Читать книгу Le Roman de Léonard de Vinci: La résurrection des Dieux - Dimitri Merejkovski - Страница 17

II

Оглавление

Table des matières

La lune pâlit. Des potagers qui entouraient la maison de Léonard, aux environs de Milan, entre la forteresse et le couvent de Maria delle Grazie, monta le parfum des légumes et des herbes, telles que la mélisse, la menthe, le fenouil. Au-dessus de la croisée, les hirondelles jacassaient avant de s'envoler. Dans le vivier voisin, les canards barbottaient et criaient joyeusement.

La flamme de la chandelle s'éteignit. A côté, dans l'atelier, s'entendaient les voix des élèves. Ils étaient deux: Giovanni Beltraffio et Andréa Salaino. Giovanni copiait une figure anatomique. Salaino enduisait d'albâtre une planche de tilleul. C'était un joli adolescent, aux yeux naïfs, aux cheveux bouclés—le favori du maître auquel il servait de modèle pour les anges.

—Croyez-vous, Andrea, demanda Beltraffio, que messer Leonardo aura bientôt terminé sa machine?

—Dieu sait! répondit Salaino en sifflant un air de chansonnette, et retroussant les revers de satin brodés d'argent de ses nouveaux souliers. L'année dernière il a passé deux mois dessus, et il n'en est rien advenu que des rires. Cet ours bancal de Zoroastro avait voulu voler à toutes forces. Plus le maître l'en dissuadait, plus il s'entêtait. Et, imagine-toi, voilà mon âne qui grimpe sur le toit, qui s'enveloppe de vessies de porc pour ne pas se tuer en tombant; il lève les ailes, s'envole, le vent, d'abord, l'emporte et tout à coup, Zoroastro culbute les jambes en l'air et tombe dans un tas de fumier. Le lit était doux, il ne s'est point fait de mal, mais toutes les vessies ont éclaté ensemble, produisant un bruit semblable à une salve d'artillerie, effrayant les corneilles des clochers voisins, pendant que notre nouvel Icare se débattait dans son fumier, sans en pouvoir sortir!

A ce moment dans l'atelier entra le troisième élève, Cesare da Lesto, un homme qui n'était plus jeune, au visage bilieux, au regard intelligent et méchant. Dans une main il tenait un morceau de pain et une tranche de jambon, dans l'autre un verre de vin.

—Pfou! quelle piquette! cracha-t-il en grimaçant. Et le jambon n'est qu'une semelle. N'est-ce pas extraordinaire de toucher deux mille ducats d'appointements par an et de nourrir les gens avec de pareilles ordures!

—Vous auriez dû tirer à l'autre tonneau, celui qui est sous l'escalier, dans le réduit, murmura Salaino.

—J'y ai goûté. Il est pis. Mais, tu as encore une nouveauté? s'étonna Cesare en regardant l'élégant béret de Salaino, en velours pourpre rehaussé d'une plume. Ah! la maison est bien tenue, il n'y a pas à dire. Quelle vie de chien! A la cuisine depuis un mois on ne peut acheter un nouveau jambon. Marco jure que le maître n'a pas un centime, que tout passe à ces damnées ailes qui nous tiennent tous à jeun: et voilà à quoi sert l'argent! On comble de cadeaux les petits favoris! Comment n'as-tu pas honte, Andrea, d'accepter des cadeaux des étrangers, car messer Leonardo n'est ni ton père, ni ton frère et tu n'es plus un enfant...

—Cesare, dit Giovanni pour détourner la conversation, vous m'avez promis de m'expliquer une loi de perspective. Attendre le maître est inutile; il est trop occupé par sa machine...

—Oui, mes enfants, bientôt nous nous envolerons tous sur cette machine, que le diable emporte! Du reste, si ce n'est une chose, ce sera une autre. Je me souviens, au moment où nous travaillions à la Sainte Cène, le maître subitement s'enthousiasma pour une nouvelle machine à préparer la mortadelle. Et la tête de l'apôtre Jacques le Majeur resta inachevée, attendant le perfectionnement du hachis. Une de ses meilleures madones est restée abandonnée dans un coin de l'atelier, pendant qu'il inventait un tournebroche automatique pour cuire d'une façon impeccable les chapons et les cochons de lait... Et cette merveilleuse découverte de la lessive à la fiente de poule! Croyez-moi, il n'existe pas de sottise à laquelle messer Leonardo ne s'adonne avec enthousiasme, ne fût-ce que pour se débarrasser de la peinture.

Le visage de Cesare grimaça, ses lèvres minces se crispèrent en un mauvais sourire:

—Pourquoi Dieu donne-t-il le talent à des gens semblables! murmura-t-il.

Le Roman de Léonard de Vinci: La résurrection des Dieux

Подняться наверх