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«La chose qui frappe l'air a une force égale à l'air qui frappe la chose.—Tanta forza si fa colla cosa incontro all'aria, quanto l'aria alla cosa.—Tu vois que le battement des ailes contre l'air fait soutenir l'aigle pesant dans l'air le plus haut et le plus raréfié. Inversement, tu vois l'air qui se meut sur la mer, emplir les voiles gonflées et faire courir le navire lourdement chargé. Par ces preuves tu peux comprendre que l'homme avec les grandes ailes, appuyant avec force contre l'air résistant, victorieux pourra le soumettre et s'élever au-dessus de lui[1]

[1] C. A. 372 vo, 1158 vo; 7 P. R., II § 1126.]

Léonard lut ces mots pleins d'espoir, écrits cinq ans auparavant dans un de ses vieux cahiers. A côté, il avait dessiné l'appareil: un timon auquel, à l'aide de tiges de fer, étaient assujetties des ailes, mises en mouvement par des cordes.

Cette machine maintenant lui paraissait difforme et disgracieuse.

Le nouvel appareil rappelait la chauve-souris. La carcasse de l'aile était formée de cinq doigts comme la main d'un squelette; un procédé ingénieux fléchissait les phalanges. Des tendons de cuir tanné et des lacets de soie brute simulaient les muscles et, adaptés à un levier, réunissaient les doigts. L'aile se relevait au moyen d'une bielle. Le taffetas amidonné interceptait l'air, ainsi qu'une palme de patte d'oie s'étendait et se refermait. Quatre ailes, nouées en croix, imitaient l'allure du cheval. Leur longueur était de quarante brasses, leur montée de huit. Se rejetant en arrière elles donnaient la marche en avant; s'abaissant, elles élevaient la machine. L'homme debout passait ses pieds dans les étriers qui faisaient mouvoir les ailes en agissant sur les leviers. Sa tête dirigeait un grand gouvernail garni de plumes, qui jouait le rôle de la queue d'un oiseau.

«L'oiseau privé de pattes ne peut s'envoler faute d'élan. Vois le martinet: s'il est posé à terre il ne peut s'élever parce qu'il a les jambes courtes. Voilà pourquoi deux échelles pour remplacer les pattes.»

Léonard savait par expérience que la perfection d'une machine exigeait l'élégance et les justes proportions observées dans toutes les parties: l'aspect bête des échelles froissait l'inventeur.

Il se plongea dans des déductions mathématiques, chercha l'erreur et ne put la trouver. Et tout à coup il raya d'un trait la page pleine de chiffres minuscules, dans la marge inscrivit: «Non è vero, pas exact», et ajouta en biais, d'une grosse écriture énervée, son juron favori: «Satanasso!—Au diable!»

Les calculs devenaient de plus en plus embrouillés. L'imperceptible erreur prenait des proportions inquiétantes.

La flamme de la bougie sautillait irrégulièrement, agaçant les yeux. Le chat, ayant achevé son somme, sauta sur la table de travail, s'étira, fit le gros dos et commença de jouer avec un oiseau empaillé rongé par les mites et qui servait à l'étude de la pesanteur du vol. Léonard poussa avec humeur le chat qui faillit tomber et miaula plaintivement.

—Allons, c'est bien! Couche-toi où tu veux. Mais ne me gêne pas.

Il caressa tendrement le poil noir de son favori. Des étincelles crépitèrent dans la fourrure. Le chat replia ses pattes de velours, s'étala majestueusement, ronronna et fixa sur son maître ses prunelles vertes pleines de morbidesse et de mystère.

De nouveau s'accumulèrent les chiffres, les ratures, les divisions, les racines cubiques et carrées.

La seconde nuit d'insomnie s'achevait inaperçue.

Revenu de Florence à Milan, Léonard depuis un mois n'était même pas sorti, occupé de sa machine volante.

Des branches d'acacia blanc se faufilaient par la croisée ouverte, égrenant par instants sur la table leurs fleurs délicates et odorantes. Le clair de lune, adouci par des brouillards roux à reflets de nacre, tombait dans la chambre, se mêlant à la lumière rouge de la chandelle.

La pièce était encombrée de machines, d'appareils d'astronomie, de physique, de chimie, d'anatomie. Des roues, des leviers, des ressorts, des hélices, des timons, des pistons et autres accessoires mécaniques—en cuivre, en acier, en verre—pareils à des membres de monstres ou d'insectes géants, saillaient de l'ombre, s'enchevêtrant. Ici, une cloche de plongeur, le cristal irisé d'un appareil d'optique représentant un œil d'immense dimension, le squelette d'un cheval, un crocodile empaillé. Là, dans un bocal plein d'alcool, un fœtus grimaçant, pareil à une grosse larve, des patins en forme de barque pour marcher sur l'eau et, à côté, transfuge de l'atelier de peinture, une charmante tête en terre grise, tête de jeune vierge ou d'ange au sourire malicieux et triste.

Au fond, dans la gueule béante du four en fonte, des charbons rougissaient encore sous les cendres.

Et au-dessus de tout cela, depuis le parquet jusqu'au plafond, s'étendaient les ailes de la machine, l'une encore nue, l'autre recouverte de la membrane. Entre les ailes, par terre, étendu tout de son long, la tête renversée, était couché un homme surpris par le sommeil durant son travail. Dans la main droite, il tenait encore une écope de fer d'où s'échappait l'étain. Une des ailes appuyait l'extrémité de sa carcasse sur la poitrine du dormeur dont la respiration la faisait se mouvoir et bruire, comme si elle était vivante. Dans la lumière incertaine de la lune et de la chandelle, la machine, avec cet homme affalé entre ses ailes, semblait une gigantesque chauve-souris prête à s'envoler.

Le Roman de Léonard de Vinci: La résurrection des Dieux

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