Читать книгу Mémoires sur la reine Hortense, mère de Napoléon III - Charles Bernard-Derosne - Страница 5

JOURS D’ENFANCE.

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Un grand poëte Allemand a dit «qu’un moment

» de bonheur n’est pas payé trop cher, même au

» prix de la mort,» mais une longue vie de tortures et de douleurs est une compensation trop forte pour un court instant de félicité. Pour Hortense Beauharnais, fille d’une Impératrice et mère d’un Empereur, il est difficile de dire à quelle époque elle a connu cet instant de bonheur qui devait compenser une vie entière de souffrances. Elle pleura beaucoup et souffrit beaucoup; dès sa plus tendre jeunesse, elle apprit à connaître les larmes et le malheur; dans la suite, l’infortune n’épargna ni la jeune fille, ni l’épouse, ni la mère.

Hortense est celle de toutes les femmes de la famille de Napoléon qui excite le plus de sympathies. Cette reine, à la fois délicate et altière, lorsqu’elle descendit du trône, quand elle cessa d’être reine douce et résignée, quand, épuisée par les chagrins et fatiguée de la vie, elle trouva un refuge dans la tombe, resta encore parmi nous comme reine des fleurs. Les fleurs ont conservé le souvenir de la fille de Joséphine, et on ne les vit pas se détourner d’elle, comme tant de ses amis, lorsqu’elle ne fut plus la fille d’un tout-puissant Empereur, mais d’un exilé. Elle continue à vivre parmi elles, et Grandville, le grand poëte des fleurs, a élevé un monument des plus touchants à leur reine dans ses fleurs animées. Sur un parterre d’Hortensias on voit le portrait de la Reine Hortense, et dans le lointain, comme dans un nuage qui disparaît, on découvre les dômes et les tours de Paris. La solitude règne partout, mais dans l’air plane l’Aigle Impériale. Le manteau Impérial avec ses abeilles d’or s’étend derrière le noble oiseau comme la queue d’une comète, le ruban rouge et la croix de la Légion-d’Honneur sont attachés à son cou, et dans son bec il porte un rameau richement fleuri de Couronne Impériale.

La Reine de Hollande a connu toutes les grandeurs et toutes les magnificences de la terre, et elle les a vues toutes se réduire en poussière. Mais, non, pas toutes, ses chants et ses poésies ont survécu, car le génie n’a pas besoin de couronne pour être immortel. Quand Hortense cessa d’être reine par la grâce de Napoléon, elle resta poëte par la grâce de Dieu. Ses poèmes sont charmants et gracieux, pleins de tendresse et d’accents profonds et passionnés qui. cependant, ne dépassent jamais les limites de la délicatesse féminine, et toutes ses compositions musicales sont agréables et mélodieuses. Qui ne connaît la romance Partant four la Syrie, dont Hortense composa les vers et la musique, et que plus tard, sur le désir de Napoléon, elle arrangea en marche militaire. C’est au son de cette marche que nos soldats quittèrent un jour la France pour porter jusqu’en Russie les Aigles Impériales, et c’est au son de la même marche que, récemment encore, ils ont envahi de nouveau la Russie, et fait la glorieuse campagne d’Italie.

La romance d’Hortense lui a survécu. D’abord le monde entier la chanta à haute voix et gaiement, et quand les Bourbons furent revenus, les soldats, blessés et hors de combat, la fredonnaient doucement aux Invalides, tout en s’entretenant, entre eux et à voix basse, de la gloire de la France. Aujourd’hui ce chant fait encore retentir tous les échos; il s’élève fièrement jusqu’au faîte de la colonne Vendôme, et la figure de bronze de l’Empereur semble sourire. Ce chant a maintenant une signification sacrée pour la France, c’est l’hymne d’une religion devant laquelle elle désire s’agenouiller et rendre hommage: la religion des souvenirs. Et Partant pour la Syrie, que la France chante aujourd’hui, vibre sur la tombe de la Reine Hortense, comme des salves funèbres sur la tombe d’un brave guerrier.

L’infortunée et charmante Reine eut à soutenir une lutte terrible; mais elle eut constamment et conserva toujours le courage, particulier aux femmes, de sourire à travers ses larmes. Son père mourut sur l’échafaud; sa mère, Impératrice deux fois détrônée, de douleur; son beau-père sur un rocher solitaire. Exilés et repoussés, tous ces rois et ces reines sans couronnes, durent errer çà et là, bannis de leurs foyers, et obtenant à peine un peu de pitié de ceux auxquels ils avaient témoigné tant de commisération, et un coin de terre où ils pussent vivre dans la retraite, loin du tourbillon du monde, méditant sur leurs grands souvenirs et leurs grandes douleurs. Leur passé restait derrière eux comme un éblouissant conte de fées, auquel personne ne voulait plus croire, et le présent semblait agréable aux nations, puisqu’il leur permettait d’irriter et de torturer la famille détrônée de Napoléon.

Et pourtant, en dépit de toutes ces douleurs et de toutes ces humiliations, la Reine Hortense eut le courage de ne pas haïr l’humanité, et d’apprendre à ses enfants à aimer leurs semblables et à les traiter avec bonté. Le cœur de la reine détrônée saignait par mille blessures; mais elle ne le laissa ni se cicatriser, ni s’endurcir sous les rudes coups de la douleur. Elle aimait ses souffrances et ses blessures, et les conservait béantes avec ses larmes; mais souffrir d’une manière si terrible la rendit compatissante aux souffrances des autres et désireuse de chercher à apaiser leur chagrin. Depuis lors sa vie fut une suite incessante de bontés, et quand elle mourut, elle put dire d’elle-même ce qu’avait dit sa mère. l’Impératrice Joséphine: «J’ai beaucoup pleuré, mais je n’ai jamais fait pleurer personne.»

Hortense etait la fille du Vicomte de Beauharnais, qui, malgré le désir de sa famille, avait épousé une jeune créole, Mademoiselle Tascher de la Pagerie. Cette union, quoiqu’elle fût un mariage d’amour, ne fut pas heureuse, car tous deux étaient jeunes et sans expérience, passionnés et jaloux, et tous deux manquaient de la force de caractère et de l’énergie nécessaires pour dompter l’impétuosité de leur nature et les assouplir au calme du mariage.

Le Vicomte était trop jeune pour devenir pour Joséphine autre chose qu’un mari aimant et tendre; il ne pouvait pas être son guide et son ami, dans la route difficile de la vie: et Joséphine était trop inexpérimentée, trop candide, et trop enjouée, pour éviter les inconséquences dont ses ennemis se servirent contre elle comme d’une arme, en les dénaturant et en les changeant en calomnies.

Aussi arriva-t-il que le bonheur domestique du jeune couple fut bientôt troublé par de violents orages. Joséphine était trop charmante et trop belle pour ne pas exciter l’attention et l’admiration, et elle n’était pas encore assez expérimentée pour cacher sa satisfaction de se voir ainsi admirée, ni assez prudente pour éviter de soulever une telle admiration. Dans la sincérité et l’innocence de son cœur, elle croyait impossible que son mari ressentît la moindre contrariété ou le moindre soupçon de sa coquetterie enjouée; et elle pensait qu’il devait avoir une confiance aveugle en sa fidélité. Son orgueil se révoltait donc contre la méfiance de son mari, de même que la jalousie de celui-ci s’enflammait devant sa légèreté apparente, et quoique sincèrement attachés l’un à l’autre, ils auraient probablemeut rompu leur union, si leurs enfants n’avaient pas été un lien qui les retenait ensemble.

Ces enfants étaient un garçon, Eugène, et une fille, Hortense, qui était de quatre ans plus jeune que son frère. Le père et la mère aimaient passionnément ces enfants, et toutes les fois qu’une querelle avait lieu en leur présence, un mot enfantin d’Eugène ou une caresse d’Hortense venait effectuer une réconciliation entre leurs parents, dont la colère n’était autre chose que de l’amour irrité.

Mais ces orages matrimoniaux devenaient de plus en plus violents avec le temps, et malheureusement Hortense était restée seule pour réconcilier ses malheureux parents dans ces occasions. Eugène, à l’âge de sept ans, avait été envoyé en pension, et la petite Hortense, qui n’était plus aidée par son frère, commença à ne plus être à la hauteur de la tâche de calmer les tempêtes, sans cesse renaissantes, qui s’élevaient entre son père et sa mère. Intimidée par la violence de ces querelles domestiques, elle s’enfuyait dans quelque coin retiré de la maison pour pleurer sur un malheur dont la grandeur ne pouvait encore être appréciée par son cœur enfantin.

Durant cette triste et orageuse période de sa vie. Joséphine reçut une lettre de la Martinique dans laquelle madame Tascher de la Pagerie décrivait son isolement dans une maison dont personne ne partageait avec elle les énormes dépendances, si ce n’est des serviteurs et des esclaves, et elle parlait avec effroi du changement qui s’était opéré dans la conduite de ces derniers. Elle priait en outre sa fille de revenir près d’elle, pour égayer par sa présence les dernières années de la vie de sa mère.

Joséphine regarda cette lettre comme un ordre du ciel. Fatiguée des discordes domestiques, et déterminée à y échapper pour toujours, elle quitta la France, avec sa fille, pour chercher de l’autre côté de l’Océan, dans les bras de sa mère, le bonheur d’une vie paisible.

Mais, à cette époque, la paix semblait avoir disparu du globe. Des orages s’amoncelaient de tous côtés, et un terrible pressentiment de danger imminent, d’horreurs prochaines, semblait planer sur la race humaine. Cela ressemblait aux sourds grondements du tonnerre qui ébranlent les entrailles de la terre quand le cratère est près de donner passage à une éruption volcanique, et d’ensevelir sous des flots de la lave brûlante tout ce qui l’environne. Et le cratère vomit au loin ses flammes, répandant partout la destruction et la mort, et emportant des nations entières de la surface de la terre. C’était la Révolution.

La première et la plus effrayante explosion de ce terrible volcan eut lieu en France, mais ces effets ne se firent pas sentir que dans ce pays. Toute la terre trembla et sembla menacée de destruction par la sauvage matière volcanique qui était en ébullition sous sa surface. La Martinique ressentit également le tremblement moral qui venait de produire en France le plus hideux de tous les instruments de la Révolution, la guillotine. La guillotine était devenue l’autel de ce qu’on appelait la liberté nationale, sur lequel la fureur folle et fanatique du peuple sacrifiait à ses nouvelles idoles ceux qui avaient été jusqu’à ce moment ses maîtres et seigneurs, et par la mort desquels il pensait acquérir son éternelle liberté.

Liberté, Egalité, Fraternité ! tel était le cri de. guerre de ce peuple ivre et altéré de sang. Ces mots étaient écrits, comme s’ils l’eussent été dans un esprit de cruelle moquerie, en lettres de sang sur la guillotine, et voyaient la chute du sanglant couteau au moment où il tombait pour couper les têtes des aristocrates, qui, en dépit des principes exprimés par ces trois mots, n’étaient pas admis à jouir de la liberté de penser et de vivre, ni reconnus comme frères.

La fureur révolutionnaire de la France avait passé jusqu’à la Martinique. Elle avait réveillé les esclaves de cette colonie de leur sombre obéissance, et les avait armés contre leurs maîtres. Ils étaient résolus à avoir leur part de cette liberté, de cette égalité et de cette fraternité qui venaient d’être proclamées; mais la torche incendiaire qui était lancée dans la maison des planteurs blancs était une terrible lueur pour souhaiter la bien-venue à la liberté nouvellement née.

La maison de Madame de la Pagerie fut brûlée comme celle de beaucoup d’autres.

Une nuit, Joséphine fut réveillée en sursaut par la livide lueur des flammes, qui avait tout à coup pénétré dans sa chambre à coucher. Elle sauta à bas de son lit en poussant un cri de désespoir, et saisissant Hortense, qui dormait paisiblement à côté d’elle, elle se précipita hors de la maison incendiée, et, avec le courage désespéré d’une mère, elle se fraya un passage à travers la foule de soldats et de nègres qui se battaient et emplissaient la cour. Vêtue seulement d’une légère robe de nuit, elle courut au port, où le capitaine d’un vaisseau, au moment où il mettait le pied dans sa chaloupe pour retourner à bord de son navire, aperçut la jeune femme avec son enfant qu’elle pressait sur son sein, juste comme elle tombait épuisée de peur et de fatigue sur la plage. Ému de compassion, il se hâta de la secourir, et relevant la mère et l’enfant, il les porta à son canot, qui quitta immédiatement la terre et conduisit son précieux fardeau à bord du bâtiment marchand.

Le navire fut bientôt atteint, et Joséphine, serrant son enfant sur son cœur, et heureuse de l’idée d’avoir sauvé ce qu’elle avait de plus cher, grimpa à l’échelle vertigineuse. Toutes ses pensées étaient encore dirigées vers l’enfant, et ce ne fut que lorsque Hortense eut été mise en sûreté dans la cabine, que Joséphine remarqua combien elle était légèrement vêtue. Quand la mère eut accompli son devoir, la femme retrouva tous ses sentiments de pudeur, et elle regarda craintivement et modestement autour d’elle. A moitié vêtue d’une robe de nuit légère et flottante, le col et le sein à peine couverts, si ce n’est par sa longue chevelure flottante, qui l’entourait comme d’un épais voile noir, la jeune Vicomtesse de Beauharnais s’aperçut qu’elle attirait les regards indiscrets de l’équipage et des passagers.

Quelques dames qui se trouvaient à bord pourvurent à ses besoins avec bonté, et à peine sa toilette était-elle achevée, que Joséphine demanda à être ramenée à terre, où elle voulait s’informer du sort qui avait été réservé à sa mère. Le capitaine du navire refusa d’exaucer ses vœux, de peur que la jeune femme ne tombât dans les mains des nègres révoltés, dont on pouvait distinctement entendre les cris hideux. Toute la côte, aussi loin que la vue pouvait atteindre, paraissait en feu, et ressemblait à une seconde mer, à une mer de flammes, dont les vagues furieuses lançaient au loin des colonnes de feu en se heurtant les unes contre les autres. C’était une scène horrible à contempler; et Joséphine, incapable d’y assister plus longtemps, chercha un refuge dans la cabine, où, s’agenouillant à côté de sa fille toute tremblante, elle pria Dieu avec ferveur d’avoir pitié de sa pauvre mère.

Après que le navire eût pris le large, Joséphine remonta de nouveau sur le pont, et regarda encore une fois la maison sous le toit de laquelle elle avait passé les jours de son enfance, et qui s’écroulait alors rapidement sous la fureur des flammes. Comme elle devenait de plus en plus petite à mesure que la distance augmentait, et que finalement elle disparut tout à fait, Joséphine sentit que l’étoile de sa jeunesse venait de s’évanouir, qu’elle venait de terminer une première existence, existence de doux rêves et de cruels désappointements, et qu’elle en commençait une seconde avec des idées et des sentiments bien différents. Le passé, comme le vaisseau de Cortez, avait été détruit par le feu, mais les flammes qui le dévoraient semblaient en ce moment projeter une lueur magique sur l’avenir. Tandis que Joséphine regardait disparaître les rives de son île natale, elle se rappela les paroles d’une vieille négresse qui. peu de jours auparavant, lui avait murmuré une étrange prophétie à l’oreille.

— Tu retourneras en France, — lui avait-elle dit, — et bientôt tu verras ce pays à tes pieds. Tu deviendras reine... même plus qu’une reine!

Mémoires sur la reine Hortense, mère de Napoléon III

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