Читать книгу Le Roman de Léonard de Vinci: La résurrection des Dieux - Dimitri Merejkovski - Страница 18
III
ОглавлениеCependant Léonard était toujours courbé au-dessus de sa table de travail.
Une hirondelle entra par la croisée ouverte, tourbillonna dans la chambre, se heurta au plafond et aux murs, et enfin se prit dans l'aile de la machine comme dans un filet, se débattit sans pouvoir en sortir.
Léonard s'approcha, désemprisonna l'oiselet avec précaution, la prit dans sa main, embrassa sa petite tête noire et lui donna la volée.
L'hirondelle prit son élan et disparut avec un cri heureux.
«Comme c'est facile, comme c'est simple!» pensa Léonard en la suivant d'un regard envieux. Puis il contempla sa machine avec dépit et dégoût.
L'homme qui dormait s'éveilla.
C'était l'aide de Léonard, un habile mécanicien fondeur florentin, nommé Zoroastro ou plutôt Astro da Peretola. Il sauta et se frotta son œil unique, l'autre ayant été brûlé par une étincelle. Ce difforme géant, au visage enfantin toujours couvert de suie, ressemblait à un cyclope.
—J'ai dormi! s'écria le fondeur désespéré en secouant sa tête chevelue. Que le diable m'emporte! Ah! maître, pourquoi ne m'avez-vous pas éveillé? Je me hâtais, espérant avoir terminé ce soir, pour voler demain matin...
—Tu as bien fait de dormir, murmura Léonard. Ces ailes ne valent rien.
—Comment? Encore! A votre idée, messer, moi, je ne retoucherai rien à cette machine. Que d'argent, que de peines! Et de nouveau tout s'en va en fumée! Que faut-il encore? Mais ces ailes enlèveraient un homme, même un éléphant! Vous verrez, maître. Permettez-moi de les essayer une fois... Au-dessus de l'eau... Si je tombe, j'en serai quitte pour un plongeon... je ne me noierai pas...
Il croisa ses mains, suppliant.
Léonard secoua négativement la tête.
—Attends, mon ami. Tout viendra à point. Plus tard.
—Plus tard! gémit le fondeur. Pourquoi pas maintenant? Vraiment, messer, aussi vrai qu'il y a un Dieu au ciel, je volerai.
—Non, Astro, tu ne voleras pas. La mathématique...
—J'en étais sûr! A tous les diables votre mathématique! Elle ne sert qu'à vous troubler. Que d'années nous nous surmenons! L'âme en est malade. Chaque stupide moustique, mite, mouche, mouche à fumier—Dieu me pardonne!—ignoble et sale, peut voler, et les hommes rampent comme des vers? N'est-ce pas un affront? Et attendre quoi? Les voilà, les ailes! Tout est prêt, il me semble. Avec une bonne bénédiction, je prendrais mon élan et je m'envolerais!
Tout à coup, il se souvint de quelque chose et son visage rayonna.
—Maître? que je te dise. Quel rêve superbe j'ai eu aujourd'hui!
—Tu volais encore?
—Oui, et de quelle manière! Écoute seulement. Je me tenais au milieu de la foule dans un lieu inconnu. Tout le monde me regarde, me montre au doigt, rit. «Ah! me dis-je, si je ne vole pas!...» Je saute, j'agite mes bras tant que je peux et je commence à monter. Au début je peinais comme si j'avais une montagne sur les épaules. Puis, peu à peu, je me sentis plus léger. Je me suis élancé, je faillis m'assommer contre le plafond. Et tout le monde de crier: «Regardez, il vole!» Comme un oiseau je passe par la croisée et je monte toujours plus haut et plus haut vers le ciel. Le vent siffle à mes oreilles et je suis gai et je ris. «Pourquoi ne savais-je pas voler avant? me dis-je. En avais-je perdu l'habitude? C'est si facile! Et il ne faut pour cela aucune machine!»