondaines du salon de sa mère.
Hortense recherchait la solitude, parce que dans la solitude seule, elle pouvait ouvrir son cœur et dire tout bas qu’elle aimait avec toute l’innocence et la ferveur, toute la force et l’abnégation d’un premier amour. Combien étaient délicieuses pour elle ces heures de rêveries; l’avenir se présentait à ses yeux comme un long et beau jour d’été, qui commençait à poindre, et dont le soleil allait bientôt se lever.
Le choix d’Hortense avait la sanction secrète de sa mère et de Bonaparte; mais tous deux avaient l’air de ne rien voir de l’attachement qu’elle avait conçu pour le Général Duroc, premier aide-de-camp de son beau-père. Ils l’appréciaient différemment: Joséphine considérait l’amour de sa fille comme n’étant pas très-profondément enraciné, et le prenait pour l’affection capricieuse d’une enfant; Napoléon voyait mieux, et pensait sérieusement à unir le jeune couple. Pour cela, il était nécessaire d’élever Duroc à une plus haute position. En conséquence, cet officier fut nommé ambassadeur et envoyé à Saint-Pétersbourg, où Alexandre Ier venait de monter sur le trône de ses pères, pour féliciter le nouvel Empereur de la part du Premier Consul.
Les amants, constamment surveillés et toujours contenus par l’étiquette, qui avait alors pris le dessus, n’eurent même pas la triste consolation de se dire adieu par une dernière pression de main, et de se jurer une dernière fois un amour et une fidélité éternels, quand l’heure de la séparation arriva. Mais ils avaient foi dans l’avenir; ils devançaient le retour de Duroc, et celui-ci se voyait déjà en possession de la récompense que Bonaparte avait laissé entrevoir à son aide-de-camp. Cette récompense n’était rien moins que la main d’Hortense. En attendant cet heureux jour, les amants durent se contenter de la consolation de tous les amants séparés: ils s’écrivaient des lettres qui leur parvenaient par l’intermédiaire d’un homme de confiance, M. de Bourienne, qui était le secrétaire particulier de Bonaparte.
«J’avais coutume de jouer au billard avec Mademoiselle Hortense presque tous les matins,» dit Bourienne dans ses Mémoires, «jeu qu’elle affectiontionnait particulièrement. Toutes les fois que je disais tout bas: «J’ai une lettre pour vous,» la partie cessait aussitôt. Elle se rendait en toute hâte à sa chambre, et je la suivais pour lui donner la lettre. Ses yeux se remplissaient fréquemment de larmes de joie et d’émotion, et ce n’est qu’après un assez long intervalle qu’elle revenait à la salle de billard où je l’avais précédée.»
Ainsi, Hortense se berçait de douces espérances, elle rêvait de bonheur à venir, et était indifférente à presque tout ce qui se passait autour d’elle. Elle prévoyait peu combien son jeune cœur allait être frappé, et comment elle allait devenir l’instrument d’intrigues à la fois domestiques et politiques.
Les frères de Bonaparte, envieux et jaloux de de l’influence que la femme du Premier Consul continuait à exercer sur son mari, comme dans les premiers jours de leur union, voulaient séparer Hortense de sa mère, comprenant qu’elle était la base la plus solide du pouvoir de Joséphine. En isolant ainsi Joséphine, ils pensaient pouvoir acquérir une plus grande influence sur leur frère, car ils n’ignoraient pas combien Bonaparte avait d’attachement pour les enfants de sa femme, et ils n’avaient pas encore oublié comment, une première fois, ils avaient seuls empêché une séparation entre Bonaparte et Joséphine.
A son retour d’Egypte la jalousie du Consul avait été éveillée par ses frères et Junot, qui avaient insinué artificieusement que Joséphine n’avait pas été tout à fait fidèle pendant son absence. Bonaparte s’était presque décidé à se séparer de sa femme, bien qu’il l’aimât encore avec passion, quand Bourienne réussit à lui persuader d’entendre au moins sa femme avant de la condamner. Ceci la sauva. Bonaparte répondit à l’intercession de son secrétaire:
— Il est impossible de lui pardonner. Moi! lui pardonner, jamais... si je le faisais, j’arracherais mon cœur de ma poitrine, et je le jetterais au feu!
Et en parlant ainsi d’une voix tremblante de colère, Napoléon saisit sa poitrine dans ses mains, comme s’il se préparait à la déchirer. Mais le lendemain de cette conversation, quand il entra dans son cabinet, il s’approcha en souriant et un peu embarrassé de Bourienne, et dit:
— Eh bien! vous serez content de moi, elle est ici, mais n’allez pas supposer que je lui ai pardonné. En effet, il n’en est rien; au contraire, je me suis mis fort en colère contre elle, et je l’ai renvoyée, mais quand elle m’a quitté tout en larmes, je l’ai suivie, et comme elle descendait en sanglotant, j’ai vu Eugène et Hortense qui pleuraient sur le palier; je n’ai pas eu la force de voir couler leurs larmes et de rester inébranlable. Eugène m’a accompagné en Egypte; je me suis habitué à le considérer comme mon fils adoptif, et c’est un si noble cœur et un si brave jeune homme. Hortense est sur le point de faire son entrée dans le monde, et tous ceux qui la connaissent ne parlent d’elle que pour faire son éloge. J’avoue, Bourienne, que la vue de ces enfants m’a profondément touché. Je suis devenu triste moi-même en les voyant pleurer, et je me suis dit: Doivent-ils souffrir pour la faute de leur mère? J’ai rappelé Eugène, Hortense l’a suivi avec Joséphine... pouvais-je l’empêcher? Il est impossible à l’homme de ne pas être mortel et de n’avoir pas ses moments de faiblesse.
— Comptez, Général, — reprit Bourienne, —que vos enfants d’adoption, vous seront reconnaissants de vos bontés.
— Je l’espère... je l’espère... car ils me coûtent un grand sacrifice.
Joséphine put bientôt après prouver sa parfaite innocence, et Bonaparte vit ainsi sa générosité récompensée, en apprenant que les accusations de ses frères étaient complètement injustes.
Dans ces circonstances, les frères de Napoléon, tenaient naturellement à éloigner Hortense de Joséphine. Elle était douée d’un esprit si supérieur, de tant de tact, et d’un jugement à la fois si fin et si juste, qu’elle était un parfait Mentor pour sa mère. Joséphine, vaine et extravagante comme elle l’était, n’eût pas été, malgré sa beauté, un antagoniste très-redoutable, une fois privée du soutien de sa fille.
Hortense une fois éloignée, il aurait été comparativement facile d’écarter Joséphine; car elle devait être éloignée. Elle était un obstacle et un empêchement à l’ambitieuse carrière des frères de Napoléon. Ils savaient bien ne pas pouvoir arriver par eux-mêmes à la grandeur qu’ils convoitaient; ils savaient bien que Napoléon seul était capable de poser une couronne sur leur front, et il était donc nécessaire qu’il portât lui-même le symbole de la royauté. Joséphine était contraire à ce projet. Elle aimait son mari avec assez de désintéressement pour craindre les dangers qui accompagnent l’usurpation d’une couronne, et avait trop peu d’ambition pour ne pas préférer sa situation tranquille à celle plus élevée, mais aussi plus périlleuse d’un trône.
Il était donc nécessaire que Joséphine fût éloignée. Bonaparte devait choisir une autre femme, dans les veines de laquelle coulât le sang d’une royauté légitime, et qui sous ce rapport ne serait pas un obstacle à ce que son mari portât la pourpre.