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IV

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Giovanni était venu de Milan à Florence, envoyé par son oncle Oswald Ingrim, le maître ès vitraux, pour acheter des couleurs spécialement vives et transparentes, telles qu'on ne pouvait en trouver nulle part ailleurs que dans cette ville.

Le maître ès vitraux—magister a vitriacis—natif de Grätz, élève du célèbre artiste de Strasbourg Johann Kirchheim, Oswald Ingrim, travaillait aux vitraux de la chapelle Nord de la cathédrale de Milan. Giovanni, orphelin, fils naturel de son frère le sculpteur Rheinhold Ingrim, avait reçu le nom de Beltraffio, de sa mère, originaire de la Lombardie, femme de mœurs légères au dire d'Oswald et qui avait été le mauvais génie de Rheinhold.

Giovanni, élevé dans la maison de son oncle, en enfant peureux et solitaire, avait l'âme assombrie par les interminables récits d'Oswald Ingrim au sujet des forces impures, telles que les démons, les sorcières et les ogres. Le gamin ressentait une terreur spéciale pour le démon féminin des légendes septentrionales—la Diablesse blanche.

Lorsque, tout enfant, il pleurait la nuit, l'oncle Ingrim le menaçait de la Diablesse blanche et immédiatement Giovanni se taisait, enfouissait la tête sous les couvertures; mais à côté de la peur, naissait chez lui un ardent et curieux désir de voir une fois au moins celle qui lui causait tant d'effroi.

Dès que Beltraffio fut en âge d'apprendre un métier, Oswald le confia à un moine iconographe, fra Benedetto.

C'était un bon et simple vieillard. Il apprit à Giovanni, avant toute chose, au début d'un travail, à appeler la protection de Dieu puissant, de la Vierge Marie, défenderesse des pécheurs, de saint Luc, le premier iconographe chrétien, et de tous les saints du paradis; ensuite à s'orner d'amour, de crainte, d'obéissance et de patience; enfin, à maroufler des toiles avec un jaune d'œuf mêlé au suc lacté des jeunes branches de figuier, délayé dans du vin coupé d'eau; à préparer, pour les tableaux, des planches en bois de figuier ou de hêtre, en les frottant avec de la poudre d'os calcinés et en employant à cet usage des os de poulet ou de chapon ou encore des côtes ou des épaules de mouton.

C'étaient des recommandations infinies. Giovanni savait à l'avance avec quel dédain fra Benedetto dresserait les sourcils quand quelqu'un lui parlerait de la couleur dénommée sang de dragon, sans manquer de répondre: «Laisse-la; elle ne peut t'apporter aucun honneur.» Giovanni devinait que les mêmes paroles avaient dû être prononcées par le professeur de fra Benedetto et par le professeur du professeur de celui-ci.

Aussi invariable était le sourire fier de fra Benedetto lorsqu'il lui confiait les secrets du métier qui semblaient au moine le comble de l'art et de la ruse: tel, par exemple, le principe de prendre, pour les visages jeunes, des œufs de poule citadine, à cause du jaune plus clair, tandis que le jaune plus foncé des œufs de poule villageoise convenait mieux aux chairs vieillies.

En dépit de ces ruses, fra Benedetto restait un artiste naïf comme un enfant; il se préparait à l'ouvrage par des jeûnes et des veilles et, avant de commencer, priait Dieu de lui donner la force et la raison. Chaque fois qu'il peignait le Christ crucifié, son visage s'inondait de pleurs.

Giovanni aimait son maître et l'avait longtemps considéré comme l'un des plus grands artistes. Mais dans les derniers temps, un trouble s'emparait de l'élève quand, expliquant son unique règle d'anatomie—la grandeur du corps de l'homme est de huit fois plus un tiers celle de son visage—fra Benedetto ajoutait, avec le même mépris que pour le sang de dragon: «En ce qui concerne celui de la femme, laissons-le de côté, car il ne contient en soi aucune proportion.» Et il était aussi convaincu de cela que de cette autre tradition qui voulait que chez les poissons et tous les animaux non pensants, le dos soit sombre et le ventre clair; ou que l'homme ait une côte de moins, puisque Dieu avait enlevé une côte à Adam pour créer Ève.

Forcé de représenter les quatre éléments en allégorie, en personnifiant chaque élément par un animal, Fra Benedetto choisit la taupe pour la terre, le poisson pour l'eau, la salamandre pour le feu et le caméléon pour l'air. Mais s'imaginant que le mot caméléon était un superlatif de camello, qui veut dire en italien «chameau», le moine dans la simplicité de son cœur avait représenté l'air sous l'aspect d'un chameau ouvrant la gueule pour mieux respirer. Et lorsque les jeunes artistes se moquèrent de lui en lui signalant son erreur, il supporta leurs plaisanteries avec une humilité chrétienne, tout en gardant sa conviction qu'il n'y avait pas de différence entre un chameau et un caméléon.

Toutes les autres connaissances du moine en histoire naturelle étaient au même niveau.

Depuis longtemps des inquiétudes s'étaient glissées dans l'esprit de Giovanni: «Le démon de la science humaine», disait le moine. Mais quand, avant son départ pour Florence, l'élève de fra Benedetto eut l'occasion de voir des dessins de Léonard de Vinci, tous ces doutes envahirent son âme avec une telle force, qu'il ne put y résister. Cette nuit-ci, couché auprès de messer Giorgio qui ronflait paisiblement, pour la millième fois Giovanni remuait ces pensées, mais plus il les approfondissait et plus il les embrouillait. Alors il résolut de recourir au pouvoir céleste et fixant un regard plein d'espoir, dans l'impénétrable obscurité, il pria:

—Seigneur, aide-moi et ne m'abandonne pas! Si messer Leonardo est réellement un athée et que sa science contienne le péché et la tentation, fais en sorte que je ne songe plus à lui et que j'oublie ses dessins.

Éloigne de moi les tentations, car je ne veux pas pécher. Mais si, sans te déplaire et glorifiant ton nom, il est possible d'apprendre, dans le noble art de la peinture, tout ce que fra Benedetto ignore et que je désire tant savoir: l'anatomie, la perspective, les merveilleuses lois des ombres et des lumières—alors, ô Seigneur, donne-moi la volonté inébranlable, éclaire mon âme afin que je ne doute plus; fais en sorte que messer Leonardo me prenne pour élève et que fra Benedetto—si bon—me pardonne et comprenne que je ne suis pas fautif devant toi.

Sa prière achevée, Giovanni ressentit un soulagement et se calma. Ses pensées s'embrouillèrent: il se rappelait le bruit de la pointe émeri rougie à blanc, coupant le verre; il voyait les bandes de plomb se découper en fins copeaux pour encadrer les vitraux. Une voix, ressemblant à celle de son oncle, disait: «Plus d'ébréchures, plus d'ébréchures sur les bords, le vitrail tiendra mieux», et tout disparut. Il se tourna sur le côté et s'endormit. Giovanni eut un songe qu'il se rappela souvent par la suite: il lui semblait qu'il était dans l'obscurité, au milieu d'une cathédrale, devant une grande fenêtre à verres multicolores. Le vitrail représentait la récolte de la vigne mystérieuse dont il est dit dans l'Évangile: «Je suis la vigne de la vérité et mon Père est mon vigneron.» Le corps du Crucifié reposait nu sous la meule et le sang coulait de ses plaies. Les papes, les cardinaux, les empereurs, le recueillaient et roulaient des fûts. Les apôtres apportaient les grappes que saint Pierre piétinait. Dans le fond, les prophètes et les patriarches binaient les ceps ou coupaient le raisin. Et, portant une cuve de vin, passa un chariot attelé d'animaux évangéliques: le lion, le taureau, l'aigle, que conduisait l'ange de saint Matthieu. Giovanni avait vu des vitraux avec de semblables allégories dans l'atelier de son oncle. Mais jamais il n'avait vu de telles couleurs—sombres et lumineuses comme des pierres précieuses. Celle qu'il admirait le plus était le sang vif du Sauveur. Du fond de la cathédrale parvenaient, éteints et doux, les sons de sa chanson favorite:

Le Roman de Léonard de Vinci: La résurrection des Dieux

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