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VI

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La cloche de la petite église de San Gervasio retentit. Tout le monde se retourna et se tut. Ce son, dans le calme matinal, ressemblait à un cri de colère. Par instants, la voix aiguë, chevrotante, s'apaisait, comme brisée, mais aussitôt reprenait son appel désespéré.

—Jésus, aie pitié de nous! s'écria Grillo s'arrachant les cheveux, c'est notre curé, le père Faustino! Regardez... la foule sur la route... on crie... on nous a vus, on agite les bras. On court ici. Je suis perdu!

De nouveaux personnages arrivèrent près de la colline. C'était le reste des invités aux fouilles arrivés en retard. Ils s'étaient égarés et ne pouvaient retrouver leur route.

Beltraffio leur jeta un coup d'œil, et tout absorbé qu'il fût par la contemplation de la statue, le visage de l'un d'eux le frappa. L'expression de calme attention et de curiosité aiguë avec laquelle l'inconnu se prit à examiner la déesse exhumée, et qui était en si complète opposition avec l'émoi de Giovanni, surprit ce dernier.

Sans lever les yeux fixés sur la statue, il sentait derrière lui l'homme au visage étrange.

—La villa est à deux pas, dit messer Cipriano après un instant de réflexion. Les grilles sont solides et peuvent soutenir tous les assauts...

—C'est vrai! s'écria Grillo ravi. Allons, mes amis! Vivement, enlevons!

Il s'occupait de la conservation de l'idole avec une tendresse paternelle. On transporta la statue sans accident; mais à peine avait-on franchi la porte de la villa qu'apparut la silhouette menaçante du père Faustino, les bras levés au ciel.

Le rez-de-chaussée de la villa était inhabité. L'énorme salle, aux murs blanchis à la chaux, servait de dépôt aux instruments aratoires et aux grands vases de grès contenant l'huile d'olive. Tout un côté était occupé par un tas de paille montant jusqu'au plafond en une masse dorée.

On étendit la statue sur cette paille, humble lit campagnard.

Des cris, des jurons, des coups furieux dans la grille, retentirent.

—Ouvrez! ouvrez! criait le père Faustino. Au nom de Dieu vivant, je vous en conjure, ouvrez!

Messer Cipriano, gravissant l'escalier intérieur, monta jusqu'à une lucarne que protégeaient des barres de fer, contempla les assaillants, se convainquit de leur faible nombre et, avec le sourire qui lui était habituel, plein de rusée politesse, commença les pourparlers.

Le prêtre ne se calmait pas et exigeait la remise de l'idole, qu'il prétendait avoir été déterrée dans le cimetière.

Messer Cipriano se décida à avoir recours à une ruse de guerre, et prononça fermement, avec autorité:

—Prenez garde! j'ai envoyé un courrier à Florence, auprès du chef de la milice: dans une heure il y aura ici un détachement de cavalerie. De force, personne n'entrera impunément dans ma maison.

—Brisez les portes! hurla le prêtre. Ne craignez rien! Dieu est avec nous.

Et arrachant la hache des mains d'un vieillard, il frappa de toutes ses forces.

La foule ne suivit pas son élan.

—Dom Faustino! Eh! dom Faustino! murmurait un paysan en touchant le coude du curé. Nous sommes de pauvres gens... Nous ne remuons pas l'or à la pelle... On nous accusera... On nous ruinera...

Bien des fidèles, entendant parler de la milice, que l'on craignait plus que le diable, ne songeaient qu'à s'éclipser inaperçus.

—Il serait dans son droit si on avait fouillé la terre de l'Église, mais ce n'est pas le cas! disaient les uns.

—Le sillon passe là; ils sont dans leur droit...

—Le droit? La loi? Cela a été écrit pour les puissants, répliquaient d'autres.

—C'est vrai! Mais chacun est maître sur ses terres.

Giovanni contemplait toujours la Vénus.

Un rayon de soleil matinal s'était glissé par une lucarne. Le corps de marbre, encore taché de terre, scintillait comme s'il se réchauffait après un long séjour dans le froid et les ténèbres. Les tiges fines de la paille s'allumaient, entourant la déesse d'une auréole dorée.

Et de nouveau Giovanni regarda l'inconnu.

Agenouillé auprès de la statue, il avait retiré de ses poches un goniomètre, un compas, et avec une expression de curiosité tenace, calme et obstinée dans ses yeux bleus froids et fins, ainsi que sur ses lèvres serrées, il commença de mesurer les diverses parties de ce corps superbe, en inclinant la tête de si près, que sa longue barbe blonde caressait le marbre.

«Que fait-il? Qui est-ce?» songeait Giovanni suivant, avec une surprise effarée, ces doigts alertes et impudents qui touchaient le corps de la déesse, glissaient le long des membres, pénétrant tous les mystères de la beauté, tâtant, examinant les moindres sinuosités, invisibles à l'œil.

Près de la porte de la villa, le nombre des paysans diminuait à chaque instant.

—Fainéants! Vendeurs de Christ! Restez! Vous craignez la milice et vous n'avez pas peur de la puissance de l'Antechrist! pleurait le curé en tendant les bras. «Ipse vero Antechristus opes malorum effodiet et exponet.» Ainsi parle le grand maître Anselme de Cantorbery. «Effodiet,» entendez-vous? «L'Antechrist déterrera les anciens dieux et de nouveau les mettra au jour...»

Mais personne ne l'écoutait.

—Quel terrible père Faustino nous avons! disait en branlant la tête le sage meunier. Son âme ne tient qu'à un fil dans son corps et voyez pourtant comme il se démène! Si on avait encore trouvé un trésor...

—On dit que l'idole est en argent.

—En argent! Je l'ai vue de près: du marbre; et elle est toute nue, l'impudique...

—Le Seigneur me pardonne! Cela ne vaut pas la peine de se salir les mains avec une telle ordure.

—Où vas-tu, Zaccheo?

—Aux champs.

—Bon travail! Moi je vais à mes vignes.

Toute la rage du curé se tourna contre ses paroissiens:

—Ah! c'est ainsi, chiens infidèles, race de Cham! Vous abandonnez votre pasteur! Mais savez-vous seulement, maudite engeance satanique, que si je ne priais pour vous jour et nuit, si je ne me frappais la poitrine, si je ne sanglotais, si je ne jeûnais, votre maudit village serait exterminé par la colère de Dieu! Oui, je vous quitterai, je secouerai de mes sandales votre ignoble terre. Qu'elle soit maudite! Maudit le pain, maudit le vin, maudits les troupeaux et vos enfants et vos petits-enfants! Je ne suis plus votre père, je ne suis plus votre pasteur! Je vous renie! Anathème!

Le Roman de Léonard de Vinci: La résurrection des Dieux

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