Читать книгу La guerre actuelle commentée par l'histoire - François-Alphonse Aulard - Страница 13
ОглавлениеLe Prussien Blücher et les Belges
5 juin 1915.
C’est dans quelques jours le centième anniversaire de la bataille de Waterloo, et il est naturel qu’un historien français relise les documents relatifs à ce grand événement.
Là, les rapprochements avec la guerre actuelle s’offrent en foule à sa curiosité, mais plus encore les contrastes.
Il en est qui ne sont pas seulement instructifs, mais vraiment piquants, vraiment ironiques.
Ainsi, feuilletant l’Ambigu, ce journal que l’émigré Peltier publiait à Londres, et qui n’est pas seulement un pamphlet antinapoléonien, mais aussi un recueil de faits et de textes, j’y trouve cette proclamation que le maréchal Blücher adressa aux Belges peu de jours après cette bataille de Waterloo où il avait joué un rôle décisif:
LE PRINCE BLUCHER AUX BRAVES BELGES
Mon armée étant sur le point d’entrer sur le territoire français, nous ne saurions quitter le vôtre, braves Belges, sans vous faire nos adieux, et sans vous témoigner notre vive reconnaissance pour l’hospitalité que vous avez donnée à nos soldats. Nous avons eu l’occasion d’apprécier vos vertus. Vous êtes un peuple brave, loyal et noble. Vous avez beaucoup souffert du fait de l’irrégularité qui régnait dans le service des vivres, mais vous avez supporté avec patience les réquisitions dont il a été impossible de vous exempter.
Votre situation m’a touché vivement, mais il était hors de mon pouvoir de l’alléger. Dans le moment du danger qui semblait vous menacer, on nous a appelés à votre secours. Nous sommes accourus, et c’est bien malgré nous que nous nous sommes vus forcés, par les circonstances, d’attendre si longtemps le commencement d’une lutte, que nous aurions désiré voir s’engager plus tôt. La présence de nos troupes a été onéreuse à vos contrées, mais nous avons payé de notre sang le tribut de reconnaissance que nous vous devions, et un gouvernement bienveillant trouvera les moyens de dédommager ceux de vos compatriotes qui ont le plus souffert par les logements militaires.
Adieu, braves Belges! Le souvenir de l’accueil hospitalier que vous nous avez fait, ainsi que celui de vos vertus, sera gravé éternellement dans nos cœurs. Que le Dieu de la paix protège votre beau pays! Qu’il en éloigne pour longtemps les troubles de la guerre! Soyez aussi heureux que vous méritez de l’être! Adieu.
Merbes-le-Château, le 21 juin 1815.
Le maréchal-prince BLUCHER.
Je ne sais pas si ce document est connu, ni si les historiens belges l’ont signalé. Mais je trouve qu’il était à propos de relater, en 1915, cette promesse d’éternelle amitié faite aux Belges en 1815 par ce Blücher qui de tous les soudards prussiens fut le plus soudard et le plus prussien, mais qui cependant, si brute qu’il fût dans le fond, vivait en un temps où la violence arborait encore le masque de la philosophie et de la générosité.
L’hospitalité qu’en 1815 les Belges donnaient à l’armée de Blücher n’était pas volontaire: la Belgique, alors ballottée d’une patrie à l’autre, ne formait pas une nation indépendante et n’avait pas d’armée à opposer à l’envahisseur. Les Belges ne méritaient donc pas cette gratitude de Blücher. Mais l’affiche où il l’exprime grossit utilement le tas de chiffons de papier où sont inscrites les paroles d’honneur de la Prusse, — c’est-à-dire ses mensonges.
(Excelsior du 15 juin 1915.)