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FONTENELLE

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Le XVIIIe siècle commence par un homme qui a été très intelligent et qui n'a été artiste à aucun degré. C'est la marque même de cet homme, et ce sera longtemps la marque de cette époque. Ce qui manque tout d'abord à Fontenelle d'une manière éclatante, c'est la vocation, et la vocation c'est l'originalité, et l'originalité, si elle n'est point le fond de l'artiste, du moins en est le signe. Il vient à Paris, de bonne heure, non point, comme les talents vigoureux, avec le dessein d'être ceci ou cela, mais avec la volonté d'être quelque chose. Et ce que pourra être ce quelque chose, Dieu, table ou cuvette, il n'en sait rien. «Prose, vers, que voulez-vous?» Il n'est pas poète dramatique, ou moraliste, ou romancier. Il est homme de lettres. La chose est nouvelle, et le mot n'existe même pas encore. Il fait des tragédies puisqu'il est le neveu des Corneille, des opéras puisque l'opéra est à la mode, des bergeries en souvenir de Segrais, et des lettres galantes en souvenir de Voiture. Il a en lui du Thomas Corneille, du Benserade, du Céladon et du Trissotin.—Plusieurs disent: «C'est un sot; mais il est prétentieux. Il réussira.» Il était prétentieux; mais il n'était point sot. Ce qui devait le sauver, et déjà lui faisait un fond solide, c'était sa curiosité intelligente. Ce poète de ruelles, ce «pédant le plus joli du monde», faisait avant la trentaine (1686) des «retraites» savantes, comme d'autres des retraites de piété. Il disparaissait pendant quelques jours. Où était-il? Dans une petite maison du faubourg Saint-Jacques, avec l'abbé de Saint-Pierre, Varignon le mathématicien, d'autres encore qui tous «se sont dispersés de là dans toutes les Académies»9. Tous jeunes, «fort unis, pleins de la première ardeur de savoir», étudiaient tout, discutaient de tout, parlaient, à eux quatre ou cinq, «une bonne partie des différentes langues de l'Empire des lettres», travaillaient énormément, se tenaient au courant de toutes choses.—C'est le berceau du XVIIIe siècle, cette petite maison du faubourg Saint-Jacques. Un savant, un publiciste idéologue, un historien, un mondain curieux de toutes choses, déjà journaliste, d'un talent souple, et tout prêt à devenir un vulgarisateur spirituel de toutes les idées; ces gens sont comme les précurseurs de la grande époque qui remuera tout, d'une main vive, laborieuse et légère, avec ardeur, intempérance et témérité.—De tous Fontenelle est le mieux armé en guerre et par ce qu'il a, et par ce qui lui manque. Il est de très bonne santé, de tempérament calme, de travail facile et de coeur froid. Il n'a aucune espèce de sensibilité. Ses sentiments sont des idées justes: loyauté, droiture, fidélité à ses amis, correction d'honnête homme. On se donne ces sentiments-là en se disant qu'il est raisonnable, d'intérêt bien compris et de bon goût de les avoir. Il n'est point amoureux, et rien ne le montre mieux que ses poésies amoureuses. Il a, avec tranquillité, des mots durs sur le mariage: «Marié, M. de Montmort continua sa vie simple et retirée, d'autant plus que, par un bonheur assez rare, le mariage lui rendit la maison plus agréable.» Il est ferme et malicieux dans la dispute, mais non passionné. Il est de son avis, mais il n'est pas de son parti. Son amour-propre même n'est pas une passion. C'est dire que la passion lui est inconnue. Il est né tranquille, curieux et avisé. Il est né célibataire, et il était centenaire de naissance. Plusieurs dans le XVIIIe siècle seront ainsi, même mariés, par accident, et mourant plus tôt, par aventure.

Note 9: (retour) Éloge de Varignon.

Études Littéraires; dix-huitième siècle

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