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V

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La pluie avait cessé. Le vent du nord chassait les nuages. Dans le ciel sans lune, les étoiles clignotaient comme de petites lampes soufflées par la brise.

Les torches résineuses fumaient et crépitaient, projetant des étincelles. Suivant la rue Ricasoli, devant San Marco, ils approchèrent de la tour dentelée qui défend la porte San Gallo. Les gardiens, endormis, discutèrent longtemps, jurant, ne comprenant pas de quoi il s'agissait et grâce seulement à un généreux pourboire, consentirent à les laisser sortir de la ville.

La route, très étroite, suivait la vallée du Munione. Évitant plusieurs villages pauvres à ruelles serrées ainsi que celles de Florence, à maisons hautes comme des forteresses, bâties en pierres mal équarries, les voyageurs pénétrèrent dans le champ d'oliviers appartenant aux habitants de San Gervasio, descendirent de cheval au rond-point des deux routes et à travers les vignes de messer Cipriano, atteignirent la colline du Moulin.

Des ouvriers armés de pelles et de pics les attendaient.

Derrière la colline, du côté des marais de la «Grotte Humide» se dessinaient vaguement dans l'obscurité, les murs de la villa Buonaccorsi. En bas, sur le Munione, se dressait un moulin à eau. De fiers cyprès noircissaient le haut de la colline.

Grillo indiqua l'endroit où, d'après lui, on devait creuser. Merula désigna un autre emplacement, au pied de la colline, où l'on avait trouvé la main de marbre. Et le principal ouvrier, le jardinier Strocco, assurait qu'il fallait fouiller en bas, près de la Grotte Humide, «les impuretés ayant une préférence marquée pour les marais».

Messer Cipriano ordonna de creuser là où conseillait Grillo.

Les pics résonnèrent. Cela sentit la terre fraîchement remuée. Une chauve-souris effleura le visage de Giovanni. Il frissonna.

—Ne crains rien, moinillon, ne crains rien! dit pour l'encourager Merula en frappant amicalement sur son épaule. Nous ne trouverons aucun diable. Si encore cet âne de Grillo... Gloire à Dieu, nous avons assisté à d'autres fouilles! Par exemple, à Rome, dans la quatre cent cinquantième olympiade—Merula employait toujours la chronologie antique—sous le pape Innocent VIII, sur la voie Appienne, près du tombeau de Cecilia Metella, dans un ancien sarcophage romain portant l'inscription: «Julie, fille de Claude», les terrassiers lombards ont trouvé le corps, couvert de cire, d'une jeune fille de quinze ans qui paraissait endormie. Le rose de la vie était encore sur ses joues. On aurait cru qu'elle respirait. Une foule incalculable entourait son cercueil. Des pays lointains, on venait la voir, tant Julie était belle; si belle que si l'on n'avait décrit sa beauté, ceux qui ne l'ont pas vue n'y croiraient guère. Le pape s'effraya, en apprenant que le peuple adorait une païenne morte, et ordonna de l'enterrer une nuit, mystérieusement... Voilà, mon petit frère, quelles fouilles on fait parfois!

Merula regarda dédaigneusement la fosse qui s'agrandissait rapidement. Tout à coup, la pioche d'un ouvrier sonna. Tous se penchèrent.

—Des os! dit le jardinier. Le cimetière s'étendait jadis jusqu'ici.

A San Gervasio, un chien hurla.

«On a profané une tombe, songea Giovanni. Mieux vaudrait fuir le péché...»

—Un squelette de cheval, annonça Strocco, ironique, en jetant hors de la fosse un crâne long à demi pourri.

—En effet, Grillo, je crois que tu t'es trompé, dit messer Cipriano. Si l'on essayait ailleurs?

—Parbleu! quelle idée d'écouter un imbécile! déclara Merula.

Et, prenant deux ouvriers, il alla creuser en bas, au pied de la colline. Strocco emmena également plusieurs hommes pour tenter des fouilles près de la Grotte Humide. Au bout de quelque temps, messer Giorgio s'écria triomphant:

—Voilà, regardez! Je savais bien où il fallait creuser!

Tout le monde se précipita vers lui. Mais la trouvaille n'était pas curieuse: l'éclat de marbre était une simple pierre. Cependant, personne ne retournait vers Grillo qui, se sentant déshonoré, au fond de son trou, éclairé par une lanterne, continuait son travail.

Le vent s'était calmé. L'air se réchauffait. Le brouillard se leva au-dessus de la Grotte Humide. L'atmosphère était imprégnée d'odeurs d'eau stagnante, de narcisses et de violettes. Le ciel devint plus transparent. Les coqs chantèrent pour la seconde fois. La nuit était sur son déclin.

Subitement, du fond du trou où se tenait Grillo, partit un appel désespéré:

—Oh! oh! tenez-moi, je tombe, je me tue!

Tout d'abord, on ne put rien distinguer dans l'obscurité, la lanterne de Grillo s'étant éteinte. On entendait seulement le malheureux se débattre, respirer péniblement et se plaindre. On apporta d'autres lanternes, et à leur lueur on aperçut la voûte de briques d'un souterrain, qui sous le poids de Grillo s'était effondrée.

Deux jeunes et forts gaillards descendirent dans la fosse.

—Où es-tu, Grillo? Donne ta main. Es-tu vraiment blessé, malheureux?

Grillo ne disait mot et oubliant la douleur de son bras—il le croyait cassé, mais il n'était que démis—tâtait, rampait et remuait étrangement dans le souterrain. Enfin, il cria joyeusement:

—L'idole! l'idole! messer Cipriano, une splendide idole!

—Ne crie pas tant! mâchonna Strocco, incrédule; encore quelque crâne de mulet.

—Non, non. Mais il manque une main... les pieds, le corps, la poitrine sont intacts, murmurait Grillo, essoufflé de bonheur.

S'attachant des cordes sous les bras afin de ne pas descendre sur la voûte friable, les ouvriers glissèrent dans le trou et avec précaution commencèrent à tirer les briques couvertes de moisissure.

Giovanni, à moitié étendu par terre, regardait, entre les dos courbés des hommes, dans le souterrain d'où soufflait un air renfermé et un froid sépulcral.

Lorsque la voûte fut démontée, messer Cipriano dit:

—Écartez-vous. Laissez voir.

Et Giovanni vit au fond du trou, entre les murs de briques, un corps blanc et nu, couché comme dans une tombe, paraissant rose, vivant et chaud sous le reflet vacillant des torches.

—Vénus! murmura messer Giorgio dévotieusement. Vénus de Praxitèle! Je vous félicite, messer Cipriano. Vous ne pourriez vous estimer plus heureux, même si l'on vous donnait le duché de Milan et Gênes par-dessus le marché.

Grillo sortit avec peine, bien que sur son visage sali de terre coulât un filet de sang provenant d'une blessure au front, et qu'il ne pût remuer son bras démis, dans les yeux du vieillard brillait la fierté du vainqueur.

Merula courut à lui.

—Grillo, mon ami, mon bienfaiteur! Moi qui te traitais d'imbécile!... toi, le plus intelligent d'entre les hommes!

Et il l'embrassa avec tendresse.

—L'architecte florentin, Filippo Brunelleschi, continua Merula, a également découvert sous sa maison, dans un caveau identique, une statue de marbre du dieu Mercure: probablement à cette époque, lorsque les chrétiens triomphaient des païens et détruisaient les idoles, les derniers adorateurs des dieux, chérissant la perfection des statues antiques et désirant les sauver, les cachaient dans ces sortes de tombeaux.

Grillo écoutait, souriait béatement et ne s'apercevait pas que la flûte du pâtre fêtait le réveil des champs, que les moutons bêlaient, que le ciel pâlissait de plus en plus et qu'au loin, au-dessus de Florence, les voix tendres des cloches échangeaient leur salut matinal.

—Doucement, doucement! Plus à droite, plus loin du mur, commandait Cipriano aux ouvriers. Chacun de vous recevra cinq grossi argent, si vous me la tirez de là intacte.

La déesse montait lentement. Avec le même sourire que jadis à sa naissance de l'onde, elle sortait des ténèbres de la terre où elle gisait depuis mille ans.

—Gloire à toi, Aphrodite aux pieds d'or,

Joie des dieux et des mortels!...

Ainsi l'accueillit Merula.

Toutes les étoiles s'étaient éteintes, sauf celle de Vénus, jouant, tel un diamant, dans l'aube. A sa rencontre, la tête de la déesse se montra au bord de sa tombe.

Giovanni regarda son visage et murmura, pâle d'effroi:

—La Diablesse blanche!

Il se leva, voulut fuir. Mais la curiosité vainquit la peur. Et lui aurait-on dit qu'il commettait un péché mortel pour lequel il serait puni des flammes éternelles, il n'aurait pu détacher ses regards de ce corps pudiquement nu, de ce visage superbe. Aux temps où Aphrodite dominait le monde, personne ne l'avait jamais contemplée avec un amour plus dévot.

Le Roman de Léonard de Vinci: La résurrection des Dieux

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