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VIII MARIE TOUCHET

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Table des matières

Charles IX fut un prince malheureux.

Il hérita, en montant sur le trône, des fautes de ses prédécesseurs, et c'est lui seul cependant que l'histoire semble en rendre responsable.

Engagé malgré lui dans une voie sans issue, il vit éclater les funestes événements qu'avaient préparés les règnes de François Ier, de Henri II, la minorité de François II et sa minorité à lui, qui l'avait laissé sous la toute-puissance de l'ambitieuse et rusée Catherine de Médicis.

Catherine de Médicis, voilà la vraie coupable: c'est elle qui régna sous le nom de son fils.

Faible jouet aux mains de sa mère, Charles IX n'eut que le tort de ne point savoir résister à ses obsessions; souvent même, et pour les choses les plus importantes, il ne fut point consulté; c'est à son insu que se préparèrent les horribles massacres de la Saint-Barthelémy; prévenu, il les eût empêchés.

Il ne fut pas des moins surpris, lorsque sonna le tocsin, non pas à Saint Germain-l'Auxerrois, comme on l'a dit à tort, mais à la grosse tour du Palais de Justice; et s'il fallait des preuves de ce que nous avançons ici, nous dirions que la princesse Marguerite, la femme de Henri de Navarre, cette soeur aimée du roi de France, n'avait point été avertie, de telle sorte qu'elle faillit tomber sous le couteau des assassins: ils pénétrèrent jusque dans son alcôve, où ils osèrent poursuivre un malheureux huguenot qui dut la vie au courage de la princesse.

Il est inutile de réfuter cette tradition ridicule qui nous montre Charles IX tirant sur ses propres sujets du haut du balcon du Louvre. Ceux qui, d'après quelques chroniques mensongères, ont colporté ce conte, ne se sont point souvenus qu'à cette époque le fameux balcon n'était point construit encore.

Charles IX a été un prince calomnié; il avait plus de bonnes qualités que de mauvaises, et certes il lui fallait un naturel heureux pour n'avoir point été complètement corrompu par l'éducation que lui donna sa mère.

La cour de France était alors plus licencieuse que jamais: tous les crimes et toutes les débauches y avaient leurs grandes entrées; on y tramait l'assassinat et on y préparait le poison. Comme appât pour ceux qu'elle voulait attirer dans ses filets, Catherine de Médicis avait ses filles d'honneur, belles et dangereuses sirènes qui mettaient leurs faveurs et leur beauté au service de la politique de la reine-mère.

Nul plus que Charles IX ne porta impatiemment le poids de la couronne.

—«Que je regrette donc d'être roi!» disait-il souvent.

Poëte, peintre, musicien, il mettait les arts bien au-dessus du pouvoir; c'est lui qui adressait à Ronsard, son poëte, son ami, ces vers charmants:

L'art de faire des vers, dût-on s'en indigner,

Doit être à plus haut prix que celui de régner:

Tous deux également nous portons des couronnes,

Mais roi, je la reçois, poëte, tu les donnes;

Ta lyre qui ravit par de si doux accords

T'asservit les esprits dont je n'ai que les corps;

Elle t'en rend le maître et te sait introduire

Où le plus fier tyran ne peut avoir d'empire.

Charles IX se plaisait au milieu d'un cénacle de poëtes, d'érudits et de beaux esprits dont la savante Marguerite était l'âme et la reine. Aux heures de loisir, il recherchait avec empressement tous les chefs-d'oeuvre de l'art de cette époque, parvenu alors à son apogée; il faisait recueillir les manuscrits précieux, les tentures richement ouvragées, les meubles merveilleusement sculptés, puis les tableaux, les armures, les ouvrages d'orfèvrerie. Il nous est resté de cette époque des collections aujourd'hui sans prix. La grande passion du roi était la chasse; il ne redoutait ni dangers, ni fatigues; il tuait ses chevaux à appuyer les chiens, et les favoris s'épuisaient en vains efforts pour le suivre.

Au retour, il faisait des armes; il était fier d'être la meilleure lame de son royaume; il donnait du cor à pleins poumons jusqu'à cracher le sang. Il défiait à la balle tous ses gentilshommes. On avait encore d'autres passe-temps moins dangereux et moins violents: le bilboquet venait de faire son apparition à la cour; nul seigneur de bon air ne sortait sans le joujou à la mode, et c'était merveille, vraiment, que de voir déployer leur adresse à ce jeu, légèrement niais, des raffinés que le moindre prétexte mettait l'épée à la main.

Il y avait encore un nouveau jeu, venu tout récemment de Florence, le jeu des billes que l'on faisait rouler sur un vaste tapis; c'était l'enfance du billard; qui devait plus tard charmer la vieillesse de Louis XIV et faire la fortune politique de M. de Chamillard.

Tel est pourtant le roi aimable et spirituel que l'on nous montre couché sanglant sur un lit d'agonie, torturé par d'horribles remords et disant avec terreur à sa nourrice, vieille huguenote ménagée, ajoute-t-on, par ses ordres:

—«Ah nourrice! que de sang, que de sang!»

Les amours de Charles IX et de Marie Touchet forment un contraste remarquable avec les amours de tous les rois dont nous venons de parler.

Ici point de bruit, point de faste, point de scandale. Marie Touchet n'est pas une favorite ambitieuse, c'est une maîtresse dévouée; Charles IX eut ce rare bonheur d'être aimé pour lui-même.

Marie Touchet était fille d'un bourgeois d'Orléans, Jean Touchet, lieutenant particulier au présidial d'Orléans selon les uns, apothicaire ou parfumeur selon les autres, dans tous les cas un des beaux esprits du temps, car plusieurs poëtes lui firent des dédicaces. C'est à Blois, au retour d'une chasse, que le roi, qui n'avait encore que dix-huit ou dix-neuf ans, aperçut cette charmante fille; il ne put la voir sans l'aimer.

La beauté de Marie Touchet était éblouissante, et, chose rare à cette époque, son esprit «était aussi incomparable que sa beauté;» elle avait, dit un écrivain du temps, «le visage plus rond qu'ovale. Ses yeux, trop grands peut-être, avaient une expression de douceur infinie; son nez était du dessin le plus fin; ses cheveux noirs et merveilleusement abondants; et sa bouche rose et mignonnette s'ouvrait sur des dents plus blanches que neige.»

Enfin, elle méritait de tout point l'anagramme que son amant fit plus lard de son nom: Marie Touchet, je charme tout.

Longtemps la passion du jeune roi pour la belle Marie Touchet fut un secret à la cour: Charles IX redoutait pour sa douce maîtresse la colère de Catherine de Médicis. L'ambitieuse était jalouse de tous ceux qui approchaient son fils. Toujours elle craignait de voir s'élever quelque influence qui pût contre-balancer la sienne.

Il eût été dans son caractère de donner une amie à son fils, quelque belle fille d'honneur dont elle eût été sûre; elle devait craindre une femme étrangère qui pouvait apprendre au roi qu'après tout il était le maître.

Un profond mystère entoure donc les commencements de ces amours. Charles IX n'avait qu'un seul confident. Lorsque la nuit était venue, que chacun croyait le roi enfermé dans ses appartements, il s'enveloppait d'un grand manteau sombre, rabattait un large feutre sur son visage et s'échappait par quelque porte secrète du château; seul le plus souvent, sans penser que plus d'un chef huguenot ne se fût fait aucun scrupule de s'emparer de sa personne royale.

Les deux amants avaient choisi pour leurs rendez-vous un petit logis qui jadis avait servi de halte de chasse. Là, presque chaque soir, Charles IX passait de longues heures aux pieds de la belle Marie Touchet, tandis que son confident faisait le guet dans les environs.

Ces premières entrevues furent des plus innocentes: le roi de France soupirait comme un amoureux transi et n'osait rien demander. Ce prince, qu'on s'est plu à nous représenter si terrible et si farouche, était, au fond, d'une grande timidité.

Mais, à défaut d'audace, sa passion plaida bien mieux sa cause. Marie ne sut pas résister longtemps à ce bel adolescent, qui était son seigneur et son maître, et qui priait, quand il aurait pu commander.

Elle se donna à Charles librement, sans arrière-pensée et sans conditions, non pas au monarque très-chrétien, mais au jeune et élégant gentilhomme aux moustaches et aux cheveux dorés, dont le pinceau net et suave de François Clouet nous a laissé de si charmants portraits.

Le moment arriva bientôt où leurs discrètes amours se virent menacées de l'implacable ressentiment de la reine-mère.

Marie Touchet portait dans son sein un gage de l'amour du roi.

Que se passa-t-il alors entre les deux amants? Virent-ils seulement dans le rêve de leur imagination effrayée se dresser menaçante la figure de Catherine de Médicis? ou la panique dont ils furent saisis fut-elle déterminée par la révélation de leur secret trahi ou vendu?

La chronique hésite à se prononcer sur ce point; mais pour qui connaît les pratiques et les manoeuvres astucieuses dont s'armait, envers et contre tous, la politique italienne de la mère du roi, il est plus que probable qu'elle avait été informée de la grossesse de Marie par les espions dont elle formait toujours une escorte invisible à son «cher fils.»

Celui-ci, habitué à trembler devant elle, s'arrêta au parti que prennent, en pareille circonstance, les caractères faibles et dominés.

Pour sauver sa maîtresse, il l'éloigna en toute hâte; et la pauvre enfant alla faire ses couches hors de France, dans un âpre coin des terres du duc de Savoie. C'est là qu'elle donna le jour à un fils qui ne vécût que quelques mois.

Cet obstacle écarté, Catherine reprit avec ardeur l'oeuvre de corruption dont elle avait fait le pivot et la base de sa puissance.

Ce qu'il fallait au roi, pour servir ses desseins et la laisser suprême maîtresse du gouvernement, ce n'était point une obscure et chaste liaison avec une petite bourgeoise, inoffensive jusqu'à présent, mais qui pouvait cesser de l'être à un moment donné.

Elle redoutait l'empire que pouvait prendre sur le coeur de Charles l'habitude, ce petit fil invisible qui maîtrise à la longue le coeur des princes comme celui des vulgaires mortels.

Elle redoutait surtout la vertu de Marie. La vertu pouvait bien, aux yeux de son royal fils, élevé au milieu de ces très-belles et très-honnêtes dames dont Brantôme fut l'historien, sembler la séduction la plus irrésistible, parce qu'elle était l'attrait le plus rare.

Et puis elle sentait qu'elle n'aurait aucune prise sur cette âme désintéressée, dénuée d'ambition peut-être, et qui n'engagerait jamais la lutte avec son génie supérieur, mais qui ne serait pas à elle.

Or, ce que Catherine voulait avant tout, c'était qu'on lui appartînt, corps et âme.

Mettant à profit l'absence de Marie, elle essaya d'effacer entièrement son souvenir de l'esprit du roi. Dans ce but, elle lui donna de sa main plusieurs autres maîtresses, des nobles dames de la cour, façonnées par elle-même à ce métier de galanterie politique qu'elle avait importé en France d'au-delà des monts.

Trois ans se passèrent dans une vie de plaisirs, de fêtes, de dissipation et d'enivrement continuel, trois ans pendant lesquels Charles IX sembla avoir oublié la pauvre exilée et son premier amour.

A la fin pourtant, il se lassa de ces joies mensongères et factices; il prit en dégoût ces courtisanes titrées qui recueillaient soigneusement chacune de ses paroles pour les verser dans l'oreille de sa mère; il s'aperçut que ces belles créatures étaient de froids espions qui calculaient, soupesaient et notaient jusqu'aux mots sans suite qu'il bégayait dans l'ivresse des sens.

Alors il se souvint de la vierge sur le sein de laquelle il avait pleuré et souri sans contrainte, et l'avenir lui apparut encore riche du passé.

Marie Touchet, cependant, avait souffert sans se plaindre de son abandon. Elle était revenue en France, pour vivre au moins près de Charles, s'il ne lui était plus permis de vivre pour lui.

Un jour que le roi se trouvait dans cette disposition d'esprit que je viens de dire et dans cette amère et profonde lassitude de son existence actuelle, il l'aperçut, par hasard, d'une fenêtre de son palais.

Elle était vêtue simplement, d'habits de couleur sombre, presque de deuil; elle lui parut mille fois plus belle dans sa douleur et sa résignation.

L'amour qui s'était échappé de son âme furtivement et à son insu y rentra en maître.

Revoir Marie, la revoir à l'instant même, telle fut la pensée irrésistible qui s'empara du prince.

Et comme il ressemblait assez peu à sa mère pour ne pas suivre son premier mouvement, cette journée bénie ne s'était pas écoulée qu'il était aux pieds de la charmante femme, implorant encore son pardon, quand il était déjà tout pardonné.

Au sortir de cette longue et délicieuse extase de l'amour partagé, Charles se réveilla transformé. Ce n'était plus l'enfant timide, dérobant par la fuite l'objet de sa tendresse aux sinistres jalousies d'une mère; c'était un homme jaloux de faire respecter le choix de son coeur, si ce n'était pas encore un roi se souvenant qu'en France le sceptre ne doit jamais tomber en quenouille.

—Je vous aime, Marie, dit-il simplement, et je vais à l'instant informer la reine, ma mère, de mes intentions à votre égard. N'ayez nulle inquiétude de ce côté, je saurai bien la faire consentir à nous laisser libres, l'un et l'autre, de nous aimer. Qu'elle règne, j'y consens; la couronne est lourde à porter pour un front de vingt ans.

—Sire, répondit Marie Touchet, il adviendra ce qu'il plaira à Dieu; en lui j'ai confiance comme aussi en vous; que votre royale volonté soit accomplie.

Le roi entoura tendrement Marie de ses bras et la baisa au front, puis il sortit précipitamment.

Quelques instants après, il était de retour au Louvre et rejoignait sa mère dans une grande salle tendue de cuir brun gaufré d'or, la seule qui subsiste encore des appartements du roi Henri II. C'était dans cette salle que Catherine de Médicis avait l'habitude de se tenir après souper; c'est là qu'elle recevait les hommages des courtisans, toujours plongée dans un grand fauteuil au coin de l'immense cheminée, encadrant dans un bonnet de velours noir façonné en pointe son visage froid et impérieux comme le masque d'une supérieure de couvent, et vêtue de noir, portant le deuil de son époux qu'elle ne quitta jamais.

Précisément, au moment où le roi son fils l'aborda, Catherine venait de congédier ses conseillers ordinaires, Nostradamus et les Ruggieri.

On sait la foi sans bornes que la fille des Médicis avait aux sciences occultes. Ses astrologues ordinaires lui avaient tiré son horoscope au début de sa vie, et elle avait vu se réaliser, avec une singulière précision, les prédictions qu'ils lui avaient faites.

Sans doute il avait été question de Charles et de ses amours dans le conciliabule qui venait d'être tenu, car aux premiers mots du roi sur le retour de Marie Touchet et sur sa passion pour elle, Catherine l'interrompit en lui disant:

—Je sais tout.

—Alors, vous savez aussi, ma mère, reprit Charles avec impétuosité, que Marie est une jeune fille sans ambition, pleine de respect et d'amour pour vous, qui n'a jamais entrevu seulement la pensée de paraître à la cour, et qui préfère à tout un bonheur modeste et ignoré de tous.

—Je connais ses sentiments, répondit lentement la reine, et je les approuve.

—Oh! merci pour cette bonne parole, ma mère, s'écria le roi. Ainsi, vous permettez qu'elle vive près de moi; vous ne prendrez pas d'ombrage de mon amour pour elle?

—A une condition, mon fils, fit Catherine en se levant majestueuse et solennelle, c'est que vous ne sacrifierez pas à un caprice de votre coeur les intérêts de votre couronne. Ecoutez-moi.

—Je vous écoute, ma mère, répondit docilement Charles IX.

—Sire, continua la reine, il faut que vous vous mariiez.

—Qu'à cela ne tienne, dit le roi, dont le front soucieux s'était subitement éclairci.

—Je vous ai trouvé une femme; je ne vous dirai pas que c'est une douce et belle princesse, de tout point digne de votre amour; votre pensée étant ailleurs, vous ne me comprendriez point. Je vous dirai seulement que c'est la petite-fille de Charles-Quint, et que, dans trois mois, elle sera dans votre lit.

—Une princesse d'Autriche, ma mère!

—Oui, mon fils, dona Isabelle; et si je vous la fais épouser, c'est pour mieux préparer la ruine de sa maison, l'éternelle ennemie de la France et de l'Italie. L'Italie, je veux qu'elle soit réunie tout entière sous le sceptre des Médicis, dont les intérêts se confondent avec ceux de la maison de France, à qui doit naturellement revenir l'héritage de la couronne d'Espagne. Un jour viendra, mon fils, ajouta-t-elle d'un air inspiré, où il n'y aura plus d'Alpes ni de Pyrénées, où ces trois peuples, France, Italie, Espagne, unis par la religion et le sang, n'en feront qu'un. Voilà pourquoi je défends le catholicisme. Monsieur, la France doit rester catholique ou disparaître de la carte d'Europe.

Mais Charles IX n'écoutait point cette politique transcendante; sa pensée n'était plus au Louvre.

A dater de ce moment, aucun nuage ne troubla plus les amours du roi et de sa douce maîtresse. Bien qu'enveloppées toujours de ce transparent mystère qui dissimule mal les passions des rois, nous les voyons inspirer la verve des poëtes ordinaires de la cour.

Tour à tour Daurat, Ronsard, Desportes et bien d'autres ont chanté la beauté de Marie Touchet sous des noms allégoriques qui ne trompaient personne.

Déjà Desportes, dans des strophes touchantes, avait célébré le rapprochement des deux amants; dans ces beaux vers, où la parole est laissée au roi, nous trouvons le portrait psychologique de ce prince qui nous aide singulièrement à restituer cette physionomie défigurée par l'ignorance et la haine des historiens:

La royauté me nuit et me rend misérable.

Jamais à la grandeur amour n'est favorable.

Si je n'étais point roi, je serais plus content;

Je la verrais sans cesse et, par ma contenance,

Mes pleurs et mes soupirs, elle aurait connaissance,

Que je sens bien ma faute et qu'en suis repentant.


Digne objet de mes voeux qui m'avez pu contraindre

Par tant d'heureux efforts, votre honneur serait moindre

Si j'avais obéi dès le commencement:

Deux fois vous m'avez mis en l'amoureux cordage,

Deux fois je suis à vous; c'est l'être davantage

Que si vous m'aviez pris une fois seulement.


Il est bien mal-aisé qu'une amour véhémente

Soit toujours en bonace et jamais en tourmente.

Vénus, mère d'Amour, est fille de la mer.

Comme ou voit la marine et calme et courroucée,

L'amant est agité de diverse pensée.

«Qui dure en un état ne se peut dire aimer.»

Charles IX, d'ailleurs, aussi poëte que les plus illustres de la Pléiade, n'avait pas besoin d'interprète pour rendre ses sentiments, et voici les vers qu'il composa lui-même sur sa maîtresse:

Toucher, aimer, c'est ma devise, Ce celle-là que plus je prise, Bien qu'un regard d'elle à mon coeur Darde plus de traits et de flamme Que de tous l'Archerot vainqueur N'en ferait onc appointer dans mon âme.

Le roi avait logé Marie Touchet au coin de la rue de l'Autruche et de la rue Saint-Honoré, à deux pas du Louvre, dans une jolie petite maison construite en 1520 pour la fameuse duchesse d'Alençon sur une partie du jardin du vieil hôtel de ce nom.

C'était un pavillon élevé d'un étage seulement au-dessus du rez-de-chaussée, bâti en briques; les fenêtres étaient encadrées de pierre blanche, fouillée en bosselage vermiculé suivant le goût du temps. Une cour étroite la séparait de la rue, et un petit jardin l'isolait sur le derrière de l'hôtel d'Alençon.

L'intérieur, pour la simplicité et le bon goût, répondait au dehors de cette modeste habitation.

C'est dans ce nid mystérieux que Charles IX abritait ses amours, quand il ne cachait pas sa maîtresse dans les sombres appartements du château de Madrid.

Marie Touchet ne tarda pas à devenir mère une seconde fois.

Elle accoucha d'un fils au château de Fayet en Dauphiné, le 28 avril 1572.

Catherine de Médicis, qui décidément lui avait accordé ses bonnes grâces, fit reconnaître cet enfant par le Parlement et permit que le petit Charles de Valois portât le titre de comte d'Auvergne.

Déjà elle avait fait don à la maîtresse de son fils de la seigneurie de Belleville, près Vincennes, où Marie Touchet se rendait parfois quand, après la chasse, le roi passait la nuit au château.

Moins favorisée du ciel que sa rivale, la reine Elisabeth ne donna qu'une fille au roi de France.

Décidément, l'étoile de la petite-fille de Charles-Quint pâlissait devant celle de Marie. La maîtresse royale, dans le naïf et égoïste orgueil de l'amour, ne faisait même pas à la pauvre reine l'honneur d'être jalouse d'elle.

C'est du moins ce que prétend cette mauvaise langue de Brantôme: «Cette belle dame, lorsqu'on traictoit le mariage du roy et de la royne, un jour ayant veu le portraict de la royne et bien contemplé, ne dist autre chose, sinon que: «L'Allemagne ne me fait point de peur,» inférant par là qu'elle présumait autant de soy et de sa beauté que le roy ne s'en scaurait passer.»

Elisabeth qui, selon le même Brantôme, «fut une des plus douces roynes qui aient jamais été et qui ne fit oncques mal ni déplaisir à personne,» négligée de son époux, offrait en silence ses larmes à Dieu et passait ses nuits solitaires à lire ses Heures.

Ce n'était point cette victime résignée qui pouvait faire échec à la passion du roi, surexcitée par les joies de la paternité.

Le fils de Marie Touchet, que Brantôme déclare encore être «un très-beau et très-agréable prince, et la vraie ressemblance du père en toute valeur, générosité et vertu,» ressemblait, en effet, beaucoup à Charles IX.

Tout enfant, il en avait déjà les traits, les gestes, le sourire.

Le roi passait de longues heures dans le petit logis de la rue de l'Autruche, à le faire jouer et sauter sur ses genoux.

Délicieuses soirées qui ne devaient pas avoir de lendemain!

Une nuit, Charles arriva chez sa maîtresse, pâle, l'oeil hagard, convulsif, tremblant, le front baigné d'une sueur froide. Pour la première fois, il repoussa les caresses de la jeune femme et ne se pencha point sur le berceau de son fils.

C'était au lendemain de la Saint-Barthelémy; des bandes d'assassins couraient encore les rues, et, pour franchir la courte distance qui séparait le Louvre de la rue de l'Autruche, Charles IX avait trébuché sur vingt cadavres.

A dater de cette nuit terrible, où l'on avait violenté sa volonté royale, l'infortuné prince n'eut plus un instant de repos.

En vain, pour chasser le fantôme sanglant, se jeta-t-il dans tous les excès d'une débauche furieuse et se livra-t-il avec emportement aux exercices les plus violents.

Il ne fit plus, jusqu'au jour de sa mort, que de rares apparitions chez Marie Touchet, et chaque fois il lui disait d'un air sombre:

—Ma mie, je suis condamné. Je périrai bientôt!

Et il serrait le petit Charles de Valois contre son coeur et s'écriait, en versant des torrents de larmes:

—Enfant, que tu es heureux! Tu ne seras jamais roi.

Après la mort de Charles IX, Marie Touchet, qui ne s'était en rien mêlée des affaires et n'avait pris aucune part aux intrigues, recueillit le fruit de sa sagesse.

La reine-mère laissa par testament au petit Charles de Valois ses propres, les comtés d'Auvergne et de Lauraguais.

Plus tard, la reine Marguerite, la première femme d'Henri IV, contesta la donation et la fit casser par le Parlement. Mais le roi Louis XIII indemnisa par la suite le comte d'Auvergne en lui donnant le duché d'Angoulême.

Marie Touchet épousa Charles de Balzac, marquis d'Entragues, gouverneur d'Orléans, qui l'avait connue et aimée toute jeune, avant sa liaison avec le roi.

Elle lui donna deux filles: l'aînée fut la célèbre marquise de Verneuil, maîtresse de Henri IV, qui voulut détrôner ce prince, lors de la conspiration du maréchal de Biron, pour donner la couronne à son frère utérin, le comte d'Auvergne.

Gravement compromis dans cette conspiration et même jeté en prison, celui-ci ne fut rendu à la liberté que par respect pour le sang des Valois, assure l'auteur de la Confession de Sancy.

C'est sans doute le même sentiment qui fit fermer les yeux à Louis XIV quand le comte d'Auvergne, devenu duc d'Angoulême avec droit de battre monnaie sur ses terres, s'amusa à altérer les titres et à se faire faux monnayeur.

Marie Touchet mourut presque nonagénaire et fut inhumée dans l'église des Minimes de la place Royale. Sur une lame de cuivre enfermée dans son tombeau, on avait gravé cette épitaphe:

cy gist

le corps de haute et puissante dame

madame MARIE TOUCHET, de belleville, au jour de son décès, veuve de feu haut et puissant seigneur messire françois de balzac, seigneur d'entragues, chevalier des ordres du roi et gouverneur d'orléans, laquelle décéda le 28 mars 1638, agée de 89 ans.

La seconde fille de Marie Touchet, Marie de Balzac, eut le malheur d'aimer un fat, Bassompierre, qui la paya de ses bontés en outrageant et en calomniant sa mère.

Voici en quels termes le galant maréchal raconte dans ses Mémoires le touchant épisode des amours de Charles IX et de Marie Touchet:

«Le lieutenant-général d'Orléans, nommé Touchet, fut accusé d'avoir aidé au prince de Condé de surprendre Orléans aux premiers troubles; car il était soupçonné d'être de la religion. Ce fut pourquoi on lui suscita une accusation pour le perdre. Mais Antragues, gouverneur d'Orléans, qui l'aimait, offrit une jeune fille qu'il avait, nommée Marie, d'excellente beauté, au roi Charles, moyennant quoi il eut la vie sauve. Et la fille fut produite au roi qui la dévirgina, et elle fut à lui. Puis ensuite, étant devenue grosse, l'extrême respect que ce roi portait à sa mère fit qu'il l'envoya sur la frontière de Savoye, hors de France, où elle accoucha d'un fils qui mourut. Cependant, le roi devint amoureux de madame de Clermont d'Antragues et de madame de Narmoustier, et ne se soucia plus de Marie Touchet, jusqu'à ce qu'au bout de trois ans, l'ayant vue en une fenêtre, comme il allait au palais, il lui prit envie de la revoir, et l'engrossa de nouveau d'un fils, dont elle accoucha encore en Savoye. Et le roi Charles étant à la mort, le recommanda à la reine sa mère, qui en eut soin et le fit étudier; puis le roi Henri III le prit en amitié, et l'eût fait grand s'il eût vécu, le recommandant fort au roi Henri IV, son successeur: c'est le duc d'Angoulême. Marie Touchet depuis se maria avec le même Antragues qui l'avait produite au roi Charles.»

M. le maréchal de Bassompierre, en écrivant ces lignes, ne songeait sans doute pas à la postérité qui flétrit les lâchetés, de quelque part qu'elles viennent.

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