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IV

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C'est l'homme dont les hommes du XVIIIe siècle ont fait comme leur moelle et leur substance, et cela est amusant. Cela prouve (et j'ai trop dit que Bayle s'en fût irrité, il s'en fût amusé un peu lui-même) que le scepticisme est absolument inhabitable pour l'homme. L'homme est un animal qui a besoin d'être convaincu. Voilà un auteur qui, d'un solide bon sens et d'une rectitude d'esprit surprenante, détruit tous les préjugés, ne laisse debout que la raison, et ajoute, en le prouvant, que la raison ne mène à rien, et n'est qu'un dernier préjugé plus flatteur et séduisant que les autres. Ses disciples font de la raison une nouvelle foi, une nouvelle idole et un nouveau temple, et du scepticisme de leur maître trouvent moyen de tirer un dogmatisme aussi impérieux, aussi orgueilleux, aussi batailleur et aussi redoutable au repos public que tout autre dogmatisme. De cet homme qui ne croyait à rien ils tirent des raisons à démontrer qu'il faut croire à eux; et de ce contempteur de l'humanité ils tirent des raisons à prouver que l'humanité doit s'adorer elle-même, puisqu'elle n'a plus autre chose à adorer, ce qui est une conséquence un peu ridicule, mais parfaitement naturelle. Et Bayle, par le plus singulier détour, mais à prévoir, se trouve être le promoteur d'une croyance et le fondateur bien authentique, encore que bien involontaire, d'une religion. Imaginez Montaigne—currente rota, cur urceus exit? car il faut citer du latin quand on parle de Montaigne—devenant chef de secte. La roue aurait pu tourner ainsi; personne n'est le potier de soi-même.

Ce qui eût consolé Bayle, si tant est qu'il en eût eu besoin, car il était peu inconsolable, c'est qu'il avait réfuté à l'avance ses disciples dévots jusqu'à le travestir; c'est qu'il n'y a guère aucune de leurs théories dont il n'ait, comme par provision, dénoncé la témérité et raillé la vanité présomptueuse; et c'est qu'il est un précurseur de XVIIIe siècle qui en dégoûte.—Il eût pu très légitimement se laver les mains de ce qu'on tenait pour son ouvrage, et qui, tout compte fait, l'était un peu. Une dernière chose l'eût fait sourire sur la terre, à savoir son influence, et la direction, très inattendue de lui, de son propre prolongement parmi les hommes. Il aurait considéré cette dernière aventure comme une de ces bonnes folies de l'humanité dont il se divertissait doucement, comme une des bonnes «scènes de la grande comédie du monde», comme un effet des «maladies populaires de l'esprit humain»; et il n'est pas à croire que son scepticisme désenchanté et malicieux en eût été diminué.

Études Littéraires; dix-huitième siècle

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