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VI

Table des matières

Souvenez-vous!

Souvenez-vous que vous avez été esclaves dans la terre d’Egypte.

Quand vous aurez été délivrés (car vous le serez par ceux dont les cœurs survivent), no vous enorgueillissez pas; ne vous enflez pas aussitôt d’un superbe dédain contre vos libérateurs. Ne dites pas: «Nous avons la sagesse, sans avoir rien appris; que notre bouche s’ouvre, et la vérité en sortira. C’est à la terre et au ciel à faire silence devant nous.»

Mais, au contraire, regardez en arrière vers les jours que vous aurez traversés. Souvenez-vous que, dans l’esclavage, vous avez eu le cœur servile; que vous avez été durs pour ceux qui se sont offerts à souffrir à votre place; que vous avez été humbles devant le plus fort qui vous crachait au visage. Vous l’avez même acclamé, comme on acclame ceux qui apportent le bon droit, la justice. Vous avez vu un homme couvert d’un masque ridicule et hideux; et parce qu’il avait pris des oripeaux, sur un théâtre, et, dans un tombeau, le lambeau d’une capote grise, quoiqu’il fût, dans l’âme, plus mort, plus cadavéreux cent fois que celui qu’il avait dépouillé dans le sépulcre, vous avez crié : Voilà le mort de Sainte-Hélène qui reparait! Et vous vous êtes courbés sous ce mensonge; vous avez adoré le masque et vous vous êtes fait les esclaves du parjure; vous n’avez plus distingué l’acteur du héros; et suivant, comme des limiers qui cherchent pâture, cette ombre menteuse, vous avez entraîné les autres dans la même déchéance; en sorte qu’il y eut un moment où le monde entier fut abusé par vous, et il n’y eut pas un coin de la terre qui ne fût flétri, à votre exemple.

Souvenez-vous que quand on parlait devant vous de vos frères qui avaient été bannis, ou transportés dans les déserts, où ils étaient morts de la mort sèche qui ne fait pas de bruit, vous imitiez les anciens rois dont vous aviez médit si longtemps, et vous répondiez comme eux: «Je ne sais; personne ne me l’a dit; la chose est sans doute exagérée.»

Ou encore: «Il n’y a pas de bannis. Après tout, de quoi se mêlaient-ils? C’étaient des ambitieux qui n’ont que ce qu’ils méritent.»

Voilà ce que vous répondiez, en sifflant, et en branlant la tête.

Souvenez-vous que pour vous faire renier ce que vous aviez juré, il n’a fallu que vous le commander.

Vous avez renié au chant du coq, devant Ponce Pilate, devant le soldat, et surtout devant la servante; et vous n’en avez même ressenti aucune douleur.

On vous a commandé de donner votre suffrage à celui qui vous foulait aux pieds, et vous l’avez fait; de proscrire par là tous vos amis, et vous l’avez fait; de renverser le travail de tous ceux qui ont concouru, même avant votre naissance, à votre affranchissement, et vous l’avez fait; de conspuer tous ceux qui avaient juré pour vous, devant les autres peuples, de vous liguer avec les ennemis éternels de toute liberté, de toute dignité, et vous l’avez fait!

Quand votre cœur sera près de s’enfler, rappelez-vous toutes ces choses, et d’autres que je n’ajoute pas. Alors vous serez humbles, comme il est nécessaire que vous le soyez, pour ne pas retomber. Vous accepterez la victoire comme un don que vous vous efforcerez de mériter. Vous vous étonnerez d’être libres et vous craindrez de cesser de l’être.

Le souvenir de vos reniements n’ira pas jusqu’à vous avilir le cœur et à vous décourager pour l’avenir; mais vous prendrez en dégoût les vaines déclamations; vous sentirez que rien n’est plus factice que votre souveraineté, en pensant que vous l’avez vendue pour un plat de lentilles. Vous aurez une juste horreur des mots gonflés dont vous vous êtes si longtemps rassasiés; et vous ferez plus de cas de la plus petite action honnête et simple, que de toutes les paroles magnifiques qui vous ont amusés et enchaînés.

Malgré ses reniements, saint Pierre a pu se racheter; et vous aussi, vous travaillerez à vous racheter des vôtres. Vous ne déclamerez plus.

Le livre de l'exilé, 1851-1870

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