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IV

Table des matières

Sagesse italienne

10 février 1915.

M. de Bülow, le foudroyant diplomate teuton, s’était trop pressé de coiffer du casque à pointe la tête de sphinx de M. Giolitti, l’habile grand homme d’Etat en disponibilité. D’un revers de main, M. Giolitti s’est décoiffé ; le voilà recoiffé à l’italienne, un peu souriant, un peu vexé, gentiment ambigu.

Dans cette lettre, qui fait couler des flots d’encre à Turin, à Milan, à Florence et à Rome, il assure que s’il a rencontré M. de Bülow, le diplomate «420», c’est par hasard, en déambulant sur la place du Triton, et que, s’il lui a fait visite, ce n’est qu’une fois, pour un échange de propos académiques.

Or, chacun sait qu’en Italie comme en France, il est impossible de causer et de s’entendre par intermédiaire.

M. Giolitti et M. de Bülow n’ont donc pas concerté leur action, et le renversement du ministère Salandra est loin de leur pensée. Surtout M. Giolitti ne veut pas que l’opinion italienne le prenne, lui, Giolitti, pour un compère de Bülow, encore moins pour sa dupe.

Il a raison: un tel homme, si fin et lucide, n’est ni compère ni dupe. Soyez bien sûr qu’il a su causer sans s’engager, et qu’il a su faire parler le malin Allemand, qui, tout frotté qu’il soit, n’est qu’un pataud à côté de M. Giolitti.

Or, de la lettre même de M. Giolitti, du passage où il dit qu’il n’est pas impossible que l’Italie obtienne quelque morceau sans coup férir, on peut déduire aisément que M. de Bülow a fait miroiter le Trentin aux yeux non éblouis de son interlocuteur.

M. Giolitti fait miroiter, à son tour, le Trentin, sans y croire, tâte l’opinion, se dit neutraliste, se dit interventionniste, repousse avec horreur l’idée d’une guerre, sourit aussitôt à la même idée de guerre, en murmurant avec grâce le titre du roman italien: Peut-être que oui, peut-être que non.

Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il profitera des fautes de M. Salandra, si M. Salandra en commet, et si M. Salandra, en traînant trop, met son pays dans le cas de se trouver, la paix conclue, Gros-Jean comme devant, — et plus que devant —, rien dans la lettre à facettes de M. Giolitti ne le gênera pour reprocher à M. Salandra d’avoir perdu l’Italie en prolongeant trop sa neutralité.

Cependant, par-dessus le bruit du canon, Rome a entendu un cri de colère autrichien, un vieux cri classique: «Nous ne céderons rien aux Italiens, ni Trente, ni Trieste, ni Pola, rien, rien, rien!»

Dans une interview, M. de Bülow a conté que Mme de Bülow, Italienne de naissance, s’est si bien germanisée qu’à la nouvelle de l’avancée allemande en France, après Charleroi, elle avait senti une volupté d’allégresse, comme à ouïr du Wagner, aux premiers coups d’archet.

M. de Bülow se vante peut-être, mais il est sûr que le bon François-Joseph aurait, dans ses tristesses de macrobite, un petit moment d’agrément, s’il pouvait faire des villes d’art italiennes ce que le kaiser a fait de Malines, de Louvain et de Senlis.

Les Autrichiens ont une haine aussi féroce que méprisante pour les Italiens, et ils ont leur Autriche irredenta: c’est la Vénétie, c’est la Lombardie, c’est Florence, c’est Parme, ces joyaux autrichiens qu’avec l’aide de la France corrompue Victor-Emmanuel déroba si iniquement — et si prestement — à la couronne de Sa Majesté Apostolique, qui s’intitule toujours «grand-duc de Toscane» et plus que jamais «seigneur de Trieste».

Cela étant, M. Giolitti sait aussi bien que M. de Bülow que la neutralité, si elle se prolonge trop, perdra l’avenir de l’Italie.

Victorieuse, non seulement l’Autriche ne donnera rien à l’Italie, mais elle tombera sur elle, pour la punir de sa neutralité, et lui reprendra une partie des territoires jadis autrichiens.

Vaincue, l’Autriche n’aura rien à donner à l’Italie, ou plutôt, dès qu’elle aura reconstitué son armée, elle tombera sur l’Italie avec plus de fureur encore que si elle avait été victorieuse.

Ce n’est pas à un Français à dire ces choses, surtout quand ce Français, pénétré lui aussi d’égoïsme sacré, n’en aime pas moins l’Italie. Aussi n’est-ce pas moi qui parle ainsi, c’est un Italien, c’est M. Mussolini, dans son journal Il Popolo d’Italia, organe des socialistes dissidents, organe des socialistes interventionnistes.

Ecoutez cet Italien: «Cultiver encore des illusions, dit-il, serait périlleux et coupable. La guerre est inévitable, et ce sera la guerre contre l’Autriche et contre l’Allemagne. Le jeu allemand est clair: il vise à nous imposer la «neutralité abso-

«lue» jusqu’à la fin de la guerre. Or, l’Italie peut-elle enchaîner sa liberté d’action jusqu’à la fin du conflit? Ce serait folie». Nous approchons du moment critique. L’Allemagne ne pouvant duper l’Italie, la menace déjà : «Elle a intérêt, dit M. Mussolini, à nous prévenir. Aujourd’hui l’Italie est préparée. Dans deux mois, elle serait très préparée. Il sied à l’Allemagne de couper court et de poser le dilemne: ou la neutralité absolue, ou la guerre immédiate.»

Mais, conclut M. Mussolini, appuyée sur la Triple Entente, l’Italie ne doit pas s’effrayer et ne s’effraie pas des menaces austro-allemandes. «Elle peut être l’arbitre de la situation.»

Ainsi discourent, ainsi raisonnent, ainsi discutent les Italiens. Les Français n’ont point l’indiscrétion de les conseiller. Ce sont des sages qui hésitent devant une formidable destinée, et qui ont raison de prendre leur temps (sans le perdre!), de se préparer à fond, de ceindre soigneusement leurs reins.

Le monde a admiré, dans cette crise difficile, la loyauté de l’Italie; il a admiré son sang-froid dans le conseil et son effort pour s’armer: il admirera, quand l’heure aura sonné, son héroïsme.

(Information du 10 février 1915.)

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