Читать книгу La guerre actuelle commentée par l'histoire - François-Alphonse Aulard - Страница 11
ОглавлениеPourquoi ont-ils tant d’ennemis?
11 avril 1915.
Un journal viennois, la Zeit, a institué une sorte de referendum pour répondre à la question: Pourquoi l’Allemagne a-t-elle tant d’ennemis dans le monde?
Ce n’est point aux ennemis de l’Allemagne, qui seraient pourtant si compétents pour y répondre, que cette question est posée par notre confrère autrichien: c’est uniquement aux Allemands eux-mêmes et aux germanophiles.
Les réponses sont instructives, mais autrement que ne le croient les célébrités consultées.
Elles nous font voir un état d’orgueil pathologique.
Le musicien Humpudinck, de Berlin, est si fier de la haine générale qu’excite l’Allemagne qu’il oublie de répondre à la question et se borne à s’écrier: Oderint dum me tuant! Qu’ils nous haïssent pourvu qu’ils nous craignent!
D’autres, plus posés, consentent à expliquer cette haine.
Le germanophile norvégien Nordenskjôld croit que la haine vient de la jalousie que cause le grand développement économique de l’Allemagne contemporaine.
Voici une actrice, Mme Hansi Niese, fort populaire à Vienne, qui répond: «Si l’Allemagne a tant d’ennemis, c’est parce que tout le monde meurt d’envie devant elle.»
Le feld-maréchal Rieger a un plus beau style: «Si l’Allemagne, dit-il, a tant d’ennemis, c’est parce qu’elle excelle au-dessus des autres. Le monde, comme dit Schiller, aime à obscurcir ce qui brille et traîne dans la poussière ce qui est élevé. C’est ainsi que Socrate dut boire la ciguë, Christophe Colomb fut jeté en prison, Jésus-Christ fut mis en croix.»
O l’agréable enquête de la Zeit! Sans elle, qui aurait su que l’Allemagne prussianisée ressemble à Socrate, à Christophe Colomb, à Jésus-Christ? Sans elle, qui aurait su que, si l’Allemagne prussianisée est haïe, c’est justement parce qu’elle est digne d’amour, c’est justement parce qu’elle est parfaite et que sa perfection offusque la bassesse d’âme du monde?
Moins lyriquement fantaisiste, l’historien Friedjung compare l’Allemagne à Napoléon. On la hait à cause de ses victoires passées, présentes et futures. Mais elle sera plus habile, plus sage que Napoléon: montée au sommet de la gloire et de la puissance, elle saura n’en pas descendre. Une fois triomphante, elle aura moyen de supporter toutes ces inimitiés: «Il y aura peut-être quelque chien qui aboiera plus fort que les autres, mais peu importe.»
On dira sans doute que ces réponses à la question de la feuille autrichienne sont superficielles, ou à côté, ou fausses ou mensongères. Moi, je les trouve éloquentes, admirablement éloquentes. Elles disent ou plutôt elles font sentir merveilleusement bien pourquoi les Allemands sont haïs dans le monde. Inspirées par un orgueil grossier et, si on me passe le mot, bête, elles expriment, elles étalent, en des formes dont le ridicule est significatif, toute la grossièreté et toute la bêtise de cet orgueil.
En montrant une fois de plus à quel point ils sont des tyrans et des sots, ces Allemands ont bien montré pourquoi l’Allemagne est haïssable, pourquoi elle est haïe.
Dans quelques mois, j’espère que le journal viennois voudra bien instituer un autre referendum et poser à ses lecteurs éminents cette autre question: Pourquoi l’Allemagne a-t-elle été vaincue? Ce referendum sera facile: les réponses à la question d’aujourd’hui pourront aider à répondre à la question de demain.
(Information du 11 avril 1915.)