Читать книгу Le livre de l'exilé, 1851-1870 - Edgar 1803-1875 Quinet - Страница 19
ОглавлениеCe qui soutient les Bannis.
Immotus his et paululum in publico versatus, post domi secretus animum adversum suprema firmabat.
(TACITE, Annales, lib. xx, c. 59,)
Le Deux Décembre, excellent commentaire de Tacite. Nous savons maintenant pourquoi tant d’honnêtes gens, et des gens de cœur, ont accepté avec une si extraordinaire résignation l’emprisonnement, l’exil, la mort. Paululum in publico versatus.
Ils avaient vu l’indifférence ou la lâcheté du peuple, ils savaient que les masses étaient complices du crime, au moins par l’inertie. Ils avaient entendu, sur les places publiques, le mot de la foule servile, que moi aussi j’ai entendu: Voilà qui est parlé chicard! () Après avoir parcouru la ville et tâté le peuple, ils rentraient dans leurs maisons et y attendaient le tribun qui leur apportait le bannissement ou le conseil de mourir. Point de révoltes, point de tentatives de résistance. La base manquait à leurs efforts. Ils se sentaient impuissants par l’impuissance générale. Ils s’ouvraient les veines, ils achevaient de vivre plutôt qu’ils ne se sentaient mourir. Quand arrivait le tribun ou le centurion, il y avait longtemps que le coup avait été frappé au cœur. Le corps seul subsistait encore.
Quelle vie restait à Thraséas, Sénèque et tant de personnages consulaires, débris du parti républicain? Il y avait de longues années que ces hommes avaient goûté la mort, quand venait l’ordre de mourir. Ils avaient cessé d’espérer. Une piqûre à une veine et un bain tiède faisaient disparaître sans bruit, sans éclat, le peu qui restait d’eux-mêmes. Depuis longtemps morts à toute espérance, à toute vie publique, ils s’évanouissaient; le sang de leurs veines coulait comme l’eau, et ils ne le sentaient plus couler.
Tel était frappé sous Néron, sous Tibère, qui avait cessé de vivre sous Auguste.
Pourquoi, dans des circonstances semblables, n’y a-t-il pas de suicides parmi nous? Le prince n’est-il pas aussi odieux? le peuple aussi indifférent? l’avenir aussi pesant? De tant d’exilés, déportés, transportés, pas un n’a renoncé volontairement à la vie. Qu’est-ce qui soutient ces bannis? Est-ce l’espérance qui subsiste encore? Sans doute.
Chose extraordinaire! dans une situation où les Romains embrassaient la mort comme le seul refuge, il ne s’est pas trouvé parmi nous un seul exemple de mort volontaire.
Les Romains savaient que le bras du prince les atteindrait partout, qu’aucune retraite, aucun rocher ne les mettrait à l’abri de sa cruauté. De plus, ils voyaient la complaisance du peuple pour la tyrannie; et c’est là ce qui leur ôtait tout désir de survivre. Soit illusion, soit conscience de l’avenir, les nôtres conservent l’espoir d’un retour de la fortune. Voilà pourquoi ils vivent.
L’avenir montrera si cet excès de patience a été torpeur ou sagesse.