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XII MADEMOISELLE DE HAUTEFORT
ET
MADEMOISELLE DE LA FAYETTE.

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Table des matières

Seule, la loi des contrastes donne ici une place aux chastes amours de Louis XIII; le noble caractère des belles et vertueuses amies de ce prince mélancolique reçoit un éclat nouveau du voisinage de tant de favorites royales, qui n'ont même pas pour excuse la violence de la passion, et dont l'ambition semble avoir été le seul mobile.

Des chroniques mensongères peuvent, il est vrai, donner au roi seul tout l'honneur d'une sagesse si rare à cette époque qu'elle en est presque invraisemblable; mais il faut avoir étudié bien superficiellement la vie de mesdemoiselles de Hautefort et de La Fayette pour avancer que leur vertu ne fut qu'impuissance, et qu'elles firent, l'une et l'autre, tous leurs efforts pour forcer la triple cuirasse de pudeur, de glace et de scrupules religieux, qui défendait contre leurs galantes tentatives le coeur de leur royal ami.

Leur conduite politique, bien que toute de dévouement et de désintéressement, mérite moins d'éloges: leur nom se trouve mêlé à toutes les cabales, à tous les complots des grands seigneurs, de la reine-mère et d'Anne d'Autriche. Abusées par l'influence personnelle de la reine, dupes de sa dangereuse amitié, elles la secondèrent de toutes leurs forces dans ses entreprises contre un ministre détesté.

Mais à une cour où Richelieu était le maître, les femmes devaient avoir une faible influence; le cotillon s'effaçait devant la robe rouge de l'ombrageux cardinal.

On n'en a pas trop dit sur la chasteté de Louis XIII; la froideur de sa nature lui rendait facile la vertu que lui imposaient ses scrupules religieux. Ce fils du Vert-Galant n'aimait pas les femmes, et il considérait l'immodestie comme un scandaleux et damnable péché.

On pense s'il eut à souffrir au milieu d'une cour licencieuse, dont les dames n'avaient pas assez d'admiration ni de regrets pour la galanterie de Henri IV. Au moins ne se gênait-il pas pour exprimer ses sentiments d'une façon souvent plus que brutale.

Un jour, à la table royale, il remarqua une dame qui étalait avec une complaisance exagérée les splendeurs d'une fort belle gorge.—Les portraits des femmes modestes du temps nous donnent une idée de ce que pouvait être l'exagération.—Le roi ne dit mot, tout d'abord, évitant seulement de tourner les yeux de ce côté. Mais à la fin du repas il conserva dans sa bouche une gorgée de vin rouge et la lança dans le corset de la dame.

La chasteté chez Louis XIII était bien moins une vertu qu'une affaire de tempérament; ainsi, souvent il allait, suivant l'usage d'alors, coucher avec le connétable de Luynes, et bien qu'il fut amoureux de la femme du connétable, il s'endormait tranquille sur le même chevet.

—Pour moi, disait-il souvent, les femmes sont chastes jusqu'à la ceinture.

—Il fallait donc, disait Bassompierre, la leur faire porter aux genoux.

Mais que dire de l'incroyable pruderie de ce prince!

Entrant un jour à l'improviste chez la reine, il aperçut aux mains de mademoiselle de Hautefort un billet qu'elle venait de recevoir. Il la pria de le lui laisser lire; mais comme il contenait quelques plaisanteries sur les platoniques amours du roi, la jeune fille refusa et cacha le billet dans son sein. La reine alors saisit en plaisantant les mains de mademoiselle de Hautefort, et, les retenant dans les siennes, dit au roi de prendre le billet où il se trouvait. Louis XIII, n'osant se servir de ses mains, prit les pincettes d'argent du foyer et essaya d'atteindre le malencontreux billet. Il n'y put réussir et s'éloigna, fort attristé des rires des deux femmes.

Ainsi agit le Louis XIII de l'admirable drame de Victor Hugo, et lorsque Marion Delorme a caché dans son sein la grâce de Didier, l'Angely peut lui dire:

Bon, gardez-la

Tenez ferme, le roi ne met pas les mains là;

Il n'oserait rien prendre au corset de la reine.

Tel était ce prince mélancolique qui, plus que tout autre, avait besoin des douces consolations de l'amitié. Avec une abnégation héroïque, digne de toute notre admiration, il avait abdiqué aux mains de Richelieu. Il sentait son impuissance et admirait, tout en le redoutant, le sombre génie du ministre. Mais aussi que de pensées amères en ce coeur royal, que de rages dévorées en secret, que de sourdes révoltes!

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il me gêne, il m'opprime! et je ne suis ni maître

Ni libre, moi qui suis quelque chose peut-être.

A force de marcher si lourdement sur moi

Craint-il pas à la fin de réveiller le roi?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le manant est du moins maître et roi dans son bouge!

Mais toujours sous les yeux avoir cet homme rouge;

Toujours là, grave et dur, me disant à loisir:

—«Sire, il faut que ceci soit votre bon plaisir!»

Dérision! cet homme au peuple me dérobe,

Comme on fait d'un enfant, il me met dans sa robe,

Et quant un passant dit:—«Qu'est-ce donc que je voi

Devant le cardinal?»—On répond: «C'est le roi.»

Ce roi si profondément malheureux, ce mari sans épouse, ce fils sans mère, eut au moins ce rare bonheur d'aimer deux femmes parfaitement vertueuses, Mesdemoiselles de Hautefort et de La Fayette, deux anges consolateurs dont la moins aimée fut pour lui comme un baume céleste sur ce Golgotha qu'on appelle le trône.

C'est à Lyon, en 1630, au sortir d'une grave maladie, que Louis XIII, parmi les filles d'honneur de sa mère, Marie de Médicis, remarqua mademoiselle de Hautefort. C'était une toute jeune fille encore, presqu'une enfant. On l'appelait l'Aurore, pour marquer son extrême jeunesse et son innocent éclat. Elle était blanche et rose; ses grands yeux bleus voilés de longs cils avaient une admirable expression, ses cheveux d'un blond cendré étaient d'une richesse incomparable, enfin un très-grand air tempéré par une tenue presque sévère relevait encore cette beauté précoce.

«La modestie, aussi bien que la beauté de mademoiselle de Hautefort, dit M. Cousin, touchèrent profondément Louis XIII; peu à peu il ne put se passer du plaisir de la voir et de s'entretenir avec elle; et lorsqu'à son retour de Lyon, après la fameuse journée des dupes, l'intérêt de l'Etat et sa fidélité à Richelieu le forcèrent d'éloigner sa mère, il lui ôta la jeune Marie et la donna à la reine Anne, en la priant de la bien traiter et de l'aimer pour l'amour de lui.»

La reine reçut avec une froideur facile à comprendre sa nouvelle fille d'honneur; elle voyait en elle une rivale, et, ce qui lui était bien autrement pénible, une surveillante chargée d'épier ses moindres actions et d'en rendre compte. Elle se trompait, et ne tarda pas à le reconnaître: jamais elle n'eut au contraire d'amie plus sûre et plus désintéressée.

Certaine du dévouement de mademoiselle de Hautefort, Anne d'Autriche put la voir sans inquiétude et même favoriser l'amour du roi pour la belle Marie; elle trouvait en elle un appui contre son ennemi le cardinal de Richelieu. Le caractère des deux amants lui était un sûr garant de l'innocence de leurs relations; et d'ailleurs, que lui importait!

Rien de triste, de platonique, de glacial comme ces amours de Louis XIII. Tous les soirs il l'entretenait dans une embrasure de fenêtre du salon de la reine; mais il ne lui parlait d'ordinaire que de la chasse, de ses chiens et de ses oiseaux de proie, sans doute il s'attachait à lui démontrer qu'ils ont tort ceux qui croient

«Que l'Alète au grand vol ne vaut pas l'Alfanet.»

Dans le jour, Louis XIII tenait un registre fort exact de tout ce qu'il disait à son amie: on a retrouvé à sa mort ces singuliers procès-verbaux; ou bien il composait pour elle des chansons et des vers élégiaques.

Il n'est rien resté des poésies amoureuses de Louis XIII. «Mais voici un couplet qui peint avec assez de grâce le charme qu'exerçait mademoiselle de Hautefort sur l'humeur chagrine de son royal amant:»

Hautefort merveille

Réveille

Tous les sens de Louis,

Quand sa bouche vermeille

Lui fait voir un souris.

Ces relations si tristes, ces glaciales assiduités pesaient horriblement à mademoiselle de Hautefort. Si elle n'avait pas profité pour rompre d'une de ces brouilles incessantes que soulevait l'humeur capricieuse du roi, c'était autant par amitié pour la reine que par pitié pour le malheureux Louis XIII. Un peu d'orgueil se mêlait à ces sentiments; elle était fière de résister à Richelieu, dont elle s'était déclarée l'ennemie.

Le cardinal-ministre, dans le principe, avait vu d'un oeil favorable l'amour du roi pour mademoiselle de Hautefort; il pensait l'attirer facilement à lui, et en faire un des instruments de sa politique; mais il n'avait pas tardé à se convaincre que toutes ses séductions ne tenteraient jamais la fière jeune fille tout entière au parti de la reine qu'elle croyait injustement délaissée et persécutée.

Craignant sans doute de trouver en mademoiselle de Hautefort un obstacle sérieux, Richelieu entreprit de l'éloigner; il y réussit facilement. Il tenait entre ses mains le confesseur de Louis XIII. Ce prêtre éveilla dans le coeur de son pénitent des scrupules que calment d'ordinaire les directeurs des consciences royales, et le faible prince essaya d'arracher de son coeur une passion que le représentant de Dieu sur la terre lui disait être criminelle. Mademoiselle de Hautefort dut quitter la cour pour quelque temps, plus heureuse que triste d'une rupture que souvent elle avait songé à provoquer la première.

Privé de cette douce affection qui l'avait aidé à supporter les amères tristesses de sa vie, Louis XIII était devenu plus morose et plus sombre que jamais. Telles furent alors les inquiétudes de Richelieu et des politiques de son parti, qu'ils résolurent de remplacer, s'il était possible, mademoiselle de Hautefort dans le coeur du roi.

C'est sur mademoiselle de La Fayette que l'on jeta les yeux. L'évêque de Limoges, l'ex-favori Saint-Simon et autres, se chargèrent de la négociation.

La beauté de mademoiselle de La Fayette était le contraste vivant de celle de mademoiselle de Hautefort. Petite, frêle et brune, toute sa force semblait s'être réfugiée dans ses grands yeux. Louis XIII ne tarda pas à la prendre en affection, et, au contraire de mademoiselle de Hautefort, mademoiselle de La Fayette s'éprit d'une tendre passion pour ce roi déshérité de vraie tendresse. Mais elle aussi eut le tort de prendre parti pour la reine Anne; et Richelieu, voyant un nouveau danger, employa le moyen qui déjà lui avait si bien réussi. D'habiles confesseurs jetèrent le trouble dans l'âme de ces deux amants si faibles et si timides, dont l'amour était devenu si vif, qu'ils se défiaient d'eux-mêmes, et mademoiselle de La Fayette se retira dans un couvent. Le roi continua de la voir: il ne croyait plus au danger maintenant que la grille d'un cloître le séparait de son amie. Du fond de sa cellule, mademoiselle de La Fayette put rendre à la reine, son amie, un grand et dernier service! Un soir d'orage, elle envoya le roi demander l'hospitalité à sa femme, qui habitait le Louvre: peut-être s'agissait-il pour Anne d'Autriche de légitimer la naissance d'un enfant qui devait être Louis XIV.

Mais, pour Richelieu, mademoiselle de La Fayette, au couvent, visitée par le roi, était tout aussi dangereuse. C'est alors qu'il s'avisa de donner à Louis XIII un ami au lieu d'une maîtresse, Cinq-Mars. M. Alfred de Vigny nous a fait verser des larmes sur le sort du grand-écuyer de Louis XIII. Ces larmes, Cinq-Mars ne les mérite pas. Ce ne fut qu'un courtisan brouillon, vaniteux et avide. Il trahit tout à la fois Richelieu et sa patrie. Sa condamnation ne fut que justice, et Louis XIII ne put s'y opposer. Mais, dit M. Edouard Fournier, jamais le triste monarque n'a prononcé le mot cruel qu'on lui a prêté, le jour de l'exécution de son ami: «Monsieur le Grand doit à cette heure faire une assez triste grimace[6]

Pénétré de douleur, au contraire, de la mort et de la trahison de son cher d'Effiat, Louis XIII le pleura longtemps. Il ne fallut rien moins, pour sécher ses larmes, que la douce voix de mademoiselle de Hautefort. Un instant, il se rapprocha de cette ancienne amie; mais, de nouveau, Richelieu l'éloigna de lui, et, cette fois, pour toujours. Le cardinal n'avait pas tort de redouter la séduisante Marie. Toute dévouée à la reine, son caractère chevaleresque pouvait la conduire aux plus folles entreprises. C'est peut-être à elle que Richelieu doit de n'avoir pu savoir le dernier mot de la conspiration avec l'Espagne. Déguisée en grisette, elle pénétra à la Bastille jusqu'auprès du chevalier de Jars, ce héros de dévouement qui, plutôt que de trahir le secret de la reine, s'était laissé condamner à mort et venait d'être gracié au moment même où il avait déjà la tête sur le billot. De Jars n'hésita pas à exposer sa vie de nouveau, et ce fut par lui que La Porte, prévenu, put confirmer les fausses révélations de la reine.

Quelques années plus tard, en 1646, mademoiselle de Hautefort épousa le maréchal duc de Schomberg, qu'elle aimait, et trouva, dans cet amour, la force de repousser les hommages du jeune Louis XIV.

Telles furent les royales amours pendant le règne de Louis XIII. Si la galanterie politique joua, durant cette période, un rôle un peu effacé, elle prit bien sa revanche sous la Fronde; nous verrons les femmes atteindre, sous Louis XIV, à l'apogée de leur puissance, présider plus tard aux orgies de la Régence, et, sous la dénomination sarcastique de Cotillons, que leur donna le grand Frédéric, achever, sous Louis XV, la ruine de la monarchie française.

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