Читать книгу La Suisse entre quatre grandes puissances - Dimitry Queloz - Страница 34
4.2. Les méthodes de travail
ОглавлениеLa méthode de travail employée consistait avant tout à analyser les possibilités de l’adversaire potentiel, plutôt que ses intentions.114 L’importance accordée à la géographie militaire, avec un accent mis sur l’étude des lignes de communication, les sources employées et les moyens à disposition pour obtenir des renseignements, sont en grande partie responsables de ces pratiques. L’Etat-major général se basait en effet sur des publications diverses, livres, actes législatifs ou périodiques, traitant des questions militaires et politiques. Il employait également les rapports des officiers envoyés ponctuellement à l’étranger, pour assister aux grandes manœuvres ou pour effectuer des reconnaissances spéciales.
Ces sources présentaient un grand intérêt, mais aucune d’entre elles ne permettait d’obtenir des renseignements précis et continuels offrant la possibilité de saisir les intentions des principaux dirigeants politiques et militaires des pays voisins. Les méthodes employées pour pallier ces carences donnèrent peu de résultats. La prise en compte de déclarations publiques ou d’écrits de personnages de seconde importance contribua le plus souvent à fausser les analyses de l’Etat-major général. Quant à la méthode historique, son emploi ne fut pas des plus judicieux. Dans les études sur la menace française, par exemple, le souvenir des ambitions expansionnistes des périodes impériales plomba littéralement la réflexion de l’institution. Dans la deuxième partie de notre étude, nous en verrons quelques exemples, ainsi que les problèmes qui en découlèrent pour la planification de la mobilisation et de la concentration de l’armée.
Les insuffisances du Service de renseignements étaient connues de l’Etat-major général et tant Pfyffer que Keller ont cherché à y remédier.115 Les difficultés pour parvenir à mettre sur pied un service véritablement efficace étaient nombreuses. La première résidait dans le manque de moyens à disposition. Outre l’aspect financier, c’était l’absence d’une structure permanente, organisée dès le temps de paix avec un personnel suffisant, qui était soulignée. Keller le regrettait d’autant qu’il considérait que le renseignement était un domaine de la défense plus difficile à organiser que les autres. De la faiblesse de la structure et de sa jeunesse découlaient des problèmes d’organisation, de méthodes et de possibilité de travail. L’Etat-major général mit du temps à se constituer une banque de données utilisable pour ses activités. L’archivage et le classement des documents selon des critères fonctionnels n’allaient pas de soi. Jusqu’en 1875, moment de la réorganisation de l’Etat-major général par Siegfried, les mémoires concernant la géographie militaire, réalisés dans le cadre de l’institution, étaient rangés dans l’ordre où ils avaient été écrits.116 A partir de cette date, les suivants ont été classés par secteurs géographiques. Par ailleurs, même les documents présentant la plus haute importance n’étaient pas systématiquement conservés. Ainsi, lorsqu’en 1895 Keller voulut se documenter sur le problème de la neutralisation de la Savoie, il ne retrouva pas les plans d’occupation élaborés par le général Herzog au cours de l’hiver 1870–1871 et il dut faire recopier le manuscrit qui se trouvait entre les mains de la famille de ce dernier.117
Le deuxième problème était lié au faible développement des réseaux d’agents en Suisse et à l’étranger. A la fin du XIXe siècle, la Suisse ne possédait pas de véritable réseau diplomatique dont le personnel aurait pu être employé en tant qu’agents de renseignement.118 Elle n’entretenait qu’un nombre restreint de diplomates, consuls ou ministres, et ne disposait pas d’attachés militaires. Les renseignements fournis par ces personnes ne présentaient, le plus souvent, qu’un intérêt très limité au point de vue militaire même si, à certaines occasions, ils purent avoir une importance significative. Enfin, se posait un dernier problème, d’ordre culturel. La Suisse ne possédait aucune culture politique en matière de renseignements et ne comprenait pas les pratiques des services des grandes puissances, notamment le secret des activités. A l’instar de ce qui se passait dans le domaine de la diplomatie, peu de dirigeants suisses comprenaient que, pour être efficace, un service de renseignements helvétique devait être constitué selon les mêmes principes que ceux des grands Etats.