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3.1. Hermann Siegfried (1866–1879)

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Né le 14 février 1819, Hermann Siegfried était avant tout un scientifique.51 Après avoir été maître d’école, il a étudié les sciences naturelles, puis les mathématiques supérieures à Genève. Incorporé dans l’arme du génie, il a suivi les cours de l’Ecole militaire de Thoune en 1844, où il fut l’élève de Dufour. La même année, il devint son collaborateur au Bureau topographique fédéral installé à Genève. Cette institution avait été créée par Dufour en 1838. Elle avait pour mission d’établir les mensurations de la Suisse et de réaliser une carte du pays, tâche qui avait été confiée en 1822 au quartier-maître fédéral par la Diète. Siegfried travailla au Bureau topographique fédéral jusqu’en 1862.

Il poursuivit sa carrière professionnelle à l’Etat-major fédéral, où il était entré en 1848. Nommé officier instructeur de la division du génie de cette institution en 1860, il conserva cette fonction jusqu’en 1865. Durant cette période, il donna de nombreux cours techniques – balistique, géodésie, cartographie, topographie, fortifications – dans les écoles centrales. En 1863, Siegfried fut chargé par le Conseil fédéral de préparer la mise sur pied d’un Etat-major général moderne.52 Les études qu’il réalisa le menèrent en France et en Allemagne. Elles débouchèrent sur la création du Bureau d’état-major en 1865. Siegfried fut nommé à la tête de la nouvelle institution et il remplaça également Dufour comme directeur du Bureau topographique, dont il transféra le siège à Berne en 1867. Durant les deux mobilisations de 1866 et de 1870 –1871, il fut intégré à l’Etat-major de l’armée, la deuxième fois en tant que chef de la Section topographique. Siegfried mourut le 5 décembre 1879, après une maladie qui l’obligea à rester chez lui durant six mois.

Siegfried partageait son temps entre la direction du Bureau d’état-major et celle du Bureau topographique. Il est avant tout connu pour les réalisations cartographiques qu’il a dirigées dans le cadre de cette institution. Après avoir participé aux travaux de la carte Dufour à l’échelle 1:100 000, effectués entre 1845 et 1864, il mit en chantier l’atlas qui porte son nom. Commencé en 1870, celui-ci comprend une carte à l’échelle 1:25 000 et une carte à l’échelle 1:50 000. Cette œuvre ne fut achevée qu’en 1926.

En tant que premier chef du Bureau d’état-major, Siegfried eut pour mission d’organiser et de mettre en place la nouvelle institution.53 Cette tâche fut ralentie par la difficulté de réviser la loi sur l’organisation militaire de 1850. Après l’échec du projet législatif de Welti en 1868 et celui du projet de Constitution fédérale de 1872, il fallut attendre l’acceptation de la Constitution de 1874 pour qu’une nouvelle organisation du Bureau d’état-major puisse voir le jour. Celle-ci fut inscrite dans la loi sur l’organisation militaire du 13 novembre 1874. Siegfried partait de rien ou presque et sa tâche était immense. Il devait en même temps organiser le Bureau d’état-major, l’Etat-major général et l’Etat-major de l’armée, former les officiers EMG et préparer les plans de mobilisation et de concentration de l’armée. Durant les premières années, il eut à lutter contre les problèmes de locaux, le manque de personnel – nombre d’officiers EMG étaient instructeurs et ne furent disponibles qu’après la mise en place des cours d’instruction des arrondissements de division – et les restrictions budgétaires. Enfin, la réforme militaire de 1874 entraînait des changements fondamentaux dans l’organisation de l’armée. Le Bureau d’état-major ne pouvait donc pas reprendre les anciens travaux et les adapter. Ces changements ne se firent que petit à petit, ce qui ne facilita pas les travaux de planification.

Siegfried réussit à donner une première organisation au Bureau d’état-major et à répartir les activités entre ses sections dès la fin du mois de février 1875 par une instruction provisoire qui est, cependant, restée en vigueur jusqu’à sa mort.54 En revanche, il ne parvint pas à régler la question de l’organisation de l’Etat-major de l’armée.55 Il rencontra l’opposition du chef d’arme de l’infanterie, Feiss, et ce fut son successeur, von Sinner, qui réussit à faire passer ses conceptions dans l’ordonnance sur l’organisation de l’Etat-major de l’armée, qui fut acceptée par le Conseil fédéral le 7 mai 1880. En matière d’instruction, la première tâche de Siegfried fut de mettre à niveau les connaissances des officiers et des candidats EMG, surtout dans les domaines de la tactique et du service d’état-major.56 Siegfried comptait sur leur formation civile ainsi que sur une importante préparation personnelle. De plus, il sut être très souple dans l’organisation et le contenu des cours dispensés dans les écoles d’état-major général.


Illustration 2: Hermann Siegfried, chef du Bureau d’état-major (1866–1879). Archives fédérales.

En ce qui concerne les travaux de mise sur pied de l’armée et de défense du pays, Siegfried fut confronté à deux grands défis. Le premier était celui de la mobilisation.57 L’article 75 de la loi sur l’organisation militaire du 13 novembre 1874 confiait la préparation de cette dernière au Bureau d’état-major. Diverses autres tâches afférentes à cette question relevaient toutefois du chef d’arme de l’infanterie. Au printemps 1877, la conférence des chefs d’arme et de division clarifia la situation et ce fut le Bureau d’état-major qui reçut la totalité des tâches de planification de la mobilisation. En 1876–1877, Siegfried avait déjà mis au point un premier projet de mobilisation qui s’inspirait des principes employés jusqu’alors. Il prévoyait un rassemblement et un équipement décentralisés des bataillons. Le travail fut approfondi par le major Arnold Keller, futur chef de l’Etat-major général, et il aboutit à la rédaction d’une instruction sur la mobilisation.

Le second défi important auquel Siegfried avait à faire face était l’évaluation de la menace militaire française et l’établissement de plans de défense correspondants.58 La réalisation du système fortifié Séré de Rivières, avec ses constructions aux abords de la frontière suisse, et le développement du réseau ferroviaire dans l’est de la France furent perçus comme une menace significative par l’Etat-major général suisse. Cette perception n’avait rien à voir avec la réalité et elle découlait d’un problème d’organisation et de fonctionnement du Service de renseignements.59 Les structures et les méthodes de travail souffraient, probablement davantage encore que les autres activités, du manque de moyens et de l’inexpérience du Bureau d’état-major. Dans ses analyses, Siegfried fut généralement plus proche de la réalité que ses collaborateurs, mais, lui aussi victime du poids de l’histoire, il avait de la peine à croire aux intentions pacifiques de la France, même s’il considérait que les nouvelles fortifications avaient un rôle purement défensif.

Quant aux plans de défense, on ne peut pas dire que Siegfried en mit réellement un au point.60 En 1874, il disposait d’un certain nombre de documents, plus ou moins travaillés, comme son mémoire de 1872 ou le plan du colonel Louis de Perrot. Toutefois, la nouvelle organisation militaire rendait ces différents documents caducs et il était difficile d’établir un plan détaillé avant qu’elle ne soit totalement mise en place. De plus, le Bureau d’état-major était surchargé de travail, ayant tout à réaliser, notamment un plan de mobilisation, préalable indispensable, si l’on voulait mettre au point des plans de concentration détaillés. Il manquait également de données pour effectuer le travail, particulièrement en ce qui concernait la géographie militaire. Il fallait donc d’abord effectuer de nombreuses reconnaissances dans le terrain et des études préalables avant de disposer des informations indispensables. Enfin, comme le souligne Hans Rapold, Siegfried n’était pas un véritable stratège, mais un technicien, davantage passionné par les questions d’organisation et de fortifications.61 Cette opinion est d’ailleurs corroborée par l’attaché militaire français à Berne, le capitaine d’Aiguy qui, dans son rapport du 20 octobre 1877, mentionnait les qualités scientifiques de Siegfried, tout en précisant qu’il ne croyait pas qu’il «aurait, en campagne, les qualités requises pour un bon chef d’Etat-major général».62

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