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V ANNE DE PISSELEU,
DUCHESSE D'ÉTAMPES.

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Table des matières

Le 11 mars 1526, après un an et vingt-deux jours de captivité, François Ier put enfin regagner son royaume.

Plus seul, plus triste que jamais dans sa prison après le départ de sa soeur Marguerite, le roi-chevalier s'était dit que la France après tout vaut bien un trait de plume, et il avait signé le dur traité de Madrid, avec l'intention bien arrêtée de ne le point exécuter, compromettant ainsi ce qu'il se réjouissait si fort d'avoir sauvé à Pavie.

Les deux fils aînés du roi, le dauphin François et Henri, duc d'Orléans, le plus âgé n'avait pas dix ans encore, étaient donnés en otage et garantissaient le traité.

L'échange des prisonniers eut lieu dans des bateaux, au milieu de la Bidassoa. François Ier, dans sa joie d'être libre, ne songea même pas à embrasser ses enfants, il sauta dans une barque française et gagna le bord.

—Enfin, s'écria-t-il en touchant terre, enfin je suis roi derechef!

Et s'élançant sur un cheval turc que tenaient ses serviteurs, il courut à toute bride jusqu'à Saint-Jean-de Luz, puis jusqu'à Bayonne où sa mère l'attendait avec toute la cour.

«Mais, dit une vieille chronique, le monarque qui venait de recouvrer sa liberté devait trouver en France de nouvelles chaînes, plus douces peut-être, mais bien autrement étroites.»

A la duchesse de Chateaubriant allait succéder Anne de Pisseleu.

Depuis longtemps déjà, l'ambitieuse Louise de Savoie avait juré la perte de la comtesse de Chateaubriant. Elle haïssait cette favorite altière, qui plus d'une fois s'était jetée à la traverse de ses projets, et dont l'influence dans le conseil balançait la sienne. Mais pour renverser la belle comtesse, il fallait lui donner une rivale dans le coeur du roi, une rivale qui sût borner son ambition à satisfaire les caprices de sa vanité. Louise de Savoie se chargea de ce soin. Elle jeta les yeux sur une de ses demoiselles d'honneur, fille de Guillaume de Pisseleu et d'Anne Sanguin, son épouse en secondes noces. Ce choix prouve que la reine mère connaissait merveilleusement le caractère de son fils.

Anne de Pisseleu, ou plutôt mademoiselle de Heilly, comme on l'appelait alors, venait d'atteindre sa dix-huitième année. Vive, enjouée, spirituelle, elle se faisait remarquer entre toutes les nobles et belles filles dont aimait à s'entourer la mère de François Ier. Son éducation était bien supérieure à celle des femmes de son époque, et chacun la savait très-érudite et bien disante.

Deux oeuvres immortelles, un portrait de Primatice et un buste de Jean Goujon, nous ont conservé les traits d'Anne de Pisseleu. Sa beauté est certainement au-dessous des éloges de ses contemporains, mais sa physionomie est charmante, ses yeux d'un bleu opaque ont d'irrésistibles séductions, et sur sa bouche, «rose vermeille,» du dessin le plus délicat et le plus correct, erre un spirituel et tendre sourire.

Il est une chose enfin que n'ont pu rendre ni le sculpteur, ni le peintre, c'est la grâce de l'enchanteresse, son esprit, son savoir, et par-dessus tout sa voix «si tendre et si harmonieuse, qu'elle faisait vibrer toutes les cordes de l'âme.»

Telle était mademoiselle de Heilly, lorsque pour la première fois le roi de France l'aperçut auprès de Louise de Savoie. Il l'aima.

Ces nouvelles amours de François Ier n'ont point, pour ainsi dire, de préface.

Il n'y eut ni luttes, ni traverses, ni même aucun mystère. La protégée de la reine mère avait un rôle à jouer, elle le joua merveilleusement. Du premier jour elle fut favorite en titre, et chacun salua avec surprise ce pouvoir nouveau qui n'avait point eu d'aurore.

Déjà le roi aimait follement la belle fille d'honneur. A ses pieds, dans l'ivresse première de la passion, il semblait avoir tout oublié: son royaume, le désastreux traité de Madrid, la captivité des enfants de France.

Il ne se souvenait plus de la tant aimée comtesse de Chateaubriant, qui, n'ayant pas osé suivre la cour à Bayonne, attendait à Paris le retour de son inconstant amant.

La cour, cependant, avait repris le chemin de la capitale. On voyageait à petites journées, toutes les villes se disputaient l'honneur de célébrer le retour du souverain. A Bordeaux les fêtes furent magnifiques et durèrent plus de quinze jours. Anne de Pisseleu, la plus belle, la mieux parée, était partout la reine, ses moindres désirs étaient des ordres.

Après un an de privations, François Ier s'enivrait de plaisir et de bruit. Il était si heureux de retrouver enfin cette vie splendide et voluptueuse dont le souvenir avait si souvent troublé les tristes nuits de sa captivité!

La fin de cette année (1526) se passa à Cognac, où le roi, d'après le conseil des médecins, s'était arrêté pour respirer l'air natal; il s'y livra avec fureur au plaisir de la chasse et faillit se tuer en courant le cerf.

Enfin, dans les premiers mois de 1527, François Ier fit son entrée à Paris, dont il était absent depuis près de trois ans, mais il ne s'y arrêta que peu de jours, le temps de tenir un lit de justice; il avait hâte de revoir Fontainebleau, sa résidence favorite. Les affaires étaient dans le plus fâcheux état, mais le roi avait bien loisir vraiment de songer aux affaires. Il aimait chaque jour davantage la belle Anne de Pisseleu et «avait à rattraper le temps perdu pendant un an pour l'amour et pour le plaisir.» Il faisait alors construire, non loin de Paris, une nouvelle résidence ornée à la mauresque, le château de Madrid, souvenir de ses jours de captivité.

Un instant madame de Chaleaubriant caressa l'espérance de ramener à elle son infidèle amant, elle voulut lutter avec Anne de Pisseleu dont le pouvoir grandissait chaque jour; mais elle n'était pas de force, elle fut brisée dans la lutte. La fille de Phébus de Foix dut se retirer, sans avoir rien obtenu qu'un sanglant outrage de ce prince à qui elle avait tout sacrifié.

Charles-Quint, cependant, réclamait plus impérieusement chaque jour l'exécution du traité de Madrid. L'ambassadeur de France, Calvimont, à bout de délais et de prétextes, ne répondait plus que des paroles évasives. Irrité de tant de mauvaise volonté, Charles-Quint s'écria en présence de Calvimont:

«Le roi de France a manqué déloyalement à sa foi de chevalier qu'il m'avait donnée, et s'il osait le nier, je le soutiendrais seul à seul avec lui les armes à la main.»

C'était un bel et bon défi d'armes.

François Ier, ce constant admirateur d'Amadis des Gaules, n'était point homme à laisser tomber ces paroles à terre. Il y répondit par un cartel que Guyenne, son héraut, alla porter à l'empereur:

«A toi, élu empereur d'Allemagne, tu en as menti par la gorge, quand tu soutiens que j'ai manqué à ma foi de gentilhomme; j'accepte ton défi. Assigne un lieu de combat, promets-moi la sûreté de camp, et terminons par l'épée ce qui s'est trop continué par l'écriture.»

A la grande surprise de tous, Charles-Quint ne refusa pas le défi:

—«Rapporte au roi ton maître, dit-il au héraut de France, que j'accepte son cartel. Le lieu fixé pour le combat sera l'île de Bidassoa, la place même où François Ier m'a donné sa parole de gentilhomme d'exécuter le traité.»

L'empereur, toujours si politique, si froid, prenait ce duel fort au sérieux. Il choisit un second, le brave Baltazar Castiglione, et envoya en France un héraut. Ce fut alors à François Ier à chercher des prétextes pour éviter le combat.

Lorsque se présenta Bourgogne, le héraut d'Espagne, porteur de la provocation de son maître, on refusa tout d'abord de le conduire au roi. On le promena de résidence en résidence, sans lasser sa ténacité. Il allait précédé de trompettes, et du gonfalon aux armes de Castille, de Fontainebleau à Paris, de Paris à Lonjumeau. De guerre lasse on le mena devant le roi. Alors il commença à lire le cartel de l'empereur. Interrompu dix fois, il s'obstina à recommencer, quand même. Mais on le contraignit à quitter la cour et il s'éloigna sans avoir pu achever la lecture du défi.

Le Miroir de la chevalerie à la main, il est assez difficile d'expliquer d'une façon satisfaisante la conduite de François Ier. Cependant on ne peut douter du courage du héros de Marignan, du chevalier qui à Pavie se précipitait presque seul au milieu de la mêlée. Toutes ces tergiversations tiennent probablement à quelque cause politique qui n'est pas venue jusqu'à nous.

Ainsi finit l'histoire passablement grotesque de ce défi dont on ne trouve guère d'exemple que dans les romans de chevalerie, au temps où les empereurs faisaient profession de rompre des lances au coin des bois avec de mystérieux chevaliers, au temps où Charlemagne, comme dans Roland furieux, ne dédaignait pas de se mesurer avec le terrible sacripant.

Les armées des deux adversaires furent, selon l'usage, chargées de vider la querelle. L'Italie, comme toujours, était le champ de bataille. Bourbon n'était plus, il avait été tué sous les murs de Rome par l'arquebuse de Benvenuto Cellini, le merveilleux artiste, mais ses soldats avaient trouvé d'autres chefs. Hordes indisciplinées qui l'avaient adoré lorsqu'il les conduisait à la victoire, qui avaient marché sur la ville sainte «pour faire danser la sarabande aux cardinaux et pendre le Pape,» et qui pour venger sa mort avaient promené le massacre, le viol et l'incendie sur les sept collines, aux cris de: Carne! Sangue! Cierra! Bourbon!

La lutte menaçait de s'éterniser et les forces des deux partis s'épuisaient. L'empereur n'espérait plus guère l'exécution du traité de Madrid, le roi de France battu sur tous les points comprenait qu'il devait céder quelque chose. Charles et François s'entendirent alors pour que la question se débattît à huis clos entre eux. Le premier envoya sa tante Marguerite d'Autriche, le second sa mère, à Cambrai, et les négociations commencèrent, mystérieuses, entre les deux princesses. Après trois semaines de conférences le traité de Cambrai fut signé. On l'appella la Paix des Dames.

François Ier, en dépit de ses allures chevaleresques abandonnait sans pudeur tous ses alliés, mais il obtenait la liberté de ses fils moyennant deux millions d'écus d'or; enfin, il s'engageait à épouser sans retard la princesse Eléonore d'Autriche, soeur de Charles-Quint, et veuve d'Emmanuel le Grand, roi de Portugal, celle-là même qui avait été promise au connétable de Bourbon.

Tout aussitôt commencèrent d'immenses préparatifs. François Ier voulait par le luxe de sa cour, par la splendeur des fêtes surprendre, étonner la soeur de Charles-Quint, cette princesse espagnole dont la vie jusqu'alors avait été close et voilée comme celle des femmes mauresques. C'était alors ainsi, au pays des Espagnes, le couvent remplaçait le sérail.

Avant tout cependant il fallait trouver deux millions d'écus d'or pour la rançon du Dauphin et de son frère. Somme énorme! mais pour une cause sacrée, chacun tenait à honneur de se dépouiller. La noblesse, le peuple et le clergé s'exécutèrent. La matière manquait-elle, le roi empruntait à ses sujets leur vaisselle d'argent dont le trésorier donnait des reconnaissances. Vases, coupes, aiguières, bijoux précieux, on portait tout à la monnaie, tant était grande l'impatience de revoir les fils de France. Le chancelier du Prat eut même l'idée d'altérer la monnaie, il fit mêler à l'or un fort alliage de cuivre. Mais les commissaires espagnols étaient à la hauteur de cette ruse, ils éventèrent la fraude et, bon gré mal gré, il fallut compléter la somme.

Enfin les derniers écus d'or furent remis aux mains des Espagnols, les fêtes commencèrent. Depuis trois mois déjà des hérauts d'armes parcouraient la province, ils allaient de château en château, convier toute la noblesse au mariage du roi de France, aux cérémonies et tournois qui devaient en être la suite.

Ce furent, dit Marot, «de gorgiales fêtes.» François Ier s'était porté suivi de toute sa cour, et de sa bien-aimée Anne de Pisseleu, jusqu'à Bayonne où tout avait été préparé pour recevoir dignement la soeur de Charles-Quint.

En revoyant ses deux fils, le roi pleura d'attendrissement, longtemps il les tint serrés sur sa poitrine. Le mariage fut célébré à Bordeaux, et c'est à cette occasion que fut représentée en France la première bergerie. Les acteurs étaient habillés de riches étoffes qui n'avaient pas coûté moins de cinquante livres tournois.

Partout sur le passage de la cour, «qui chevauchait vers Paris en grande pompe, par monts et par vaux,» éclataient les transports des populations. Le peuple voyait dans cette union avec une fille d'Espagne un gage de paix et de bonheur. Les cathédrales étaient trop étroites pour contenir la foule qui venait remercier Dieu; les cloches sonnaient à toute volée, les feux d'artifice éclataient partout, dans la nuit.

Mais de toutes les fêtes, la plus belle, la plus riche, la plus désirée eut lieu à Paris, à la porte Saint-Antoine. Tournoi magnifique dont les splendeurs dépassèrent de beaucoup tout ce qu'on avait vu jusqu'à ce jour. De toutes les contrées de l'Europe, des chevaliers étaient accourus; les plus nobles et les plus riches, couverts d'armures étincelantes, se pressaient dans la lice.

Huit jours durant on rompit des lances aux acclamations des nobles dames. Le roi lui-même voulut combattre sous les yeux de sa nouvelle épouse, et ses coups, disent les chroniques, ne furent ni les moins durs ni les moins forts.

On ne savait rien alors au-dessus de ces grandes fêtes de la chevalerie. Les dames se passionnaient pour ce dangereux passe-temps; et, pour encourager les chevaliers à bien faire, elles jetaient dans l'arène leurs joyaux d'abord, puis leurs vêtements, jusqu'à se trouver presque nues.

Non moins que les dames, le peuple était avide de ces terribles jeux d'armes. Ce bruit de fer lui montait à la tête; il saluait les vainqueurs de formidables acclamations et applaudissait avec frénésie, comme la Rome païenne aux combats des gladiateurs.

De toutes ces fêtes données en l'honneur de la nouvelle épouse de François Ier, la reine véritable était la séduisante favorite. N'était-elle pas la plus belle, sous sa riche parure? Elle portait une robe de drap d'or frisé et une cotte de toile d'or incarnat semée de pierreries.

C'est elle que le roi cherchait des yeux lorsque, descendu dans la lice, il frappait quelque bon coup. C'est elle qui remettait aux heureux chevaliers le prix de l'adresse et du courage.

La reine Eléonore ne tarda pas à s'apercevoir qu'elle ne serait jamais rien pour son époux. Abandonnée comme l'avait été la première femme du roi, la douce et malheureuse Claude, ses jours s'écoulèrent dans une tristesse morne, dans une humiliante solitude. Que de fois, en voyant les hommages dont on entourait la favorite, elle dut regretter une union accueillie avec tant de joie! Car elle, aussi, s'était laissé prendre aux brillants dehors de François Ier.

La devise d'Eléonore était un phénix avec cette légende: Unica semper avis, oiseau toujours unique. Les beaux esprits de la cour riaient tout bas de cet emblème bien ambitieux pour une épouse délaissée, pour une reine sans influence.

Cependant la belle Anne de Pisseleu était devenue l'une des plus riches et des plus grandes dames de France. L'amour si brusque et si impétueux du roi ne s'était point affaibli, malgré ses caprices passagers et les intrigues des ennemis de la favorite. Il l'avait comblée de présents et de richesses, et enfin, pour lui assurer à la cour un état digne de ses fonctions, il l'avait mariée à Jean de Brosse, mari de facile composition, qui, en échange de son nom, ne demanda rien que de l'argent et des honneurs.

Jean de Brosse était fils d'un complice du connétable de Bourbon, René de Brosse, mort à la bataille de Pavie en combattant sous les drapeaux étrangers. Les biens du coupable avaient été confisqués, et son fils réclamait vainement leur restitution, exigible en vertu d'une clause du traité de Cambrai.

Déchu de son ancienne splendeur, Jean de Brosse menait en France une vie misérable, lorsqu'on vint lui proposer le marché honteux qui ferait de lui l'époux de la maîtresse du roi. En échange, on lui offrait de le remettre en possession des domaines de sa famille.

Il accepta. La pauvreté était pour lui une trop lourde charge, et de l'infamie il ne considéra que le prix. Il était grand: François Ier fit Jean de Brosse comte de Penthièvre, chevalier de ses ordres et enfin duc d'Etampes.

Le mariage fut célébré en grande pompe. Les trois complices, le roi, la femme et le mari portaient fort allègrement leur honte. A l'issue de la cérémonie Jean de Brosse s'éloigna. Comme il ne devait point voir sa femme on l'envoyait gouverner en Bretagne.

De ce jour on n'appela plus Anne de Pisseleu que la duchesse d'Etampes.

Un des premiers soins de la duchesse, lorsqu'elle fut bien sûre de son pouvoir, fut d'enrichir sa famille. Dépositaire de toutes les grâces, elle en abusa avec une prodigalité inouïe. Le trésor de l'Etat, les dignités, les bénéfices de l'Eglise furent littéralement mis au pillage.

Antoine Sanguin, son oncle maternel, devint archevêque de Toulouse; Charles, François, et Guillaume de Pisseleu, ses frères, eurent les évêchés de Condom, d'Amiens et de Pamiers, et se partagèrent en outre un grand nombre de riches abbayes. Ses soeurs ne furent point oubliées: deux furent nommées abbesses; les autres alliées aux maisons de Barbançon-Cany, de Chabot-Jarnac et du comte des Vertus.

Les sept années qui suivirent le traité de Cambrai furent les plus brillantes du règne de madame d'Etampes. Elle était alors à l'apogée de sa puissance et de sa beauté. Nulle rivale encore ne songeait à contre-balancer son influence. Réalisant les prévisions de Louise de Savoie, elle s'abstenait complètement de politique et ne semblait occupée que de fêtes et de plaisirs. Le roi, qui n'était heureux que près d'elle, passait à ses pieds de longues journées; il aimait son esprit, son humeur enjouée, ses fantaisies les plus folles, ses caprices.

Instruite, savante même pour son temps, la duchesse d'Etampes avait une cour nombreuse de poëtes et d'artistes. Les uns faisaient des vers à sa louange, les autres sculptaient son buste ou reproduisaient sur la toile ses traits charmants. François Ier, que les arts enchantaient, se plaisait au milieu des protégés de sa maîtresse bien-aimée; en échange d'une hospitalité royale, ils lui donnaient des chefs-d'oeuvre ou chantaient les perfections infinies de celle qu'on appelait des belles très-érudite et des érudites très-belle.

Le roi faisait-il présent à la favorite du duché d'Etampes, Marot aussitôt prenait la plume et envoyait ces jolis vers:

Ce plaisant val que l'on nommait Tempé,

Dont mainte histoire est encore embellie,

Arrosé d'eaux, si doux, si attrempé,

Sachez que plus il n'est en Thessalie.

Jupiter roi, qui les coeurs gagne et lie,

L'a de Thessale en France remué,

Et quelque peu son nom propre mué:

Car pour Tempé veut qu'Etampes s'appelle.

Ainsi lui plaît, ainsi l'a situé,

Pour y loger de France la plus belle.

Une autre fois, la duchesse d'Etampes avait, à la suite des fatigues d'un long voyage, perdu quelque peu de sa fraîcheur; aussitôt Marot de s'écrier:

Vous reprendrez, je l'affirme

Par la vie,

Ce teint que vous a osté

La déesse de beauté

Par envie.

A chaque instant dans les oeuvres du poëte, on retrouve le nom de la duchesse d'Etampes, c'est pour elle qu'il aiguise en pointes ses plus délicates pensées, qu'il cisèle ses plus gracieux rondeaux, qu'il cherche ses rimes les plus riches. Ecoutez ces jolies étrennes:

Sans préjudice de personne,

Je vous donne

La pomme d'or de beauté,

Et de ferme loyauté

La couronne.


Dix et huict ans je vous donne,

Belle et bonne;

Mais à votre sens rassis

Trente-cinq ou trente-six

J'en ordonne.

En échange de cet encens prodigué à pleines mains, la duchesse d'Etampes accordait à Clément Marot sa haute protection. Et certes, le valet de chambre de Marguerite de Valois, car telles étaient les fonctions du poëte, en avait plus besoin que personne.

Remuant et batailleur, il avait souvent maille à partir avec les sergents: plus d'une fois il fut arrêté sur la voie publique. Original, amateur d'idées nouvelles, il eut plus d'un démélé avec la Sorbonne qui ne plaisantait pas, et avec le Châtelet. Aussi, il faut voir sa colère quand il parle des gens de justice. C'est du Châtelet qu'il disait:

Là, sans argent pauvreté n'a raison.

A chaque affaire nouvelle il se promettait d'être plus prudent, «mais bridez donc la langue d'un poëte!» si bien que lorsqu'il n'était pas en prison, il travaillait à s'y faire mettre.

Une grave accusation d'ailleurs pesait sur lui. On le disait huguenot. On avait raison, mais toute vérité n'est pas bonne à dire. Marot fut même arrêté à ce sujet, sa mie l'avait dénoncé dans un jour de brouille:

Un jour j'écrivis à ma mie

Son inconstance seulement.

Mais elle, ne fut endormie,

A me le rendre chaudement.

Dès lors, elle tint parlement

Avec ne sais quel papelard,

Elle lui dit tout bellement:

Prenez-le.... Il a mangé du lard.

Manger du lard! épouvantable accusation à une époque où ne point observer les abstinences de l'Eglise était un crime. Manger du lard!... A quoi pensait la mie du poëte! le résultat d'une plaisanterie de ce genre pouvait être de vous faire flamber tout vif. On prit, ma foi, la dénonciation au sérieux, car Marot continue le récit de ses infortunes:

Lors, six pendards ne faisant mie,

A me surprendre finement

Et de jour, pour plus d'infamie,

Firent mon emprisonnement.

Ils vinrent à mon logement

Lors, il va dire aux gros pendards

Par là, morbleu! voilà Clément,

Prenez-le... il a mangé du lard.

Cette fois encore Marot s'en tira, «sans y rien laisser accroché de sa peau.» Mais il alla mourir en exil, c'était le seul moyen de finir tranquille.

Mais Clément Marot n'était pas le seul à sacrifier sur l'autel de la divinité; madame d'Etampes avait bien d'autres poëtes, ou plutôt elle avait tous les poëtes. Pour elle, Charles de Sainte-Marthe bouleversait le vieil Olympe avec plus d'audace que de bonheur, et son admiration lui arrachait des vers dans le goût de ceux-ci:

Junon, Vénus et Pallas, trois ensemble,

Ont heu débat merveilleux à vous voir:

Çà, dit Junon, mienne est comme me semble,

Pour son grand los, sa jeunesse et avoir.

Mais, fit Vénus, pour moi la veux avoir,

Car en beauté au monde n'a seconde.

Quoi! dit Pallas, sa très-noble faconde,

Son bel esprit, ses grâces sont la mienne.

Lequel aura des trois la pomme ronde

Pour vous tenir justement comme sienne?

On pourrait citer bien d'autres vers de Sainte-Marthe, il avait le pathos facile. Mais la duchesse le protégeait, bien qu'excellent juge, assurent les chroniques. En fait d'encens, peut-être tenait-elle plus à la quantité qu'à la qualité.

Mais de tous les poëtes de la cour, Mellin de Saint-Gelais était le préféré de François Ier. Fils d'Octavien, l'évêque d'Angoulême, Saint-Gelais appartenait lui-même à l'Eglise; il était aumônier du prince Henri, le second fils du roi. A tous ces avantages il joignait celui d'être noble, et n'en était pas médiocrement fier. On l'avait surnommé l'Ovide français; et on le mettait bien au-dessus de Clément Marot, «ce dernier des enfants sans souci

Saint-Gelais, dans ses vers bien autrement obscènes que tous ceux de ces contemporains, confond étrangement le paganisme et la religion chrétienne, mais il faut l'excuser, il était abbé de Reclus. C'est lui qui moralisait en ces termes une nouvelle venue à la cour:

Si du parti de celle que voulez être

Par qui Vénus de la cour est bannie,

Moi, de son fils, ambassadeur et prêtre,

Vous fais savoir qu'il vous excommunie.

François Ier trouvait charmants le tour d'esprit et les saillies de Saint-Gelais; il s'amusait à faire avec lui assaut d'impromptus. Il est vrai qu'il y gagnait toujours quelque bonne et grosse flatterie. Un jour, en regardant son cheval, le roi disait:

—Joli, gentil petit cheval,

Bon à monter, bon à descendre.

Et Saint-Gelais continuait:

—Sans que tu sois un Bucéphal

Tu portes plus grand qu'Alexandre.

Mais il y avait bien d'autres poëtes encore à la cour de France: Jean Daurat, Lazare le Baïf, et Jean Salmon, surnommé le Maigre, et Joachim du Bellay, et Ronsard, qui devait les faire oublier tous, et qui n'était encore qu'un débutant obscur.

Les érudits prenaient place à côté des poëtes. François Ier, qui de tous côtés faisait chercher des livres et des manuscrits précieux pour la bibliothèque de Fontainebleau, aimait beaucoup les savants. Il les admettait à sa table et prenait plaisir à les faire discuter. Les favoris étaient Guillaume Budée, l'aigle des interprètes, et Pierre Duchâtel, l'évêque de Mâcon.

La duchesse d'Étampes protégeait encore d'une façon toute spéciale l'immortel créateur de Gargantua et de Pantagruel, un des pères de la langue française, Rabelais, dont les livres avaient dès lors un immense succès.

Prenons en pitié ceux qui ne comprennent pas le large rire du philosophe gouailleur et qui préfèrent à son cynisme les petites obscénités des écrivains de son temps. Ceux-là n'ont pas compris la portée de ces bouffonneries; ils n'ont pas su pénétrer le livre qu'il eut l'audace et l'adresse d'écrire à une époque où, pour toute lumière, on avait la lugubre lueur des bûchers.

Savants et beaux esprits vivaient en bonne intelligence à la cour de la duchesse d'Étampes: mais il n'en était pas de même des artistes. Ces rivaux de gloire, dévorés de jalousie, emplissaient le palais de Fontainebleau du bruit de leurs querelles. François Ier, qui les aimait tous, ne savait auquel entendre, et épuisait sa diplomatie à essayer de les mettre d'accord.

Sébastien Serlio de Bologne avait commencé les travaux de Fontainebleau; lorsque les constructions touchèrent à leur terme, une armée d'artistes, peintres et sculpteurs, Nicolao Bellini, Pellegrino, Domenico Barbieri, Lorenzo Naldino, et bien d'autres accoururent de Florence, sous les ordres du Rosso, peintre, musicien, poëte, un de ces admirables architectes comme en avait alors l'Italie, et que se disputaient les souverains.

Tant que le Rosso régna en maître à Fontainebleau, tout alla bien. Mais voici qu'un jour arrivèrent le Bolonais Primatice, élève chéri de Jules Romain, et le Florentin Benvenuto Cellini, l'admirable artiste, dont la moindre coupe se paie aujourd'hui dix fois son poids d'or.

De ce moment, la paix fut troublée. Une haine terrible divisa bientôt ces trois hommes. Le Rosso fut vaincu le premier; il s'empoisonna de douleur, en apprenant que le Primatice était envoyé en Italie pour recueillir les plus belles statues antiques.

La lutte fut alors entre le Primatice et Benvenuto. Ce dernier fut obligé de s'éloigner; il avait perdu les bonnes grâces de la duchesse d'Étampes.

Il faut lire dans les mémoires de Benvenuto Cellini le récit des querelles de l'artiste et de la favorite. Cellini avait oublié de demander l'avis de madame d'Étampes sur un travail qui lui avait été commandé. De là, grande colère. Vainement François voulut s'interposer, la favorite fut inflexible. Et comme un jour, Benvenuto, qui voulait rentrer en grâce, était allé faire sa cour à la duchesse et lui offrir une coupe qu'il venait de terminer, elle le fit attendre une journée entière dans son antichambre, et cela inutilement. De ce jour, il n'y eut plus de réconciliation possible.

Benvenuto d'ailleurs avait commis un bien plus irrémissible crime. Détestant la duchesse, sans cesse il reproduisait les traits d'une rivale qui commençait à l'effrayer, de Diane de Poitiers, qui devait plus tard régner sous le nom de son amant, second fils de François Ier.

Blessé cruellement dans son amour-propre, Benvenuto Cellini quitta la cour de France malgré les prières du roi, et pour se venger de la favorite il écrivit ses mémoires.

Il ne faut pas oublier, au nombre des artistes que protégea le roi, Léonard de Vinci, le peintre immortel de la Joconde; mais il ne prit point part à ces luttes, il était mort plusieurs années auparavant, entre les bras de François Ier.

Le Primatice resta donc seul maître à Fontainebleau.

Mais le tableau de la cour de François Ier serait incomplet, si l'on ne disait un mot des astrologues et des fous, personnages importants.

François Ier eut quatre ou cinq fous; mais deux seulement sont bien connus: Triboulet et Brusquel. Les autres, tels que Caillette, Tony et Ortis, jouèrent sans doute un moins grand rôle. Le dernier, Ortis, était nègre et quelque peu moine. Clément Marot lui fit cependant l'honneur d'une épitaphe:

Sous cette tombe git et qui?

Un qui chantait Lacochiqui.

Cy git, que dure mort piqua,

Un qui chantait Lacochiqui.

C'est Ortis. O quelles douleurs!

Nous le vîmes de trois couleurs.

Tout mort, il m'en souvient encore.

Premièrement, il était mort,

Puis en habit de cordelier

Fut enterré sous ce pilier.

Avant qu'il eût l'esprit rendu

Tout son bien avait dépendu.

Par ainsi mourut le folâtre,

Aussi blanc comme un sac de plâtre,

Aussi gris qu'un foyer cendreux,

Et noir comme un beau diable ou deux.

Voici maintenant, d'après Jean Marot, dans le Siège de Pesquaire, le portrait de Triboulet:

. . . . . . . . . . De la tête écorné,

Aussi saige à trente ans que le jour qu'il fut né,

Petit front et gros yeux, nes grant et taille à voste,

Estomac plat et long, hault dos à porter hote,

Chacun contrefaisant, dansa, chanta, prescha,

Et de tout, si plaisant qu'onc homme se fascha.

Tout était permis à ces singuliers personnages, et leur impudence égalait leur cynisme. L'un d'eux, Triboulet, alla, dans un moment de gaîté, jusqu'à battre un prêtre à l'autel. Tous les tours des fous n'étaient pas bons, tant s'en faut, ils avaient en général plus de succès que de mérite; mais nous les retrouvons aujourd'hui riches de tout l'esprit que depuis quatre siècles leur ont prêté tous les écrivains qui les ont mis en scène.

La mission des astrologues était bien autrement sérieuse. Comme les fous, ils avaient la prétention de dire la vérité. On les consultait dans les graves circonstances de la vie, lors des naissances, des mariages, lorsqu'on entreprenait quelque difficile affaire. Ce métier avait bien ses périls, les astres sont si trompeurs! Henri Corneille Agrippa, astrologue de Louise de Savoie, était encore un des plus célèbres de l'époque. Malheureusement, il lui manquait la foi; lui-même appelle sa science l'art de moucher les écus. Chassé par Louise de Savoie, pour avoir osé lui prédire des choses déplaisantes, il s'en vengea en faisant des satires où il l'appelait vilaine Jézabel.

Au milieu de cette cour voluptueuse et brillante de Fontainebleau, dans ce palais peuplé d'artistes et de poètes, que chaque jour enrichissait de quelque nouveau chef-d'oeuvre, la duchesse d'Étampes régnait toujours en souveraine. Certaine de son empire absolu sur le coeur de son royal amant, elle usait les heures dans les plus doux passe-temps, préparant la veille les plaisirs du lendemain, reine toujours, au bal comme au festin, à la chasse comme au tournoi.

Elle regardait l'avenir sans inquiétude, et cependant, à côté d'elle, dans l'ombre, grandissait une puissance rivale. Lorsqu'elle s'en aperçut, il était trop tard pour la renverser: elle ne pouvait qu'accepter la lutte. Elle l'accepta, résolue à se faire arme de tout.

L'élévation de la duchesse d'Étampes, son pouvoir, ses tendances, lui avaient valu bien des ennemis. Plus que tous les autres, les Guise et les Montmorency, représentants du parti catholique et de la vieille féodalité, supportaient en frémissant ce qu'ils appelaient l'insolence de la favorite. Ils s'étaient rapprochés pour essayer, sinon de la renverser, du moins de balancer son crédit.

Ils avaient trouvé un redoutable auxiliaire dans Diane de Poitiers, veuve de Louis de Brézé, comte de Maulevrier, et qu'on appelait madame la sénéchale. A quarante ans passés, Diane était la maîtresse du second fils de François Ier, le prince Henri, qu'elle avait tenu enfant sur ses genoux, et qui avait alors dix-sept ans à peine.

Ce fut entre ces deux femmes une guerre à outrance, et la haine qui les animait l'une contre l'autre divisa bientôt la cour en deux partis.

Diane représentait les vieilles imaginations de la noblesse féodale; la duchesse, les idées nouvelles de la renaissance. L'une était le progrès, l'autre la réaction.

La duchesse d'Etampes avait beau jeu à railler sa rivale. Les amours d'une vieille coquette et d'un jeune homme qui n'avait point encore de duvet au menton prêtaient fort au ridicule. Madame d'Etampes demandait sans cesse des nouvelles des cheveux blancs de madame la sénéchale; et hautement, elle disait qu'elle était née le jour même où on avait signé le contrat de mariage de Diane de Poitiers.

Aux yeux des Montmorency et des Guise, le grand crime de madame d'Etampes était de protéger les calvinistes et d'user de son empire sur François Ier pour le pousser dans cette voie, tandis qu'eux ne rêvaient que bûchers et inquisition.

On comprend l'exaspération de ces grandes familles: les idées nouvelles commençaient à se faire jour en France. La réforme avait des partisans à la cour, et la soeur du roi, madame Marguerite, était fortement soupçonnée de s'être laissé gagner par l'hérésie.

Dans le peuple, on parlait de conciliabules secrets, de prédications passionnées. De hardis penseurs avaient osé émettre leur opinion. Enfin, pour tout dire, les idées de Calvin commençaient à faire d'autant plus de progrès que les scandales d'un clergé profondément gangrené étaient plus grands.

François Ier, dans sa haine contre Charles-Quint, poussé d'un autre côté par la duchesse d'Etampes, n'était pas éloigné d'accorder ouvertement son assentiment à la nouvelle doctrine. Déjà il avait tendu la main aux réformés de l'Allemagne et accepté la dédicace des oeuvres de Calvin. Enfin, il avait autorisé Clément Marot à traduire en vers français les psaumes de David.

Chaque soir, sur le Pré aux Clercs, alors ombragé de grands arbres, rendez-vous cher aux Parisiens, on chantait les psaumes de Clément Marot, auxquels on avait adapté les airs les plus nouveaux et les plus populaires. Bientôt la vogue de ces psaumes fut si grande, que le roi en encouragea la continuation, et le poëte put écrire ces vers en tête de son livre:

Puisque voulez que je poursuive, ô Sire,

L'oeuvre royal du psaultier commencé,

Et que tous ceux aimant Dieu le désire,

D'y besogner m'y tiens tout disposé.

Les catholiques fervents, Guise et Montmorency en tête, attaquaient avec fureur ces chants qui sentaient le fagot; ils traitaient la traduction de Marot de chansons bonnes tout au plus pour des mangeurs de vache à Colas, et un écrivain du parti faisait paraître le Contre-poison des chansons de Clément Marot.

Sur les instances pressantes de la duchesse et de madame Marguerite, le roi se décida à une démarche bien autrement grave, bien autrement significative. Par une lettre du 28 juin 1535, il invita Mélanchton à venir à Paris conférer avec les docteurs de la Sorbonne. Il lui envoyait un sauf-conduit pour traverser la France; mais le voyage du célèbre réformateur n'eut pas lieu. Quelles en eussent été les conséquences? A quoi a-t-il tenu que la France ne devint protestante?

Mais déjà la réaction commençait, le parti de Diane de Poitiers, reprenait le dessus.

François Ier, accusé par son éternel ennemi Charles-Quint de favoriser l'hérésie, de pactiser avec les infidèles, François Ier s'épouvanta. Au loin, il entrevoyait Rome menaçante; il tremblait en songeant au pouvoir terrible et mystérieux du clergé.

Il résolut de se disculper, et c'est dans le sang qu'il lava cette accusation. Il n'avait qu'à laisser faire. La Sorbonne et le Châtelet guettaient leur proie depuis longtemps. La persécution commença, les bûchers s'allumèrent. Brantôme, l'ennemi passionné des hérétiques, félicite François Ier d'en avoir fait faire de grands feux et d'avoir montré le chemin à ses brûlements. Ici le courtisan va trop loin, mais ses paroles resteront la honte éternelle d'un roi qui souffrit ces abominables persécutions contre des gens dont en secret il ne désapprouvait pas les doctrines.

Depuis l'année 1533, une jeune et charmante femme était venue prendre place à la cour, aux côtés de la duchesse d'Etampes et de Diane de Poitiers. C'était Catherine de Médicis, que l'on venait de donner pour femme au jeune prince Henri, l'amant toujours épris de madame la sénéchale.

Lorsqu'elle arriva en France, la jeune Italienne trouva son époux tout entier à son amour pour une vieille maîtresse. Une autre eût voulu lutter sans doute, se disant qu'une femme de dix-huit ans a facilement raison d'une femme de quarante; elle ne l'essaya même pas. Elle attendit.

Ses débuts à Fontainebleau furent des plus habiles. Peu parler, agir moins encore, telle fut sa devise. Placée entre deux ennemies dont l'une était la maîtresse de son mari, elle sut ne prendre parti ni pour l'une ni pour l'autre, elle resta neutre, également bien avec toutes deux. Elle dévora sa rage et sa jalousie, se composa un visage riant, et, tout en étudiant avec soin les partis et les hommes, elle ne sembla occupée que d'arts et de plaisirs. Belle, de riche taille, de grande majesté, elle semblait attacher une grande importance à ses ajustements, et prenait plaisir, dit Brantôme, un de ses admirateurs, à montrer ses belles jambes et ses mains d'une rare perfection. Quelques-uns la redoutaient, mais uniquement parce qu'elle était Italienne, car nul sous les dehors frivoles de cette jeune princesse ne songeait à deviner la sombre et habile politique qui devait être plus tard si terrible à ses ennemis.

Au milieu de cette cour où chacun ne songeait qu'à soi, où les amours et les intrigues se croisaient d'une inextricable façon, Catherine de Médicis ne semblait avoir d'autre dessein que de plaire à tous, au roi surtout. Bientôt François Ier, que la maladie et les chagrins rendaient de jour en jour plus sombre, ne put plus se passer de l'adroite Italienne. Il admirait son esprit, sa beauté, sa grâce dans les ballets, sa vaillantise à courre le cerf. Elle fut désormais de toutes les fêtes. Elle suivait le roi partout, même lorsqu'avec quelques intimes et des favorites de la petite bande il s'éloignait pour quelqu'une de ces parties qui se terminaient toujours en débauches. Mais elle était moins curieuse de galanterie que de politique, et son but, dit Brantôme, en prenant part à ces réjouissances, «était de voir toutes les actions du roi, d'en tirer les secrets et d'écouter et savoir toutes choses.»

Tout à coup, au mois d'août de l'année 1536, une terrible nouvelle se répandit à la cour, la mort du dauphin François, le fils aîné du roi.

Le jeune prince se trouvait alors à Lyon. Jouant à la paume avec quelques-uns de ses amis, fort échauffé par le jeu, il eut soif et vida d'un seul trait un grand verre d'eau glacée. Pris d'un mal subit, il fut emporté en quelques heures.

On ne douta pas qu'il n'eût été empoisonné, comme si l'eau glacée qu'il avait bue n'avait pas pu produire l'effet d'un poison. Mais quelle main avait commis le crime? Comme d'ordinaire, on accusait tout le monde, Charles-Quint, Catherine de Médicis.

Un gentilhomme de Ferrare, Sébastien de Montecuculli, coupable de s'être approché du vase qui contenait le breuvage du prince, fut arrêté. Soumis à la question, il avoua tout ce qu'on voulut, et finalement fut écartelé. De ses révélations, il résulta que l'empereur Charles-Quint avait ordonné le crime. Ce fut presque un fait avéré, et Clément Marot put dire:

Un Ferrerais lui donna le poison

Au veuil d'autrui qui en crainte régnait,

Voyant François qui César devenait.

Malherbe, dans ses stances à Duperrier, est bien autrement explicite, ce qui prouve que l'accusation s'était fort accréditée:

François, quand la Castille inégale à ses armes

Lui vola son dauphin,

Semblait d'un si grand coup devoir jeter des larmes

Qui n'eussent jamais fin;


Il les sécha pourtant, et comme un autre Alcide,

Contre fortune instruit,

Fit qu'à ses ennemis, d'un acte si perfide

La honte fut le fruit.

Plus justes, la postérité et l'histoire ont proclamé l'innocence de Charles-Quint. Quel intérêt pouvait avoir l'empereur à cette mort? Et il était trop habile pour commettre un crime inutile. Le dernier vers de Malherbe nous révèle les intentions des juges de Montecuculli. François Ier avait intérêt à jeter de l'odieux sur un ennemi qui envahissait ses provinces, il saisit avec empressement cette occasion.

Le coupable, si toutefois il y en eut d'autres que les juges qui torturèrent le gentilhomme piémontais pour lui faire avouer les accusations qu'ils lui dictaient, le coupable était à la cour de François Ier. Nul plus que Catherine de Médicis n'avait intérêt à la mort du Dauphin, rien ne la séparait plus de la couronne. On sait d'ailleurs qu'elle haïssait furieusement le fils aîné du roi, l'ambition de régner était sa seule passion, et depuis elle montra ce dont elle était capable lorsqu'il s'agissait de renverser un obstacle.

La mort du Dauphin rendit plus terrible et plus funeste à la France la rivalité de Diane de Poitiers et de la duchesse d'Etampes. L'orgueil de la première, qui voyait son amant héritier de la couronne de France, était devenu immense; la haine de la seconde était désormais doublée de crainte, elle sentait qu'à la mort de François Ier elle n'avait pas de merci à attendre de sa rivale.

De ce moment, madame d'Etampes s'appliqua à fomenter des discordes dans la famille royale. François Ier avait toujours préféré son dernier fils, le duc d'Orléans: bientôt la favorite lui rendit insupportable Henri son héritier qu'elle lui peignait toujours avec les couleurs les plus sombres. Elle le montrait à François, penché sur le lit de son agonie, attendant avec impatience l'heure de poser la couronne sur sa tête.

Une imprudence du nouveau Dauphin sembla justifier les tristes prévisions de la duchesse d'Etampes.

Soupant un jour avec ses courtisans, Henri, échauffé par le vin, se mit, en manière de plaisanterie, à leur distribuer toutes les charges de la couronne. A l'un il donnait une armée, à l'autre un gouvernement.

Averti de cette scène inconvenante par Triboulet, un de ses fous, le roi entra dans une épouvantable colère. Sautant sur son épée, il courut droit aux appartements de son fils à la tête des archers de la garde écossaise. Les jeunes fous, prévenus à temps, avaient heureusement pu s'enfuir.

François Ier s'en prit alors aux valets; mais ceux-ci ayant réussi à sauter par les fenêtres, il passa son courroux, dit une vieille chronique, sur l'ameublement qu'il mit en pièces.

Cette affaire accrut la haine de François pour son fils aîné. Son affection pour le duc d'Orléans redoubla. Il l'appelait son petit Guichardet, en souvenir des quatre fils Aymon. Madame d'Etampes, qui protégeait ce jeune prince, poussait le roi à lui trouver un gouvernement indépendant. La santé de François était fort chancelante, et la favorite songeait à se ménager une retraite pour le jour où, avec Henri, Diane de Poitiers monterait sur le trône. On destinait alors au jeune duc d'Orléans une fille de l'Espagne, avec l'investiture du duché de Milan, et, se croyant appelé à régner en Italie, il s'habituait aux moeurs et à la langue de la Lombardie.

Au mois d'avril 1539, François Ier, triste et malade, habitait le château de Compiègne, qu'il aimait presque autant que Fontainebleau, à cause du voisinage de la forêt, lorsqu'il reçut de Charles-Quint une lettre confidentielle qui surprit et embarrassa fort son conseil.

L'empereur demandait à son frère de France passage et sauf-conduit à travers ses provinces, pour aller punir les Gantois qui s'étaient révoltés à l'occasion d'un nouveau subside que réclamait d'eux la gouvernante des Pays-Bas.

Les circonstances étaient graves: toutes les villes de métiers, Liége, Ypres, Namur, n'attendaient qu'un signal pour arborer l'étendard de la rébellion et suivre l'exemple de Gand, et au même instant les cortès de Castille faisaient retentir aux oreilles de l'empereur un langage séditieux; les cortès réclamaient le rétablissement des franchises et des privilèges de la noblesse.

Charles-Quint était perdu si le roi de France prêtait le secours de ses armes et de son nom aux révoltés des Flandres.

C'est ce qu'objectèrent tout d'abord les conseillers du roi, lorsque la lettre de l'empereur leur fut communiquée. Madame d'Etampes, que le roi consultait toujours la première, avait déjà émis cette opinion.

Mais les premiers troubles du protestantisme dans son royaume avaient si fort épouvanté François Ier, que sans cesse il se croyait à la veille d'une révolte générale, et pour rien au monde, tant il redoutait la contagion, il n'eût voulu favoriser l'insurrection, même contre un ennemi.

A l'encontre de tous ses conseillers, le roi de France se décida donc à accorder à Charles-Quint le passage et le sauf-conduit qu'il demandait. Faut-il le dire, François Ier voyait dans cette perspective de devenir l'hôte de son plus cruel ennemi quelque chose de grand, de chevaleresque, qui flattait singulièrement ses idées. Les héros de romans n'agissaient point autrement. Ainsi eût fait Amadis des Gaules, ce miroir de la chevalerie, en pareille occurrence.

—Sur ma foi de gentilhomme! s'écria François Ier, j'accorderai passage à l'empereur, et dans mon royaume il sera traité comme si véritablement il était mon frère.

Et afin que nul ne put mettre en doute sa sincérité et sa loyauté, il envoya ses deux fils, le Dauphin et le duc d'Orléans, jusqu'au pied des Pyrénées pour se mettre à la disposition de l'empereur. Les jeunes princes devaient lui offrir de demeurer comme otages dans quelque ville d'Espagne tant que durerait son voyage à travers la France.

François Ier écrivait en outre à Charles-Quint une lettre qui se terminait ainsi:

...«Voulant bien vous asseurer, monsieur mon bon frère, par ceste lettre de ma main, sur mon honneur et en foy de prince et du meilleur frère que vous ayez, que passant par mon royaulme, il vous sera faict et porté tout l'honneur accueil et bon traictement que faire se pourra et tel qu'à ma propre personne.»

Mais Charles-Quint n'envoya pas les jeunes princes en Espagne, il voulut les garder près de lui «pour lui faire compagnie, comme fils de son meilleur compaing et confédéré.»

—La parole du roi de France, répondit-il à ceux qui lui conseillaient de prendre ses sûretés, m'est un garant assez sûr.

Enfin on se mit en route. Les volontés de François Ier avaient été scrupuleusement exécutées, et l'empereur était véritablement traité comme lui-même. Devant l'hôte du roi-chevalier marchait le connétable de France, portant devant lui l'épée nue et droite, les plus nobles gentilshommes lui faisaient escorte, et chacun lui rendait les honneurs dus au seul souverain.

Partout, sur son passage, les villes se pavoisaient aux couleurs impériales, les gouverneurs et les corporations venaient aux portes le recevoir et lui rendre hommage. Il avait toutes les prérogatives du droit régalien, faisait acte de justice et de souveraineté, et dans chaque ville délivrait les prisonniers.

La cité de Poitiers se distingua entre toutes: les bourgeois n'avaient point regardé à la dépense, et des fêtes magnifiques signalèrent le passage de l'allié de François Ier.

«Ainsi, dit une vieille chronique, l'empereur s'avançait à travers les provinces, chassant sur les rivières et dans les forêts, s'émerveillant de la richesse du pays, et disant que son frère de France était bien plus riche et bien plus puissant que lui, dont les États étaient si vastes que le soleil ne s'y couchait jamais.»

A la cour de France, on faisait d'immenses préparatifs et chacun attendait avec une fiévreuse impatience l'arrivée de Charles-Quint. Le sauf-conduit avait été donné malgré l'avis du conseil, «mais bien des gens pensaient que le roi saurait tirer avantage de la venue de l'empereur lorsqu'il le tiendrait en son pouvoir.» Le cardinal de Tournon engageait fort François Ier à ne point laisser échapper une occasion si belle d'obtenir l'investiture du duché de Milan; Anne de Montmorency, au contraire, était pour que l'on tînt loyalement une parole librement donnée.

Triboulet, le fou du roi, ne se gênait point pour exprimer hautement l'opinion publique. Il avait un livre, sorte de calendrier de la folie, où il inscrivait le nom de tous ceux qui à son avis semblaient avoir perdu la raison. Sa liste était longue. Un jour, devant le roi, il y inscrivit le nom de Charles-Quint.

—Que fais-tu là, bouffon? demanda le roi.

—Vous le voyez, je place dans mon livre des fous votre frère l'empereur qui vient se mettre au pouvoir d'un ennemi.

—Mais j'ai donné ma parole, bouffon, et l'empereur sortira librement ainsi que je l'ai promis.

—Si cela arrive, répondit Triboulet, j'effacerai son nom et je mettrai le vôtre à la place.

La première entrevue des deux souverains eut lieu vers la mi-décembre 1539 à Châtellerault où François Ier, bien que malade s'était porté avec toute la cour. «Les deux rois se jetèrent dans les bras l'un de l'autre, s'embrassant avec tendresse, se faisant mille protestations d'une amitié» sans doute bien loin de leurs coeurs.

Charles-Quint voulait continuer son voyage aussi promptement que possible, mais ce n'était pas le compte de François Ier. Le roi-chevalier voulait faire à son rival les honneurs de la France, et quels honneurs! Des préparatifs immenses avaient été faits dans toutes les résidences royales, le Rosso avait ordonné des fêtes magnifiques; Paris préparait une entrée digne des deux grands souverains; enfin, tous les gentilshommes, jaloux de plaire au maître, avaient emprunté de tous côtés afin de faire assaut de luxe et de richesse.

François Ier voulait éblouir Charles-Quint par son faste, par les richesses, par les splendeurs de sa cour; il réussit à l'étourdir.

Habitué au morne silence du sombre palais de l'Escurial, l'empereur se sentait mal à l'aise au milieu de cette cour bruyante. En voyant toute cette noblesse de France, si vive, si spirituelle, si tapageuse, si amoureuse de festins et de mascarades, il pensait involontairement aux mornes ricoshombres qui habitaient ses résidences impériales sans les peupler, et qui même aux jours de fêles, toujours silencieux et funèbres, semblaient n'avoir d'autre souci que leur dignité de grands d'Espagne.

En écoutant la longue énumération des fêtes de toutes sortes qui l'attendaient, Charles-Quint se sentit pris d'un terrible soupçon; il était payé pour savoir ce que valaient les serments de son frère de France; il trembla en pensant que toutes ces cérémonies n'étaient qu'un vain prétexte pour le retenir.

Il fit cependant «contre fortune bon coeur,» il se résigna, mais de ce jour il perdit toute confiance: son front assombri disait toutes ses inquiétudes, ses yeux toujours en mouvement semblaient chercher de quel côté allait venir le piége.

Les fêtes avaient commencé, cependant; mais comme pour justifier les craintes de Charles, à chaque instant arrivait un accident.

A Amboise, une torche maladroite mit le feu aux tentures, il y eut une mêlée terrible. François voulait faire pendre l'auteur de l'accident, mais Charles, à peine remis d'une frayeur facile à comprendre, demanda et obtint sa grâce.

Ailleurs, une poutre mal ajustée tomba si près de l'empereur que ses vêtements furent déchirés.

Enfin le 31 décembre les deux rois couchèrent à Vincennes, leur entrée à Paris devait avoir lieu le lendemain.

Il faut lire dans les chroniques du temps les détails de cette solennelle entrée. La longueur seule du récit donne une idée de la longueur des processions. Le corps de la ville offrit à Charles-Quint un Hercule tout d'argent, et revêtu de sa peau de lion en or; ledit Hercule de la hauteur d'un grand homme.

Puis les fêtes de toutes sortes recommencèrent, bals, festins, concerts, mascarades, comédies burlesques, tournois, chasses aux flambeaux, le Rosso savait varier sa mise en scène.

Mais l'ambitieux Charles-Quint avait peu de goût pour ces pompes frivoles, pour ce faste bruyant, passions de François Ier. Il avait hâte de quitter la France, ses craintes avaient grandi, il ne vivait plus.

Un jour, comme il était à cheval, un chevalier sauta en croupe; et le serrant vigoureusement lui dit d'une voix forte!

—Sire empereur, vous êtes mon prisonnier.

L'empereur épouvanté se retourna. Ce n'était qu'une plaisanterie du jeune duc d'Orléans, mais quelle plaisanterie!

François Ier, malgré la frayeur de son rival, n'en pouvait cependant rien obtenir. A plusieurs reprises il lui avait parlé de l'investiture du duché de Milan pour ce même duc d'Orléans qui faisait de si terribles espiégleries, mais il n'avait reçu que des réponses évasives.

Charles-Quint avait, il faut le dire, trouvé le moyen de se faire des amis à la cour; de ce nombre était le connétable Anne de Montmorency, dont il n'avait pas dédaigné de flatter la grossière vanité. Il l'appelait à tout propos le plus grand capitaine de l'Europe.

Il avait été moins heureux dans ses tentatives près de la duchesse d'Etampes, la véritable souveraine du royaume, et cependant il se portait fort admirateur de cette beauté célèbre, seul trésor «qu'il enviât à son frère de France.»

Un jour, à la chasse, François Ier, qui prenait un malin plaisir à augmenter les terreurs de son hôte, lui avait dit, en lui montrant la favorite:

—Voici une belle dame, mon frère, qui me presse fort de ne vous point laisser partir sans avoir détruit à Paris l'ouvrage de Madrid.

Charles-Quint avait pâli à ces mots; cependant, avec un sourire blême il avait répondu:

—Si le conseil est bon il faut le suivre.

Mais le soir même, tandis que la duchesse d'Etampes lui présentait l'aiguière pour se laver les mains, l'empereur laissa tomber dans le bassin de vermeil un diamant d'une merveilleuse beauté et d'un prix incomparable. Et comme la duchesse voulait le lui rendre:

—Dieu me garde, dit-il, de le reprendre, il est en trop belles mains pour cela. Gardez-le en souvenir de moi.

Madame d'Etampes conserva le diamant, mais ils se sont trompés ceux qui ont cru qu'un tel présent pouvait acheter la maîtresse de François Ier. Certes elle fut sensible à cette courtoisie, à cet hommage rendu à sa beauté, mais jusqu'à la fin elle persista dans son opinion première. Ce n'est que plus tard qu'elle devait avoir recours à l'empereur.

Après de touchants adieux, après mille protestations au sujet de la fameuse investiture, l'empereur Charles-Quint quitta François Ier et continua sa route. Il ne pouvait plus dissimuler son impatience.

A mesure qu'il approchait des frontières, il sentait son coeur plus léger et oubliait ses promesses, d'ailleurs toutes conditionnelles.

Enfin il toucha ses domaines. «Lors poussant un long soupir de satisfaction, il dit à ceux qui l'entouraient:

—«Ce soir, pour la première fois depuis que j'ai mis le pied en France, je m'endormirai tranquille.»

Fidèle à son idée, Triboulet inscrivit François Ier sur le livre des fous.

Quelques historiens qui nient toute bonne foi politique ont fait comme Triboulet. Ceux-là, après avoir rappelé le manque de foi de François Ier lors du traité de Madrid, se demandent pourquoi en cette circonstance il tint si scrupuleusement sa parole de gentilhomme. Qu'importe, disent-ils, un serment de plus ou de moins!

Après le départ de Charles-Quint, la cour de France, si bruyante et si gaie, tomba dans une morne tristesse. Le roi était malade, un ulcère honteux lui faisait des nuits sans repos. Les soins de la duchesse d'Etampes parvenaient à peine à le distraire. Les journées se passaient à examiner les précieux objets d'art venus d'Italie, à admirer l'oeuvre des peintres et des sculpteurs, à regarder l'un après l'autre les riches manuscrits de la bibliothèque. Mais ni la gaîté de madame d'Etampes, ni la conversation des savants, ni les louanges des poëtes ne pouvaient tirer le roi de son marasme.

Peut-être la conscience de ce faible souverain était-elle troublée par les persécutions horribles que souffraient en son nom ceux de la religion réformée. Les cris des victimes devaient monter jusqu'à lui. Et cependant il laissait faire. Le chancelier avait rendu contre les novateurs une série de terribles ordonnances où il n'était question que de hart et d'estrapade. Les frères prêcheurs avaient installé un petit tribunal dans le genre de l'inquisition.

Vainement la duchesse d'Etampes qui allait au prêche, et madame Marguerite qui professait la religion nouvelle, essayèrent d'interposer leur autorité; le roi répondait qu'il ne pouvait rien. A grand'peine elles préservèrent les savants et les beaux esprits, presque tous entachés d'hérésie, qu'elles protégeaient. Le roi les aimait sans doute, il les admettait à sa table, mais il les aurait laissé pendre. En deux ou trois circonstances seulement le roi se laissa arracher une grâce.

Le peuple cependant s'habituait à la vue des supplices, la populace dansait autour des bûchers. Aux jours de grande fête, comme divertissement suprême on accrochait quelque financier aux fourches de Montfaucon. La pendaison d'un financier a toujours été d'un bon effet. Sembleçay avait été «donné aux corbeaux,» uniquement parce qu'il était riche. Une épigramme de Marot l'a vengé:

Lorsque Maillard, juge d'enfer, menait

A Montfaucon Sembleçay l'âme rendre,

A votre avis, lequel des deux tenait

Meilleur maintien? Pour vous le faire entendre,

Maillard semblait homme que mort va prendre,

Et Sembleçay fut le ferme vieillard

Que l'on cuidait pour vrai qu'il menait pendre

A Montfaucon le lieutenant Maillard.

Le chancelier Poyet ne fut point pendu, lui, mais dégradé, ruiné, il mourut dans la misère. Quel crime avait-il donc commis? Hélas, il avait déplu à madame d'Etampes, grave faute! puis il avait fait condamner un innocent, Brion. Cet innocent, qui était un peu parent de la favorite, fut bien vengé.

On demanda des comptes à Poyet, et en attendant qu'il pût les rendre on le mit à la Bastille. Il y resta trois ans. Il espérait que la duchesse d'Etampes se lasserait de le persécuter, il réclama des juges. On lui en donna.

—Qu'on le juge, dit le roi, et s'il n'est coupable que de cent crimes, qu'on l'absolve.

Les misérables qui instruisaient le procès, malgré toute leur bonne volonté, furent bien loin de ce compte. Ils ne purent trouver qu'un crime, un seul, il est vrai qu'il n'était pas bien prouvé. Poyet fut condamné cependant, mais non à mort. On se contenta de confisquer ses biens et de l'enfermer dans la grosse tour de Bourges. Lorsqu'on lui ouvrit les portes de sa prison, il chercha à gagner sa vie, il ne le put, chacun le fuyait, alors il périt de faim.

Le grand, le vrai, le seul crime de Poyet, était d'avoir été un aveugle instrument de tyrannie. Qu'avait-il fait que n'eût approuvé le roi? Il n'avait pas compris, l'insensé, que l'instrument d'un pouvoir doit prendre ses précautions et garder toujours une arme, sous peine d'être brisé, sacrifié, le jour où ses services sont devenus inutiles.

Au milieu de toutes ces tristesses, un heureux événement avait rempli de bruit et de fêtes les salles splendides du palais de Fontainebleau (1543).

La femme du Dauphin, Catherine de Médicis, venait, après dix ans de mariage, de donner un fils à la France. François Ier fut au comble de la joie, et se servant d'une phrase dont les grands-pères ont abusé depuis, il déclara «qu'il se sentait revivre en son petit-fils.»

Après les fêtes, le deuil: deux ans plus tard François Ier perdit le duc d'Orléans, ce fils bien-aimé de sa vieillesse, ce protégé de la duchesse d'Etampes. Ce jeune prince, doué des plus remarquables qualités, périt victime d'une terrible épidémie qui décimait l'armée. Cette fois encore on parla de poison. On compta ses ennemis, il en avait beaucoup, sans compter son frère Henri, Diane de Poitiers et Catherine de Médicis, qui convoitait pour elle-même le duché de Milan.

Cette mort a inspiré à Ronsard une admirable élégie; Ronsard avait aimé ce jeune prince si généreux et si brave:

A peine un poil blondelet,

Nouvelet

Autour de sa bouche tendre,

A se friser commençait,

Qu'il pensait

De César être le gendre.


Jà, brave, se promettait

Qu'il était

Duc des lombardes campagnes

Et qu'il verrait quelquefois

Ses fils rois

De l'Itale et des Espagnes.

Mais la mort qui le tua

Lui mua

Son épouse en une pierre

Et pour tout l'heur qu'il conçut

Ne reçut

Qu'à peine six pieds de terre.

Nous touchons maintenant aux plus sombres années du long règne de la duchesse d'Etampes; nous allons voir l'indigne favorite, aveuglée par sa haine contre Diane de Poitiers, trahir, au bénéfice de Charles-Quint, et la France et ce roi qui l'avait tant aimée.

Depuis 1541 la guerre s'était rallumée entre la France et l'Espagne, mais l'empereur marchait à coup sûr, et il allait de succès en succès, déjouant tous les plans de François Ier et de son conseil. C'est que madame d'Etampes veillait. En échange de promesses illusoires, elle livrait les secrets du conseil, les chiffres des généraux, et d'avance dévoilait tous les projets d'attaque ou de défense. Ainsi l'empereur put défendre Perpignan, prendre Saint-Dizier, s'emparer des magasins formés dans Epernay par le Dauphin. Pareille trahison livra encore Château-Thierry qui renfermait d'immenses provisions de blé et de farine. Ainsi les impériaux vivaient dans l'abondance, tandis que dans l'armée du Dauphin les soldats mouraient de privations.

Un certain comte de Bossut, de la maison de Longueval, fut l'artisan et l'intermédiaire de toutes ces trahisons. Agent gagé de Charles-Quint a la cour de France, il dut à ses infamies une grande fortune. Sous le règne de Henri II, il est vrai, tout le secret de cette affaire ayant été dévoilé, le comte faillit porter sa tête sur l'échafaud; il n'échappa au juste châtiment dont il était menacé qu'en cédant, au tout-puissant et avide cardinal de Lorraine une magnifique propriété. Après quoi «il vécut longuement, riche, heureux et honoré,» dit un historien du temps.

François Ier voyait bien qu'il était trahi; il accusait tout le monde, le Dauphin, Catherine de Médicis, la reine Eléonore, les généraux, son conseil, mais jamais un seul instant il ne soupçonna la misérable favorite.

Cependant l'armée de l'empereur était aux portes de la capitale, déjà la population épouvantée cherchait à s'enfuir. L'énergie de François Ier sauva la France. Le danger lui rendit la vigueur et l'activité de sa jeunesse. Bientôt la paix fut signée à Crépy, paix honteuse pour la France, dont tous les avantages étaient pour Charles-Quint qui ne donnait qu'une vague promesse d'un mariage avantageux pour le duc d'Orléans, avec l'investiture définitive du duché de Milan. L'empereur devait bien cette dernière clause à la favorite qui l'avait si bien servi. L'investiture pour le duc d'Orléans, tel avait été le mobile de la duchesse d'Etampes. En agissant ainsi elle croyait s'assurer une retraite lorsque le Dauphin monterait sur le trône. La mort du duc d'Orléans rendit tous ces crimes, toutes ces trahisons inutiles.

Bien tristes furent les dernières années de François Ier. Alors la perfide favorite expia sa vie. Chaque jour ajoutait une épine à la couronne de honte qui ceignait son front, couronne de duchesse. Liée, comme les suppliciés antiques, vivante à un cadavre, dévorée de regrets et de haines, assaillie d'anxiétés, elle ne savait plus elle-même si elle devait craindre ou souhaiter la mort de son amant.

Le brillant, le chevaleresque François Ier n'était plus que l'ombre de lui-même. Son mal avait empiré d'une façon terrible, et la science des médecins était impuissante. Fermait-on l'horrible ulcère, il se rouvrait plus épouvantable. Ambroise Paré lui-même, le grand chirurgien, s'avouait vaincu et ne trouvait point de remède contre les indicibles douleurs du malade.

Parfois résolu à vaincre la souffrance, il se levait et demandait des fêtes, encore des fêtes, des festins, des mascarades; mais l'instant d'après il retombait brisé sur son lit.

Fou de douleur et de rage, il ne pouvait rester nulle part; il courait, espérant fuir ses tourments horribles, de Paris à Compiègne, de Fontainebleau à Saint-Germain, puis à Loches, à Amboise, partout. C'est où il n'était pas qu'il désirait être. Toujours à ses côtés il lui fallait la duchesse d'Etampes, non plus sa maîtresse, mais sa garde-malade.

La chasse, une chasse folle, enragée, infernale, était son unique, sa dernière passion. L'excès même du mal lui donnait quelque répit. En se brisant ainsi de fatigue, il espérait retrouver le sommeil qu'il appelait vainement et qui depuis si longtemps avait fui sa paupière.

Enfin au retour d'une chasse, à Rambouillet, il fut contraint de se mettre au lit. Les symptômes les plus graves se déclarèrent, il sentit qu'il était perdu.

—Je suis cruellement puni, dit-il, par où j'ai péché.

Puis il voulut faire une fin chrétienne; il déplora la longue saturnale de sa vie, adjura son fils de se méfier des Guises et du connétable de Montmorency, et mourut en recommandant son âme à Dieu et son peuple à son fils, deux choses qui ne l'avaient guère inquiété durant sa vie.

Au grotesque, maintenant: Pierre Castelan, qui prononça l'oraison funèbre de François Ier, dit en pleine chaire: «que sa pieuse mort avait dû le dispenser du purgatoire.»

«L'université jugea la proposition hérétique et envoya une commission de docteurs se plaindre à la cour.

—«Messieurs, leur dit l'Espagnol Jean Mendoze, maître d'hôtel du défunt, vous venez pour débattre avec M. le grand aumônier le lieu où peut bien être l'âme du défunt roi, notre bon maître? Rapportez-vous-en à moi qui l'ai bien connu, il n'était pas d'humeur à s'arrêter longtemps en quelque lieu que ce fût. Si donc il a été en purgatoire il n'y aura guère demeuré que le temps d'y goûter le vin en passant, selon sa coutume.»

Dans le peuple on répétait l'épigramme suivante:

L'an mil cinq cent quarante sept

François mourut à Rambouillet

Du mal de Naples qu'il avait.

Le corps de François Ier n'était pas refroidi encore, que déjà la duchesse d'Etampes avait reçu l'ordre de quitter la cour et de se retirer dans ses terres. Elle se résigna. Aussi bien ses préparatifs étaient faits depuis longtemps.

Les biens de madame d'Etampes étaient considérables: le roi pendant toute sa vie s'était fait un plaisir de la combler de richesses, il lui avait prodigué les terres, les châteaux, les seigneuries, elle avait à Paris plusieurs hôtels, et voici ce qu'on lit dans Saint-Foix au sujet du logis favori de la duchesse.

«Au bout de la rue Gît-le-Coeur, dans l'angle qu'elle forme aujourd'hui avec la rue de Hurepoix, François Ier fit bâtir un petit palais qui communique à un hôtel qu'avait la duchesse d'Etampes dans la rue de l'Hirondelle.

«Les peintures à fresque, les tableaux, les tapisseries, les salamandres, accompagnées d'emblèmes et de tendres et amoureuses devises, tout annonçait, dans ce petit palais et cet hôtel, le dieu et les plaisirs auxquels ils étaient consacrés.

«De toutes ces devises, Sauval ne put se ressouvenir que de celle-ci: c'était un coeur enflammé, placé entre un alpha et un oméga pour dire probablement: il brûlera toujours.

«Le cabinet de bains de la duchesse d'Etampes sert à présent d'écurie à une auberge qui a retenu le nom de la Salamandre; un chapelier fait la cuisine dans la chambre du lever de François Ier, et la femme d'un libraire était en couches dans son petit salon de délices, lorsque j'allai pour examiner les restes de ce palais.»

A dater de la mort de François Ier on perd à peu près de vue la duchesse d'Etampes, les chroniqueurs oublient son nom, et les poëtes qui l'avaient tant louée semblent ne plus se souvenir d'elle.

Il est à peu près certain cependant qu'elle embrassa ouvertement la religion réformée.

Mais comment vécut-elle? essaya-t-elle par son repentir, par sa conduite régulière, de faire oublier ses scandaleux désordres? c'est ce qu'on ne saurait affirmer. Beaucoup prétendent que dans sa retraite et bien qu'elle ne fût plus jeune, elle eut plusieurs amants, Dampierre entre autres.

Au reste, du vivant du roi elle ne s'était jamais piquée d'une grande constance, et elle lui avait largement rendu ses infidélités. Le plus connu de tous ceux qui eurent part à ses faveurs est le comte de Bossut, celui-là même qui fut son agent lors de ses abominables trahisons.

Ses relations avec Jarnac son beau-frère ne sont rien moins que prouvées. Il y a même tout lieu de croire à une calomnie. La Châtaigneraie, en effet, auteur de ces bruits, était fort avant dans les bonnes grâces de Diane de Poitiers, qui regardait comme bons tous les moyens pour perdre une rivale ou ruiner son crédit. Ces bruits obligèrent Jarnac à provoquer la Châtaigneraie. Mais François Ier, qui avait une admirable foi en sa maîtresse, ne voulut pas autoriser le combat. Ce ne fut que partie remise, et sous le règne de Henri II nous assisterons à ce duel, le dernier des duels judiciaires.

Vers l'année 1556, la duchesse d'Etampes sortit un instant de son obscurité. Le duc d'Etampes, Jean de Brosse, son mari,—car il ne faut pas l'oublier, elle avait un mari,—lui intenta un procès.

Jean de Brosse ne cherchait aucunement à faire constater son déshonneur, il était en vérité assez prouvé. Comme c'était un homme d'ordre et qui ne voulait pas avoir donné son nom pour rien, il réclamait une grande part de la fortune de sa femme, fortune dont la duchesse et le comte de Bossut avaient disposé sans avoir aucun égard à ses droits. Le roi Henri II lui-même consentit à servir de témoin dans l'enquête qui précéda le procès. Jean de Brosse gagna. C'était justice.

La duchesse d'Etampes vécut par la suite dans une telle obscurité qu'on ignore jusqu'à la date précise de sa mort. «Où donc s'en vont, dit Beyle, les étoiles qui filent?»

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