Читать книгу La guerre actuelle commentée par l'histoire - François-Alphonse Aulard - Страница 6

Оглавление

II

Table des matières

Le cours d’histoire de la Révolution française à la Sorbonne et la guerre actuelle

Février 1915.

En ouvrant mon cours d’histoire de la Révolution française à la Sorbonne, au début de la présente année scolaire, j’ai cru devoir rappeler combien il est nécessaire que l’activité intellectuelle de la France continue à s’exercer pendant la guerre. La défense nationale a sa source autant dans la vie spirituelle de la nation que dans sa vie physique. L’enseignement universitaire prépare l’avenir par la formation de la jeunesse, relie le présent au passé par l’histoire, maintient ainsi et fortifie l’effort français, en même temps qu’il contribue aux progrès de la science, à l’amélioration générale de l’humanité. C’est donc faire œuvre éminemment française de continuer à enseigner, dans ces circonstances de guerre, quand l’ennemi est à moins de cent kilomètres de nos portes, et c’est faire œuvre éminemment humaine, puisque nous soutenons cette guerre, non seulement pour l’indépendance de la France, mais pour la cause de la civilisation, pour la liberté de l’Europe et du monde.

Si la pensée d’un Français éclairé est solidaire de la pensée nationale, elle ne doit pas être esclave des circonstances et des émotions . Un historien français, qui vibre comme patriote avec tous les Français, doit faire un continuel effort pour juger le passé, ainsi que le présent, en homme libre. Il doit se préserver du vice allemand, qui consiste à fausser l’histoire pour le service — ou le prétendu service — d’une nation. Si ingénieux et parfois si triomphant que semble être le système pédagogique et historique par lequel les Universités allemandes ont créé, dans leur pays, ce patriotisme de proie et de rapine, ce militarisme tyrannique, c’est la seule vérité que la culture française opposera à la culture germanique.

Et la vérité tout entière. Qu’il s’agisse de l’Allemagne, qu’il s’agisse de la France, notre enseignement historique ne voilera, tendancieusement, aucune partie de la vérité. Plus ces gens-là auront menti, plus nous continuerons à dire la pleine vérité. (La vérité combat éternellement pour la France.) L’indignation, la légitime indignation, devant tant de faussetés et d’atrocités, n’obscurcira d’aucune éclipse, dans cette Sorbonne, l’esprit critique.

Vous avez lu ce manifeste des intellectuels allemands, où, sur l’ordre de leur empereur, par un mensonge officiel, aussi conscient qu’énorme, ils nient les faits les plus certains, sans essayer l’ombre d’une démonstration. Il y a eu des réponses en France, et diverses, et éloquentes. Ce qu’il faut dire surtout, c’est que si, plus tard, nos soldats, étant entrés en Allemagne, se voyaient accusés, à leur tour, d’atrocités, il n’est pas un savant français qui n’aimerait mieux que sa main ne se séchât, plutôt que de signer sans enquête, sans critique, sans discussion, un démenti à ces accusations. Mais il est une réponse encore plus décisive: ce sera, dans les Universités françaises, l’exemple d’une imperturbable continuation et progression à servir l’histoire par la méthode critique, une fidélité plus zélée encore que par le passé à cet esprit historique et scientifique que les Allemands viennent de trahir et de renier si honteusement.

A la Sorbonne, pour la plupart des disciplines et même pour beaucoup des enseignements historiques, le professeur aura à faire l’héroïque effort de chasser de son esprit, pour un instant, les soucis et les nouvelles de la défense nationale, par exemple de ne pas mêler notre temps présent au passé grec, au passé romain. Cette abstraction, pour l’histoire des événements dont l’accomplissement est achevé, fait partie des conditions essentielles de la science historique.

11 n’en est pas de même de l’histoire de la Révolution française.

C’est que la Révolution française n’est pas un événement accompli .

Ce qui reste à faire, dans l’ordre économique et social, pour achever la Révolution française, est considérable. Mais je ne veux pas, aujourd’hui, définir ce gros reliquat. Je veux dire que, si notre révolution est inachevée en tant que purement française, elle est encore plus inachevée en tant qu’européenne, en tant qu’internationale; je veux dire que ce droit des nations, ou droit des gens, qu’elle a proclamé, loin d’être victorieux, se trouve mis en échec, dans cette guerre de 1914, par l’Allemagne prussianisée.

Ce qui est en cause, comme l’atteste le martyre de la Belgique, c’est le droit des peuples à l’indépendance; ce qui est en cause, comme l’atteste la servitude de l’Alsace-Lorraine, de la Pologne, de la Bohême, c’est le droit des peuples à disposer librement de leur sort.

Or, ce droit est fondé sur les principes mêmes et sur les actes de la Révolution française.

La défense de ce droit est le véritable objet de la guerre que nous soutenons en ce moment contre l’Allemagne . Cette guerre, à la fois pour la France et pour l’humanité, c’est la continuation de la Révolution française en lutte contre les retours offensifs du passé, en lutte contre ce prétendu droit de la force que le militarisme prussien a substitué, dans l’âme allemande, au droit de la raison jadis proclamé par Kant et les penseurs allemands, à la suite des penseurs français.

Entre la guerre actuelle et la Révolution française, il n’y a pas seulement connexité, ressemblance ou rapport de cause à effet: c’est le même événement qui se développe et qui semble aboutir, en une lutte suprême, à son achèvement.

Mais cet événement a revêtu aujourd’hui d’autres formes, qui en masquent partiellement l’identité, si bien qu’il y a, à la fois, dans cette continuité, ressemblances partielles, dissemblances partielles.

De même que, dans une tragédie, le premier acte fait comprendre le dénouement, et réciproquement, de même l’histoire de la Révolution française jette des lumières sur la guerre de 1914, non seulement sur les causes, mais aussi sur l’avenir de cette guerre, et la guerre de 1914 fait mieux comprendre la Révolution française.

J’ai tout de suite insisté, dans mon cours, sur ce dernier point de vue.

J’ai montré comment le patriotisme actuel de nos soldats nous faisait mieux comprendre, ou plutôt sentir, le patriotisme des Français de 1792 et de 1793, la puissance de la force morale dans les batailles et aussi les raisons pour lesquelles il y a tant d’emphase dans le style et les gestes des hommes de la Révolution. Ou plutôt il n’y avait point réellement d’emphase. Des circonstances énormes inspiraient des gestes énormes, un style énorme. Quand l’énormité des circonstances eut disparu, l’énormité des gestes et du style subsista, dans les monuments écrits ou figurés, et cette énormité, séparée des circonstances, parut emphatique. De même, nos gestes et notre style actuels paraîtront emphatiques, en l’an 2014, aux Français délicats du XXIe siècle, qui jouiront de la paix que nous leur aurons procurée .

Notre génération, héroïsée par les circonstances actuelles de guerre, sent mieux comment des circonstances analogues avaient héroïsé la génération de 1793, si bien que cette génération de 1793, pourtant de qualité moyenne, comme la nôtre, a paru être une génération de géants.

Surtout les soupçons et les colères de notre patriotisme exaspéré nous expliquent les soupçons et les colères des patriotes de 1792 et de 1793. Si nous avions, comme eux, à combattre, non seulement les Prussiens et les Autrichiens, mais des émigrés français en armes contre la patrie et, à l’intérieur, les complices masqués de ces émigrés, nous aussi nous n’hésiterions pas à établir, contre ces Français traîtres, une véritable terreur, et c’est ainsi que la guerre actuelle nous fait sentir la cause psychologique de la terreur de 1793, du gouvernement révolutionnaire, du tribunal révolutionnaire, de la loi des suspects .

Je montrerai ensuite comment les péripéties et le succès final de la défense nationale pendant la Révolution nous expliquent les péripéties et nous font prévoir le succès final de la guerre actuelle.

Mais surtout j’insisterai sur la formation, le caractère, le développement du patriotisme français à l’époque de la Révolution. Je montrerai cette unification spontanée des peuples de France en un seul peuple. Je montrerai la France actuelle sortant du mouvement des fédérations en 1789 et en 1790. Ces fédérations furent un pacte national, un véritable contrat d’union et de fraternité.

Aucune des provinces de France qui a juré ce pacte ne peut admettre qu’on l’arrache au groupement national français.

Voilà pourquoi les Alsaciens-Lorrains n’ont pu supporter d’être enlevés à la France. Voilà pourquoi la France n’a pu se résigner à la perte de l’Alsace-Lorraine. Voilà pourquoi la guerre actuelle tend à faire rentrer l’Alsace-Lorraine dans la famille française. Voilà quelles sont les bases historiques du droit que nous revendiquons.

Ce droit historique servira de principe aux nations alliées pour refaire la carte de l’Europe, en libérant les peuples esclaves, du moins ceux qui par une initiative nette auront rendu possible cette libération, de manière que nous fassions alors un acte pratique pour la pacification générale, et non un geste de don-quichottisme chimérique et imprudent.

Telles sont les vues sur le passé, telles sont les vues sur l’avenir qui, cette année, dans les circonstances de guerre, forment l’objet du cours d’histoire de la Révolution française à l’Université de Paris.

P.-S. — Cette première leçon, que j’ai ainsi résumée pour la Nation de New-York a été faite à la Sorbonne, le 2 décembre 1914.

Dans les leçons suivantes, j’ai cru pouvoir ou devoir, au début et avant d’aborder le sujet même du cours, commenter historiquement quelques événements ou incidents actuels.

Ainsi, dans la seconde leçon, 9 décembre 1914, j’ai lu, dans la Frankfurter Zeitung du 8 septembre 1914, un dialogue imaginaire entre un pacifiste et un guerrier, où on voit bien l’actuel idéal de l’Allemagne. Puis j’ai montré comment laguerre de la Révolution faisait comprendre l’esprit et les chances de la guerre actuelle.

La troisième leçon (16 décembre) a eu pour objet Kant disciple de la Révolution française, surtout comme théoricien du droit des gens.

Dans la quatrième leçon (23 décembre), à propos du discours et du projet de loi de M. Viviani (22 décembre) sur un crédit de 300 millions pour venir au secours des Français envahis, j’ai lu et commenté le décret du 11 août 1792 par lequel l’Assemblée législative régla «les indemnités à accorder aux citoyens qui ont perdu, dans le cours de la guerre, tout ou partie de leurs propriétés». Puis j’ai parlé des Allemands illustres, autres que Kant, qui avaient glorifié la pensée française du XVIIIe siècle, et j’ai montré que la Prusse, de nos jours, avait mis l’Allemagne en révolte contre le véritable génie allemand.

La cinquième leçon (6 janvier 1915) a débuté par un hommage aux deux petits-fils de Garibaldi, tués au service de la France, et par un bref exposé du rôle du grand patriote italien et de l’armée des Vosges, dans la guerre de 1870-1871. Puis, abordant plus directement le sujet du cours, tel que l’affiche l’avait indiqué : Le patriotisme et la Révolution française, j’ai commencé à expliquer les origines du patriotisme révolutionnaire, et j’ai esquissé l’histoire du sentiment patriotique en France jusqu’à Louis XIV inclusivement.

Sixième leçon (13 janvier): 1° Commentaire de l’étrange manifeste d’intellectuels espagnols, publié dans le Journal de Genève du 9 janvier. — 2° Le patriotisme au XVIIe siècle.

Septième leçon (20 janvier): 1° Commentaire historique sur la neutralité de l’Italie et éloge de la loyauté de cette nation. — 2° Le patriotisme au XVIIIe siècle.

Huitième leçon (27 janvier): 1° Lettre francophile d’un lettré bulgare, ancien élève de la Sorbonne, et considérations sur l’attitude de la Bulgarie. — 2° Le patriotisme au XVIIIe siècle (suite).

Neuvième leçon (3 février): 1° Vues historiques sur cette période de six mois de guerre. — 2° Le patriotisme au XVIIIe siècle.

Dixième leçon (10 février): 1° Remarques historiques sur l’attitude actuelle de la Grèce, de la Serbie, de la Roumanie et sur l’opinion publique en Bulgarie et en Espagne. — 2° Le patriotisme dans les cahiers des Etats généraux.

(Révolution Française de janvier 1915.)

La guerre actuelle commentée par l'histoire

Подняться наверх